Irrigation ou pas. Là est la question!

Peu de journalistes du vin l’abordent de face, hormis ceux de la presse technique, mais la question se pose de plus en plus et elle va alimenter pas mal de discussions chez les vignerons comme chez les amateurs dans les années à venir. Faut-il oui ou non irriguer la vigne ?  Personnellement, en éternel sceptique, je me garderai de trancher, du moins dans l’immédiat et c’est avec intérêt que j’attends vos points de vue.

En attendant, je vous livre ci-dessous quelques observations. Certaines vont vous paraître évidentes, voire puériles. Toutes, à mon avis, doivent nous permettre de réfléchir sur ce grave débat. 

  • D’abord, il y a la sécheresse que nul ne peut et ne doit ignorer puisqu’elle sévit depuis des années. Elle a pour effet de réduire les rendements de manière significative et d’infliger à la vigne de sérieuses souffrances plus connues sous le terme « stress hydrique ». Ainsi, durant la canicule de 2003, on a estimé que le taux de mortalité de la vigne dans certaines régions du sud de la France avait atteint les dix pour cent. Pour beaucoup de techniciens, l’idée communément acquise selon laquelle la vigne doit souffrir pour être belle, est à jeter aux orties…
  • Cette baisse de rendements n’inquiète pas pour l’instant la plupart des vignerons « sérieux » que j’ai pu rencontrer, ceux qui travaillent des petites surfaces et qui visent la haute qualité dans leurs vins. J’ai même rencontré des vignerons qui sont farouchement et éthiquement opposés à de telles pratiques qu’ils jugent « déloyales ». Ils semblent ignorer que l’irrigation est pourtant légale sous certaines conditions, selon le décret n° 2006-1527 du 4 décembre 2006.
  • J’ai rencontré aussi ces dernières années en France, mais surtout en Espagne, dans des régions d’appellations réputées, des vignerons soucieux également de qualité, mais qui ont installé un système (assez coûteux) d’irrigation « pour les jeunes vignes ». Ils se refusent à les enlever une fois la vigne adulte à la fois par souci de précaution (« on ne sait jamais… »), mais prétextant aussi le coût que cela implique. Ils sont pour la plupart en faveur d’une irrigation au goutte à goutte, à des moments particuliers de la vie de la plante et jusqu’à quelques jours de la vendange, irrigation légale mais qu’ils souhaitent « mesurée ».
  • La montée en puissance des vignobles du Nouveau monde, où l’on a moins de scrupules que dans la vieille Europe lorsqu’il s’agit d’assurer des récoltes confortables, laisse penser qu’il nous faut au moins lutter « à armes égales ». Elle plaide en tout cas en faveur des « pro-irrigationistes ».
  • Pour les producteurs de vins « industriels », vins de table, par exemple, les producteurs de raisins de table ou de jus de raisin, l’irrigation, mesurée ou pas, ne pose aucun problème d’ordre moral. Beaucoup l’utilisent déjà, quand bien même le coût d’installation d’un système, main d’œuvre comprise, tourne autour de 3.000 € par hectare.
  • Pour les écolos qui, comme moi, se posent de sérieuses questions sur nos ressources en eau quant aux années à venir, l’irrigation devrait être bannie, ainsi qu’elle le fut à une époque dans les vignobles d’appellation, si ma mémoire ne me trahit pas. L’arrosage des jeunes plants pourrait être toutefois autorisé, mais sans l’installation de système de goutte à goutte. Il y a déjà suffisamment d’arrosages dans nos champs de maïs, par exemple, et souvent à des heures indues, en plein cagnard, pour ne pas en rajouter. D’ailleurs, dans certains pays, comme en Californie, des mesures de restrictions sont en vigueur par crainte de voir les réserves d’eau baisser dangereusement.

Pour conclure – provisoirement – ce débat qui me paraît intéressant, je vous propose de lire trois articles. L’un, dans Réussir Vigne, est inquiétant (ou rassurant selon le camp) car il montre que le chantier de l’irrigation est en plein essor dans le Sud ; l’autre, sur le site de l’Institut Français de la Vigne et du Vin parce qu’il évoque la législation, ainsi que les différentes pratiques en vigueur; enfin, une étude fort intéressante menée par l’INRA en son domaine de Pech Rouge, près de Narbonne. Bonne lecture.

Michel Smith

5 réflexions sur “Irrigation ou pas. Là est la question!

