Le Faux Gras nous gave

Cette semaine, nous accueillons Eric Boschman, sommelier et consultant belge doté d’un joli brin de plume. Il nous parle, non pas de vin, mais de foie gras. Non, en fait, de faux gras.

Méfiez-vous des imitations, des amalgames et du dénigrement…foiegras-524x433

Du foie gras, du vrai

Chers amis militants anti foie-gras,

Nous ne nous connaissons pas, je le regrette car je suis sûr que vos idées sont magnifiques. Je profite de ces quelques centimètres carrés pour vous écrire une petite lettre. En effet, depuis quelques années, mes oreilles sont saturées, comme le foie d’un palmipède fatigué, par une campagne publicitaire financée par votre association.

 «Pas de foie malade à ma table»

Elle me me gave, et je ne vous parle même pas de votre dernière spot radio en Belgique, où une hystérique allumée annonce que « le foie gras est un foie malade ».

Je crois en la juste cause de votre combat, je crois que le bien être des animaux, comme celui des humains et des végétaux, est un droit fondamental dans une société évoluée telle que la nôtre, même si parfois un doute raisonnable peut-être de mise quant à cette évolution. Je trouve formidable les actions menées par votre association et vos militants pour que l’on traite vraiment mieux les bêtes. Je me souviens d’un truc à propos du chargement des vaches dans des camions, où votre travail à changé fondamentalement les choses, et je trouve ça, je le réécris, exceptionnel.

Mais là, je suis un peu étonné, et le mot est léger, face au raccourci que vous prenez.  A cause de vous, des centaines, peut-être même des milliers de gens, croiront cette histoire de bête malade et se détourneront du produit. Il y a déjà douze pays dans l’Union Européenne qui ont interdit le gavage. Croyez vous qu’aux Pays-Bas, où ce travail est illégal, on ne mange plus de foie-gras ?

Non, simplement on l’importe, en le contrôlant un rien moins bien, en paupérisant un peu plus les petits agriculteurs qui se diversifiaient grâce à cette production et on augmente de manière drastique l’empreinte carbone de ce produit. Je sais, je m’emballe, je fais des raccourcis et en plus on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs.

Mais bon, reprenons. Le spot, pardon la scénette, met en en évidence un médecin qui parle de stéatose. Il est vrai qu’un foie plein de graisse au stade de la stéatose n’est pas en top bonne santé. Vous voyez, nous pourrions finir par nous entendre, je ne suis pas rabique. Je n’entrerai pas non plus sur le terrain historique, car au nom des traditions, un tas de choses parfois stupides sont faites. Et même si les gaveurs n’ont fait, depuis l’époque romaine, que suivre ce que font tous les agriculteurs, c’est à dire, reproduire, amplifier, structurer des mouvements naturels pour augmenter leurs rendements et pourvoir à la nourriture des humains en général, les habitudes alimentaires ont changé et ce qui était bon il a 2000 ans ne l’est plus forcément aujourd’hui.

Je suis interloqué par votre pub parce que d’une part, elle me la joue tragique, et que d’autre part elle me dit de remplacer mon plaisir par une chose que je trouve parfaitement immangeable, fabriquée Outre-Rhin à base d’huile de palme, de fécule et de champignons, sans oublier les exhausteurs de goût.

Certes, l’huile de palme, lorsqu’il s’agit de sauver les canards et les oies, c’est de circonstance. Bon, ok, je sais, l’humour, c’est pas votre truc, j’arrête ici. Une fois encore, je souligne le coût environnemental du transport, mais ce n’est qu’un détail, surtout depuis l’Allemagne voisine. Je suis surpris lorsque j’entends ce qui est sous entendu dans cette réclame, car il ne s’agit en fait que de réclame pas d’information, ce serait même plutôt le contraire, même s’il n’est pas possible, je conviens avec vous, de placer tous les éléments à charge et à décharge de ce dossier sur trente secondes.

