Menacée une fois de plus, l’appellation Vouvray ne sombrera pas !

Pour certains ce pourrait être une histoire de clochers des plus banales, comme il en existe des milliers dans notre Douce France. Pour d’autres cela relève de la politique locale, donc circulez, y’a rien à voir. Sauf que là, ça se passe en Touraine, une Touraine chère à mon cœur et qu’une fois de plus cela implique la pression immobilière et débouche par la même occasion non pas sur une bonne bouteille de Vouvray brut, mais sur la boulimie tentaculaire d’une grande ville qui souhaite s’élargir en une communauté de plusieurs villages-dortoirs au détriment d’un vignoble-paisible, pour ne pas dire pépère qui, bien que classé et célébré de par le monde, souhaite rester entier pour mieux couler des jours heureux. Pot de terre contre pot de fer, vignerons mis face à la politicaillerie provinciale, contre les princes et leurs baronnets qui tentent de grappiller ce qui reste de territoire de verdure et d’agriculture autour d’eux, qui plus est dans une chaude ambiance électorale où les promesses sonnantes et trébuchantes sont monnaies courantes. Dans de telles circonstances, quel peut-être le poids d’un petit vignoble aussi glorieux fut-il dans l’histoire régionale ? Finalement, pas grand chose.

Unknown

Sauf s’il se bat. Et l’appellation Vouvray, puisque c’est de ce vignoble ô combien tourangeau qu’il s’agit, pourrait s’en tenir là, se laisser marcher dessus, se faire piétiner à n’en plus finir par les élucubrations et les ambitions d’une grande cité décidée à s’étendre coûte que coûte, surtout par là où la campagne est encore belle, là où elle est souriante, là où elle façonne le territoire. Seulement voilà, à Vouvray, pays de Balzac, la Comédie Humaine, on connaît. Depuis les années 30, notre écrivain national a même une place à son nom et sa statue trône à deux pas des illustres vignes de chenin, tout comme Rabelais y a son square. Tandis que plane au dessus des caves l’âme d’un Gaston Huet, à Vouvray, on ne badine pas, surtout avec l’histoire. Amateurs de rillettes et de bons vins, les vaillantes troupes de la Chantepelure savent se mettre en branle pour défendre leur territoire. Bref, les Vouvrillons ne se laissent pas faire et leur victoire contre le tout-puissant TGV qui devait traverser à une époque pas si lointaine leurs vignes au lieu de passer sous un tunnel en est la plus convaincante des illustrations.

La carte de l'appellation montre les liens étroits avec l'agglomération de Tours. Photo©MichelSmith
La carte de l’appellation montre les liens étroits avec l’agglomération de Tours. Photo©MichelSmith

Pour voir les choses de manière pragmatique, il suffit de se pencher sur la carte de l’appellation Vouvray dessinée par Benoît France. Vouvray n’est finalement qu’à une dizaine de kilomètres de Tours. Un atout et un risque à la fois. Je sais qu’il est difficile de résumer une histoire complexe et paysanne à souhait, mais en gros, trois communes, de celles qui sont les plus proches de la capitale locale, et non des moindres (Rochecorbon, Parçay-Meslay et Chanceaux-sur-Choisille) faisant partie de la Communauté de Communes du Vouvrillon, ont choisi de faire sécession pour aller rejoindre Tours Plus ou la communauté d’agglomération tourangelle. Le tout est bien mieux résumé dans cet article du Monde.

Bon, j’en entends qui vont me reprocher de prendre une fois de plus position là où je n’ai pas pied, là où je n’ai nul besoin de mettre mon nez, ou en gros de me mêler d’affaires qui ne me concernent pas. Mais que voulez-vous, chaque fois que des gens, même bien intentionnés, touchent à la vigne, cela me met hors de moi. Du calme, me direz-vous, point n’est question pour l’heure de toucher à la vigne ! Ce à quoi je rétorque que l’impérialisme du béton, des hyper grandes surfaces et des mannes de fric, je connais. Ce sont les plus dangereux prédateurs de la vigne. Oh, je n’ai pas à chercher bien loin pour affirmer de telles idioties. Chez moi, à Perpignan, rien qu’en regardant vers les quartiers sud, ce sont des dizaines d’hectares de vignes qui, chaque année, sont grignotés sans vergogne par les  tenants d’un capitalisme décomplexé ou débridé qui construisent des hameaux dortoirs, des cités du même nom, des centres commerciaux à n’en plus finir tous plus rutilants les uns que les autres, des réseaux routiers à ne plus savoir qu’en faire et des parkings démesurés pour parquer tout ce petit monde. Tiens, d’ailleurs, si quelqu’un pouvait me donner le chiffre en milliers d’hectares de vignes disparues ces derniers temps dans l’agglo de Perpignan, je lui offre une bouteille de mon Carignan nommé Puch !

