Ils ont choisi l’export

Nous sommes souvent bien trop obnubilés par nos propres marchés de vin, où qu’ils se trouvent.

Le marché français, par exemple, est en recul depuis des années. Et reste extrêmement encombré pour un producteur qui souhaite mieux valoriser ses ventes, les développer, ou simplement les maintenir alors que le marché domestique se rétrécit à vue d’œil. Jusque récemment, à l’exception de quelques régions en vue pour les importateurs et consommateurs étrangers (Bordeaux, Bourgogne, Rhône et Champagne, essentiellement) exporter ses vins pouvait sembler un pas difficile à franchir pour un « petit » vigneron. Bien sûr, la structure des plus grands facilite les choses pour eux. Mais les petits ont souvent hésité.

Ce n’est plus le cas, et cela m’a été magistralement démontré par quelques témoignages lors des récentes Rencontres des Vignerons Indépendants, un événement annuel qui, cette année, s’est tenu à Epernay. Le thème de ce colloque étant l’exportation, son utilité, et ses avantages (mais aussi ses contraintes), ces témoignages allaient nécessairement dans le sens d’un encouragement pour ceux qui n’ont pas encore franchi le pas. Mais les difficultés n’ont jamais été dissimulées, car ce chemin comporte aussi des embûches.

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Fabrice Durou

Fabrice Durou, du Château de Gaudou à Cahors, a pris le taureau de l’exportation par les cornes, et ce depuis quelques années. Ce jeune homme explique sa démarche avec clarté et conviction. Il vend au Canada, aux Etat-Unis, en Belgique et dans une bonne dizaine d’autres pays, ce qui a sans doute sauvé son entreprise familiale ou, pour le moins, l’a permis de se porter bien mieux que si il était resté sur le marché français. Sans avoir fréquanté d’école de commerce, Durou a tout compris de la démarche, en écoutant les gens et en étant présent sur le terrain. Sa clairvoyance, son sens de l’organisation et, sans doute, une dose de chance, ont fait le reste.

Adapter ses produits aux besoins et contraintes des marchés n’est pas un vilain concept pour ceux qui veulent franchir le cap de l’exportation, et cela ne veut pas dire « trahir » l’identité des vins de sa région. Car attendre le client, sûr que sa propre vision du vin est la seule qui vaille et sûrement le meilleur moyen de faire faillite à plus ou moins brève échéance. Olivier des Serres, l’agronomiste du 17ème siècle, le disait déjà clairement : « rien ne vous sert de faire des grands vins si vous n’ayez de grand marché ».

Pour Gilles Laurencin, le Bordelais, la difficulté de vendre ses cuves de cabernets qui ne trouvaient plus leur place dans ses assemblages « château » de plus en plus dominés par le merlot, a fait germer une idée nourrie par ses observations aux USA où l’on appelle le cabernet sauvignon « cab ». L’étiquette inclut même, en clin d’œil  un taxi Londonien, autre sorte de « cab ». Et cette création, qui reste très bordelaise, a marché et a sauvé ses cabernets d’un arrachage certain, tout en aidant l’entreprise à gagner des marchés. Cela ne s’est pas fait tout seul, et a rencontré l’opposition de la génération précédente, mais ce « cassage de codes » a bien fonctionné.

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Le « Cabs » de Gilles Laurencin

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Domaine des Annibals

Quand on vient d’une famille vigneronne, il y a souvent un souci de moins : celui de payer son vignoble, même si les droits de succession peuvent être lourds. Mais venir de l’extérieur peut aussi être un avantage, car on est moins lié par des habitudes souvent sclérosantes. Nathalie Coquelle (ci-dessus, à droite) est arrivée sur son domaine en Provence après avoir travaillé dans la finance. Mais il lui a fallu reprendre complètement une propriété apparemment en mauvais état et démarrer une activité de vente assez valorisante pour soutenir une démarche bio. Le Domaine des Annibals a choisi la voie des salons pour trouver des marché à l’export, et ses étiquettes intriguent tout en jouant sur des thèmes et des mots ancrés dans le lieu de production ou l’histoire du nom du domaine.