Je suis surpris, écrivais-je, par ce qui est sous entendu; en fait, il y a une bonne et une mauvaise attitude à table. Celle qui consiste à acheter vos petites boîtes est bonne, celle qui consiste à ne pas le faire et à manger selon son bon plaisir est mauvaise. Comment nomme-t-on ce genre de façon de procéder par un bien vilain mot qui commence par F et se termine par isme ?

Ne serait-il pas temps de cesser le harcèlement par la bien pensance ? Un des mes amis, restaurateur doublement étoilé de la bonne ville de Bruxelles, à reçu une véritable lettre d’insulte d’une dame, même pas cliente, lui demandant de quel droit il osait encore proposer du foie gras à sa carte. Une autre de mes amies, rédactrice dans un magasine féminin m’a dit qu’à chaque recette proposée avec du foie gras, elle recevait des lettres d’insultes, voire de menace. Mais où va-t-on, mes amis ? C’est quoi ce cirque ? Est-il utile d’énerver les gens avec ces histoires, qui ne sont pas des problèmes, alors que tout fout le camp ?

Et puis, franchement, en matière de cruauté animale, avez-vous connaissance, j’espère que oui, de la charte européenne pour la production de palmipèdes gras? Faites moi le plaisir de la lire, vous verrez qu’il n’est question que de bien être animal, pratiquement de la première à la dernière ligne. Savez-vous aussi que la Belgique est le pays du monde le plus en pointe en matière de protection et de respect des palmipèdes gras ? Qu’un animal blessé vaut au gaveur un avertissement de la part du vétérinaire de l’AFSCA qui le suit et que ces avertissements, s’ils se répètent, peuvent valoir une suppression du droit de gaver à l’artisan ?

Savez-vous, amis anti-foie gras, que la Belgique oblige à une formation de quinze jours les futurs gaveurs pour leur apprendre le respect et le bien être des animaux? Oui, j’en suis bien certain. N’oubliez pas, s’il vous plaît, que ces canards et oies, se gavent, certes pas dans la même proportion, dans la nature avant leurs grandes migrations, et que les animaux que nous mangerons, si l’on cesse de les gaver au bout de douze jours, retrouveront un foie tout à fait normal en quelques semaines. Ce n’est donc pas une maladie comme vous le faites croire aux plus faibles d’entre nous, aux moins bien protégés mentalement, qui peuvent croire à vos balivernes. Retenez le, ces oiseaux ne sont pas malades, ils maigrissent dés que l’on cesse de les gaver. Alors que pour moi, rien n’est moins sûr…

Sur ce, je vous livre ici quelques arguments en faveur du gavage car je pense que le faux gras n’est qu’un faux, et que rien ne vaut le vrai. Définitivement. Qu’il s’agisse de sein, de frère ou de gras.

Avant de vous livrer des arguments en faveur du gavage, car il faut être complet, je m’en voudrais de vous quitter sans vous livrer un peu d’information complémentaire à propos de cette merveilleuse huile végétale comme l’on nomme pudiquement « huile de palme durable » sur vos étiquettes. Allez donc voir, a cette adresse, à lire in extenso, si vous voulez vraiment avoir une idée de ce que vous mangez parfois. http://vivresanshuiledepalme.blogspot.be/2012/02/rspo-ou-la-mauvaise-blague-du-durable.html.

Arguments en faveur du gavage (Wallonie et Belgique)

La Belgique constitue le seul pays du monde possédant une législation spécifique au bien-être des palmipèdes à foie gras (Arrêté Royal du 25/04/1994), avec notamment l’obligation de suivre une formation agréée pour pouvoir procéder au gavage des palmipèdes gras,

Cette législation a été renforcée au 1er janvier 2011 pour interdire la cage individuelle au profit d’un logement collectif en gavage, suite à une Recommandation adoptée par la convention européenne pour la protection des animaux dans les élevages. La Belgique constitue le seul pays européen à avoir respecté les échéances pour la mise en application de cette Recommandation,

La Belgique a signé la charte européenne pour la production de palmipèdes gras émanant de la Fédération européenne du foie gras (Euro Foie Gras): dans cette charte, le secteur professionnel du foie gras s’engage à respecter les 12 principes relatifs au bien-être des animaux retenus dans le «Welfare Quality Project»,