Philippe Brisebarre, président des vignerons de Vouvray. Photo©MichelSmith
Philippe Brisebarre, président des vignerons de Vouvray. Photo©MichelSmith

Lors du Salon des Vins de Loire, alors que le président d’Interloire se souciait plus de sa propre publicité héliportée que de la sauvegarde du bien commun de la viticulture ligérienne, je me suis entretenu brièvement avec Philippe Brisebarre, efficace et infatigable président depuis 24 ans du syndicat Viticole de Vouvray, un homme pour lequel j’ai beaucoup d’estime, président depuis peu du Comité Régional Val de Loire de l’INAO, vice-président du même organisme et excellent vigneron au demeurant. Entre un sec 210 splendide, un demi sec 2008 superbe et un moelleux 2002 de toute beauté qui lui faisait esquisser un sourire de fierté, ce colosse m’est apparu dépité, très inquiet pour l’avenir du vignoble et complètement remué par cette crainte légitime qu’il a de voir les vignerons les plus à l’ouest de son appellation répondre peu à peu à l’appel de l’argent facile en livrant leurs terres aux promoteurs. Peut-être qu’à leur place j’aurais moi aussi cédé aux sirènes du fric ? Qui sait, je ne suis pas infaillible ? On a tous nos faiblesses face à la tentation.

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

Toujours est-il que, de là où je suis, loin du tumulte, je cède volontiers la place à l’organisme qui se bat clairement pour que le terroir vouvrillon ne soit pas trop dérangé ni trop amputé de ses vignes, en vous incitant à aller les voir ici, sans oublier le site des vignerons du cru. Laissez vos messages. Faîtes part de vos interrogations, de vos doutes, de votre colère. Indignez-vous, comme dit l’autre. Moi qui ne suis rien dans cette histoire qu’un vulgaire passeur de patates chaudes, je m’en remets à votre conscience pour que les dissidents de ces trois communes de l’appellation Vouvray réfléchissent et revoient leurs actions. Il y a des pans entiers de notre histoire à protéger. Pour le bien du vin.

Michel Smith

8 réflexions sur “Menacée une fois de plus, l’appellation Vouvray ne sombrera pas !

  1. Luc Charlier

    « Tu as raison, Forgeron, tu as raison, de toucher aux terroirs que tu aimes », comme affirmaient les enfants de la femme du roulier à leur mère, dans la chanson paillarde. Vouvray est une des vraies GRANDES appellations françaises (pas simplement un sac vide ficelé pour faire plaisir aux caciques). Que de fantastiques bouteilles (moelleux surtout, soyons honnêtes) n’avons nous pas tous bues ? Bon faudra qu’on m’explique pourquoi Montlouis n’en fait pas partie, d’autant que sur Vouvray même, entre le coteau au-dessus du village, les collines autour, les sols de tuffeau et les sols d’aubuis ou de perruches, il y a une sérieuse inhomogénéité (hétérogénéité ?, le « clivage pour tous », quoi) aussi. Mais soit : il faut sauver le soldat Vouvray, son vin, ses rillons, ses habitations troglodytes, ses petits recoins dans les vignes où il fait bon s’arrêter pour le pic-nic (et la nique) ….
    Bon après, les « repreneurs », aux yeux bridés ou autres, filent vers le sec, augmentent les rendements, chassent les vieilles gloires hors des chais (n’est-ce pas, Monsieur Noël P.) et les dernières générations (Leray par exemple) sont obligées (ou choisissent) de devenir négociant plutôt que de continuer le dur métier de vigneron. Pourtant, c’était joli, non, Vignoble de la Cave à la Biche, comme raison sociale? Et combien de fois ne sommes nous pas revenus à la surface et à la clarté couverts de craie et … bien bourrés, après une verticale dans les tunnels souterrains qui souvent nous envoyait ronfler à l’horizontale par après?
    Par contre, pour la plaine autour de Perpignan, je suis moins affirmatif, que ce soit au sud ou près du cimetière ouest. Il s’agit d’un vignoble éminemment « remplaçable », s’échauffant très vite, peu irrigué spontanément, à densitométrie souvent très (trop ?) fine, où les tordeuses se répandent plus vite que l’extension du TGV vers Barcelone. Le seul domaine par là qui s’était extrait du lot était celui du regretté Max Mallet (horreur, un estranger), mais il le devait au charme du bonhomme, à sa vision originale (mourvèdre, rolle ….) et à ses talents de communicateur. Si on veut mettre des clapiers à humains, autant le faire à Maillolles ou au Mas Ballande plutôt qu’à Cosprons ou Montner, si tu veux mon avis. Je n’aime pas les vignes de plaine en zone de savanne.

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    1. Luc Charlier

      Sorry, il faut lire « granulométrie » au lieu de « densitométrie ». Le maragogype n’a pas encore fait tout son effet.

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  2. Merci pour votre très bon texte plein de sincérité et pas dénué d’humour. Puisse-t-il éveiller les consciences les plus influentes de notre pays car nous craignons une décision fatale au mois de mars ! Merci aussi d’avoir mentionné notre site qui atteint les 150.000 visites.
    Une info : une délégation du Vouvrillon est reçue à l’Elysée demain vendredi 22 février. Philippe Brisebarre ne manquera pas de vous tenir au courant des suites de cette rencontre. Cordialement

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    1. alain le capitaine vigneron à ROCHECORBON

      Je vous remercie de votre commentaire, sachez que nous sommes nombreux à avoir était trompé par nos différents conseils municipaux . la vigne est une affaire de tous, sauvegar d’un environnement toujous plus bétonné
      peut_être qu’un jour les gens deviendront plus raisonnables…….ou responsables.

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  3. Malheureusement le préfet a choisi de raccrocher Rochecorbon et Parçay Meslay à l’agglo de Tours. Cela risque d’être dangereux à moyen terme pour Vouvray. Nous restons vigilants. Encore Merci Michel pour ton soutien.

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