  1. De retour d’un séjour d’un mois en Australie,où je vais régulièrement, j’ai visité 32 wineries dans le Victoria et South Australia. L’irrigation en Australie est installée presque partout, son utilisation dépend de ce que le vigneron souhaite produire comme vin.
    J’ai rencontré des vignerons qui n’ont utilisé que 2/3 nuits leur installation, cette année, car rien n’exigeait plus.
    D’autres ont été contraints d’augmenter le nombre de jours sans dépasser 10/12, toujours de nuit en goutte à goutte.
    Les résultats sont « dégustables »..de bons, très bons voir très grands vins !
    Deux pinot noirs de Victoria (Pimpernel wines) sont remarquables de finesse et d’élégance, ont eu un petit peu d’irrigation juste aux moments décisifs (nouaison, véraison). Toujors en Victoria, Yarra Yering n’utilise plus d’irrigation pour les vignes de plus de 25 ans, résultat des vins puissants mais parfaitement équilibrés(blanc et rouges).
    En South Australia, dans Adelaide Hills, il n’est pas nécessaire d’irriguer, seuls les plantiers sont un peu irrigués, les vins sont équilibrés et subtils.
    Dans Barrossa Valley et McLaren Vale, l’irrigation est prédominante, le climat l’exige, mais bien conduite cette irrigation apporte équilibre et fraîcheur.
    A Clare Valley, beaucoup de propriétaires utilisent l’irrigation mais là aussi avec beaucoup de réserve, juste pour donner le « petit coup de pouce » au moment crucial.
    Le but n’est pas de produire à tout va, mais d’équilibrer les vins, de préserver les vignes et d’obtenir des résultats qualitatifs reconnus.(Ex: Kilikanoon: Prodigal grenache, med Or au Grenache du Monde 2013)
    En Australie comme partout dans le monde, il y a des producteurs soucieux de la qualité et de la typicité de leurs vins, et d’autres.
    Ce n’est pas l’irrigation qui les départagera, mais l’usage qu’il en font…
    Claude

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  2. pouchin

    Bonsoir
    Juste quelques remarques qui paraîtront peut-être iconoclastes mais bon allons y :

    – Hors AOP pas de problème pour irriguer s’il n’y a pas d’autre solution ( technique)
    – Dans la zone d’AOP. La vigne vit en méditerrané depuis presque 5000 ans parait-il, sans que sa survie n’en soit affectée. Bien sur sans la demande de rendement actuelle …mais la demande de rendement dans le contexte d’AOP devrait être bornée, non ?
    – Si le réchauffement climatique doit être l’argument de l’installation de goutte à goutte, alors poussons le raisonnement au bout et que ferons nous quand les réservoirs d’eau seront vides ? Je vais le dire autrement. Irriguer la vigne aujourd’hui au motif de réchauffement climatique est une façon de s’empêcher de penser l’adaptation des itinéraires techniques adaptés à la sécheresse. Comme une façon de mettre la poussière sous le tapis en attendant que d’autre la trouve ( la poussière …)
    – Enfin l’argument des vins équilibrés : un AOP n’est pas la garantie d’obtenir un bon vin ( et puis c’est quoi un bon vin ? ) mais celui d’obtenir un vin d’Origine. Dans cette origine figure le climat, le sol, les cépages et les techniques. Si le climat est modifié par l’irrigation, pourquoi alors ne pas modifier les sols, et puis les techniques, comme ça l’AOP ne voudra plus rien dire du tout et nous boirons des vins plus équilibrés , mais sans identité, sans histoire et surtout … reproductibles ailleurs, délocalisables en quelque sorte.
    Bien à vous.
    ppouchin

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    1. Un vin doit-il être en AOP pour être intéressant, pour qu’il plaise à un certain nombre ? Il y a bien des vins pour lesquels une appellation ne se justifie pas et d’autres qui ne revendiquent rien tout en étant de grande qualité…en France comme partout dans le monde..

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      1. pouchin

        Nous sommes bien d’accord, mais alors il faudrait convaincre la plupart des vignerons que de ne pas produire en AOP n’est pas une déchéance, et il faudrait mettre le paquet en terme de communication sur cette catégorie intermédiaire (IGP ?) et lui donner la puissance commerciale pour exister sur le marché monde.
        Vaste programme …

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  3. Non, bien sûr, l’AOC n’est pas le sésame en la matière (j’en parlerai mercredi ici même).
    Quant à l’irrigation, juste une réflexion: le développement de la viticulture en Alentejo, au sud du Portugal, sur des zones qui ne produisaient jusqu’alors que du blé, s’est fait uniquement par l’irrigation. Jusqu’alors, seules de petites zones propices produisaient du vin; aujourd’hui, la vigne s’est disséminée. Tous ces nouveaux vins ne sont pas inintéressants, tous ne sont pas indispensables non plus. Cette irrigation a été payée par l’Europe, un quelconque fond de développement rural. Nous, en définitive. Nous avons donc payé de deniers publics pour développer une viticulture à un endroit où il n’y en avait pas, pour favoriser la concurrence à des vignerons existants. Alors que l’Europe distille déjà pas mal de vins invendus. Et bien sûr, se pose le problème de l’alimentation en eau dans une région sèche.
    Face à tout ça, je ne peux m’empêcher de penser que quand l’Etat (national ou européen) intervient dans une activité commerciale privée, il fait parfois de gros dégâts. J’aimerais avoir le sentiment de Jacques Berthomeau là dessus.

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