L’élevage et le gavage offrent une opportunité de diversification dans les exploitations agricoles recherchant un complément de revenu. Cette diversification est soutenue par la Région Wallonne et le Ministre en charge de l’Agriculture : voir le projet d’encadrement zootechnique et vétérinaire des palmipèdes à foie gras financé par la DGARNE (Direction du Développement et de la Vulgarisation) et confié à l’Ulg, Clinique vétérinaire universitaire de la Faculté de Médecine vétérinaire. Voir aussi la présence de la Filière Avicole et Cunicole Wallonne, financée par la Région Wallonne et qui soutient la production de foie gras,

Depuis septembre 2011, en Wallonie, un Arrêté ministériel reconnaît officiellement des critères minimaux de qualité différenciée en volailles, en tenant compte, juste pour info, des recommandations de GAÏA (non, ce n’est pas de la schizophrénie que de participer à l’élaboration d’une réglementation visant à améliorer le sort des animaux à gaver et dans un même temps proclamer Urbi et Orbi tout un tas de contre-vérités, c’est juste un bon business) . Le canard à foie gras en fait partie.

Le gavage des canards constitue une courte période dans la vie de l’animal : maximum 2 semaines sur plus de 13 semaines de durée d’élevage. Par ailleurs, les animaux ont accès à un parcours extérieur au moins la moitié de leur vie. Depuis des années déjà, les professionnels ouvrent leur porte au grand public (fermes ouvertes) pour montrer comment ils travaillent,

Les chercheurs français de l’INRA, dont Jacques Servière, ont démontré que le gavage, en conditions normales, n’apparaît pas comme étant générateur important d’actions irritantes sur le tractus digestif. Ces actions irritantes auraient en effet pour conséquence une inflammation tissulaire. Elles se mesurent par le rythme cardiaque, le taux de corticostérone, la réaction d’extravasion plasmatique neurogène de l’œsophage, ainsi que des mesures au niveau du système nerveux,

Jusqu’à présent, il n’a jamais été démontré la possibilité d’une alternative au gavage pour obtenir du foie gras, mais le secteur est proactif et ouvert aux recherches scientifiques. Il faut savoir que pour être reconnu comme «foie gras», celui-ci doit peser au moins 300 grammes (exigence issue de la réglementation européenne relative aux normes de commercialisation des volailles).

Si vous voulez exercer votre libre arbitre, et ne pas forcément penser comme les réclames radiophoniques le voudraient, allez donc voir sur  www.facw.be

Eric Boschman

(Pour plus d’info, on se reportera à l’article paru sur l’excellent blog d’Eric, Saturday Wine Fever).

2 réflexions sur “Le Faux Gras nous gave

  1. Bien d’accord avec Eric. Mais s’il se dit pas rabbinique (tendance Hassidique peut-être), j’ai une photo qui tend à prouver le contraire ! (écrire à le rédaction pour des preuves)

    J’aime

  2. S. Grevrend

    Bonjour Eric,

    Merci d’avoir partagé votre point de vue. J’ai aimé passionnément le foie gras et j’en ai beaucoup mangé.

    Vous semblez valoriser, à juste titre, l’exercice du libre arbitre documenté.

    C’est pourquoi, au sujet de l’INRA et de Jacques Servière, je me permets de vous recommander la lecture de l’ouvrage « L’INRA au secours du foie gras: Enquête sur une expertise publique sous contrôle de l’Industrie. » d’Antoine Comiti.

    Tout le bonheur gustatif qu’a pu me faire connaître le foie gras au cours de ma vie ne légitime pas à mon sens pour autant d’accepter les arguments de l’industrie sans aller chercher plus loin.

    L’argument de la courte durée du gavage ne me convainc pas. Deux semaines représentent 15,38% de la courte vie de ces pauvres volatiles (13 semaines). Onze années et demie d’enfermement et de gavage vous sembleraient-elles acceptables au motif qu’elles ne représentent que 15 % d’une vie humaine moyenne de 75 ans ? (Vous me rétorquerez que personne ne prévoit de manger votre foie, ce dont me réjouis pour vous, mais pour l’argument, imaginons un instant que cela soit le cas. Je ne vous le souhaite pas, cela va sans dire !)