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Les Annibals

Il n’y a pas de règle pour réussir à l’exportation, sauf à dire qu’il faut bien pondérer ses capacités, ses envies, et puis aller étudier l’univers concurrentiel dans lequel on sera inséré. Ensuite raconter son histoire sans être prétentieux. Vous trouverez bien des marchés, à côté des grands. Tout le monde aime les histoires, du moment qu’elles ne sont pas à dormir debout !

David

7 réflexions sur “Ils ont choisi l’export

  1. Faut-il parler de partie émergée de l’iceberg, ou de minorité agissante? Toujours est-il qu’on entend moins parler de ces petits qui se lancent à l’assaut des marchés que des grandes entreprises, négoces, coopératives, qui finissent par crouler sous les dettes malgré les subventions, les prêts, les moratoires. Je ne peux m’empêcher de me dire que Mme Coquelle ou M. Durou ne bénéficieront jamais des largesses du Crédit Agricole, ou de la compréhension des tribunaux de commerce dans les mêmes proportions qu’une cave du Mont Tauch, par exemple – et ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dire, pas plus que je ne souhaite la mort du petit cheval, je ne souhaite celle de la petite coopé qui a voulu se faire plus grosse que Duboeuf…
    On va encore me traiter de néo-lib… mais les aides de l’Etat, directes ou indirectes, la mansuétude sélective des banques ou des pouvoirs publics sont autant de distorsions de concurrence. Il y a toujours des explications ou des excuses à tout, les voies de la faillite sont toujours pavées de bonnes intentions, mais le marché reste le marché. Simpliste? Oui, sans doute… mais le bon sens l’est toujours un peu.
    Quoi qu’il en soit, bravo à ceux qui prennent des risques… mesurés, avec leurs propres sous, notamment à l’exportation.

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  2. Heureusement qu’il y a des vignerons comme eux: entreprenants, modestes et prêts à apprendre des autres. J’aurais pu aussi parler d’Isabelle Mathieu ou de Maxime Blin, en Champagne, et de pas mal d’autres. Ce sont rarement des «vedettes» et ils ne sont pas toujours connus en France, mais ils sont très respectés à l’export. Dans une autre dimension, qui touche le négoce créatif, on pourrait aussi parler de gens comme Lionel Osmin dans le Sud-Ouest et de Paul Mas en Languedoc. Ces gens font bouger les lignes tout en restant identifiés à leur région.

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  3. WestWineStory

    Beau constat, il est vrai que pour beaucoup de propriété, des opportunités sont à saisir! Mais mine de rien je crois que cela nécessite une forme d’audace qui n’est pas (encore) ancré chez nous.

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  4. L’enquête de l’Observatoire des Vignerons Indépendants a été très révélatrice de ce fait, les structures famililaes des Vignerons Indépendants exportent à 66 % ! Et 75 % de ces « family estates » comme dit lors des Rencontres exportent hors UE. On n’en parle peut être pas, ou moins que les grosses structures, mais ça existe ! Evidemment comme nous sommes des milliers, cela passe inaperçu. Mais ne dit-on pas pour vivre heureux, vivons cachés ! En tout cas merci à David, à Jim et à Hervé pour leur participation, ces Rencontres ont été hyper intéressantes, et chacun en est revenu enchanté.

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  5. Olivier Borneuf

    Trés bon David. J’ai eu la chance de comparer des vieux textes qui donnaient des conseils à l’export aux démarches actuelles des vignerons que tu cites en exemple : fini l’époque où il fallait au moins 10 000 btles pour un marché export. Aujourd’hui c’est du « flux tendu » et une forte valeur ajoutée. Exemple : un vigneron champenois (Cumières) travaille sur 2,5ha et exporte dans 16 pays ! Attention cependant de ne pas partir la fleur au fusil, tu fais bien de rappeler quelques préalables nécessaires à une bonne prospection.
    Bravo aux vignerons entreprenants que tu cites (et les autres !)

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