    En ce qui concerne la réversibilité de la stéatose, voici ce que dit le Rapport du Comité scientifique de la Commission Européenne pour la santé et le bien-être des animaux

    « Les aspects de bien-être des canards et oies dans la production de foie gras ». Adopté 16/12/1998

    Le groupe de travail qui a établi ce rapport était constitué de :
    • Dr. P. Le Neindre
    Institut National de la Recherche Agronomique, Theix, France
    • Prof. P Willeberg
    Royal Veterinary & Agricultural University, Frederiksberg, Danemark.
    • Prof. P. Jensen
    Swedish University of Agricultural Sciences, Skara, Suède
    • Prof. D Broom
    Dept. of Clinical Veterinary Medicine, University of Cambridge, Grande-Bretagne
    • Prof. J. Hartung
    Institut fur Tierhygiene und Tierschutz, Tierarztliche Hochschule Hannover, Allemagne
    • Dr. R. Dantzer
    Neurobiologie Intégrative Unité 394, INSERM, Bordeaux, France.
    • Prof. D. Morton
    Dept. of Biomed. Science and Biomed. Ethics, Medical School, University of Birmingham, Grande-Bretagne
    • Prof. P. Bénard
    Faculty of Veterinary medicine,Université de Toulouse, France
    • Prof. M. Verga
    Facolta di Medicina Veterinaria, Universita di Milano, Italie
    • Dr. J.M. Faure
    Poultry Research Station (INRA), Nouzilly, France
    • Dr. I. Estevez
    • Dr. B. Nicks
    Faculty of Veterinary Medicine,University of Liège, Belgique

    Section « Force feeding and pathology » qui traite de la réversibilité de la ‘stéatose hépatique (condition d’un foie hypertrophié d’un animal gavé) et du caractère pathologique du foie gras :

    « La réversibilité de la stéatose […] ne signifie pas que les changement dans le foie ne sont pas pathologiques. […]. Une autre indication du degré pathologique des changements du foie sont de considérer si les oiseaux mourraient si la stéatose qui existe à la fin de la période de gavage devait continuer. Tous les producteurs prennent soin de maintenir des bons résultats techniques et de ne pas continuer le gavage quelques jours de plus parce que s’ils le faisaient, une très haute mortalité peut se produire. Les foies de ces animaux montreraient une stéatose à peine plus avancée avant qu’ils ne meurent. L’étude expérimentale dans laquelle le niveau de stéatose qui existe à la fin de la période de gavage serait maintenant pour quelques jours n’a pas été effectuée. Cependant, si le gavage est poursuivi pendant 3 à 4 jours (Bogin et al., 1984), le niveau de dommage aux cellules augmentent significativement. Cela est cohérent avec les rapport des fermiers qui indiquent que la mortalité augmente si le gavage continue plus longtemps que d’habitude. Il apparaît donc que le niveau de stéatose ordinairement observé en fin de gavage ne serait pas tenable pour beaucoup des oiseaux. Pour cette raison, et parce que le fonctionnement normal du foie est sérieusement altéré chez ces oiseaux au foie hypertrophié en fin de gavage, ce niveau de stéatose doit être considéré comme pathologique. »

    Le texte complet de ce rapport est disponible sur le site de l’Union Européenne : http://ec.europa.eu/food/fs/sc/scah/out17_en.pdf

    Tout cela pour dire que l’on peut se documenter, exercer son libre arbitre et parvenir à la conclusion que non décidément la com’ (euphémisme) des lobbies avicoles, ne nous convainc pas. De façon très personnelle, je ne peux plus remettre mes œillères même si les parties concernées m’assurent que si.

    Je regrette que le faux gras vous gave. En revanche, je me réjouis qu’il permette d’éviter d’autres gavages (bien réels ceux-là, et non figurés).

    Cordialement,

    S. Grevrend

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