Le grand public aime les médailles d’or

Notre invité suisse Alexandre Truffer (Romanduvin, Vinum…) nous parle des médailles des concours de vins…

Sujet âprement discuté, les médailles d’or des nombreux concours de dégustation sont parfois considérées comme arbitraires ou sans valeur. Une étude de l’Ecole de Changins, qui a fait déguster vins médaillés et flacons mal notés à des consommateurs avertis comme à des néophytes, montre que les amateurs apprécient les mêmes crus que les professionnels.

Les concours et leurs médailles provoquent des réactions paradoxales. D’un côté leur nombre ne cesse d’augmenter tout comme la quantité de vins qu’ils mettent en concurrence. Les multiples sollicitations qu’ils reçoivent de candidats au poste de juré, semble prouver qu’ils jouissent aussi d’un fort crédit auprès des professionnels. Et pourtant que n’entend-on, ou ne lit-on pas, sur ces compétitions? Leurs médailles seraient aléatoires (à cause de biais induits par l’ordre de dégustation, la formation défaillante des jurés, le type de notation utilisé ou l’influence de personnalités dominantes dans les jurys), les dégustateurs seraient formatés, les médailles distingueraient des vins sans défauts privilégiés par des œnologues et non les crus gourmands appréciés par les amateurs. Les médailles d’or existent En 2009, le chercheur Robert Hodgson a analysé 4000 vins inscrits dans treize concours américains. Il a voulu savoir quelles chances un vin médaillé d’or dans un concours A avait de remporter une médaille dans un concours B. Il en déduit que les médailles d’or sont aléatoires puisque le fait de gagner une distinction dans un concours n’augmente pas de façon significative celle d’en gagner une dans une autre compétition.

«Une conclusion douteuse» diront les esprits forts qui ajouteront que mettre tous les concours sur un pied d’égalité décrédibilise toute la méthodologie. En effet, gagner une médaille de bronze aux championnats suisses ne vous garantit pas un podium aux Jeux Olympiques. En outre, même lorsque les concurrents restent les mêmes, une troisième place à la première course de l’hiver n’est pas une garantie pour la suite de la saison. On peut donc faire la même analyse pour n’importe quel sport et le déclarer aléatoires puisque le gain d’une médaille dans une compétition ne présuppose pas de lauriers dans une autre. En revanche, la question de la pertinence des médailles pour les consommateurs a été peu étudiée.

En 2012, des chercheurs de l’Ecole d’Ingénieurs de Changins et des Maison du Goût-Actilait de Bourg-en-Bresse se sont demandé si la notation et les descriptions sensorielles des jurys de concours sont pertinentes, si les vins médaillés sont les préférés des consommateurs et si les descripteurs – positifs ou négatifs – se révèlent identiques chez les professionnels et les amateurs. «Les mauvais vins sont toujours identifiés comme mauvais, et les bons comme bons», résume Pascale Deneulin, responsable du projet pour l’Ecole d’Ingénieurs de Changins. Pour cette étude, douze vins blancs et douze vins rouges évalués au Concours des 7 Ceps (dont les pointages s’étageaient entre 57,5 et 90,0 points sur 100) ont été présentés à un panel de consommateurs spécialement entraînés à l’analyse sensorielle ainsi qu’à deux groupes de consommateurs de cent personnes chacun, l’un composé de Suisses, l’autre de Français. Nous les avons rencontrées.

«Il n’y pas de différence significative entre les deux nationalités. Ni entre hommes et femmes, ou entre jeunes et personne plus âgées. Par contre, le niveau de connaissance du vin joue un rôle. Plus un sujet apprécie le vin, plus il achète ses vins chez des cavistes ou directement chez les vignerons, plus son goût se rapproche de celui des professionnels. A l’inverse, plus les consommateurs achètent leur vin en grand surface, plus leur avis diverge des jurys de concours. On peut donc en déduire que les concours possèdent un véritable rôle éducatif et prescripteur» poursuit l’enseignante de la haute école romande.

«Les dégustateurs du Trophée des 7 Ceps ne donnent pas qu’une note, ils détaillent leurs impressions en indiquant l’intensité d’une douzaine de descripteurs (ce vin est-il un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout sucré, acide, animal, végétal, astringent, alcooleux, etc.). Ces avis nous donnent une cartographie des vins en lien avec leur note finale. On peut ensuite comparer ces descripteurs aux notes obtenues par les panels entraînés pour voir si la perception des vins est identique entre des «panels formatés» et les jurys de concours», explique Pascale Deneulin.

Conclusion, la majorité des descripteurs sont homogènes dans les deux groupes témoins. Les notes florales, fruitées, empyreumatiques (boisé) et les notions d’acidité, de sucré, de gras et de persistance, mais aussi le végétal dans les vins rouges ont globalement le même sens pour tous. En ce qui concerne la minéralité, la perception de l’alcool, les notes lactées ou l’amertume, les résultats montrent qu’il s’agit de notions beaucoup plus floues. Autre conclusion, et peut-être la plus intéressante, la corrélation entre note élevée (un bon vin) et présence d’un descripteur (j’aime ce vin parce qu’il est fruité, tannique ou animal).

Là encore, les caractéristiques positives ou négatives associées à un vin primé s’avèrent très similaires – à l’exception notable de la persistance – chez les consommateurs et chez les professionnels. «Sucré», «gras» et «fruité» voilà les composantes d’un bon vin rouge. Parmi les descripteurs jugés péjoratifs pour un vin, on trouve l’acidité ainsi que les arômes végétaux. Du côté des blancs, «floral», «fruité» et «sucré» remportent tous les suffrages tandis que le végétal, les notes animales et l’acidité ont un impact négatif.

Rappelons que ces vins fruités avec de la sucrosité ne sont pas plébiscités par des dégustateurs novices du Nouveau-Monde, mais bien par des palais éduqués de la région lémanique (France et Suisse) qui déclareraient peut-être, s’ils étaient interrogés sur leurs goûts personnels, privilégier la finesse et l’élégance. Mais pour s’en assurer, une nouvelle étude serait nécessaire…

Retour aux sources: Promotion des vins du pourtour du Mont-Blanc par valorisation novatrice de données sensorielles. Opération sélectionnée dans le cadre du programme de coopération territoriale européenne INTERREG IV France-Suisse 2007-2013 et réalisée par l’Ecole d’Ingénieurs de Changins (Pascale Deneulin, Christian Guyot, Eve Danthe), Actilait-Les Maisons du Goût (Jean-François Clément, Jean-Christophe Perrin, Sylvie Potier, Jean-Michel Herodet) et le Concours des 7 Ceps (Jean Dumont, Yves Paquier). An analysis of the concordance among 13 U.S. wine competitions, Robert T. Hodgson, Journal of wine economics, volume 4, issue 1, spring 2009.

Cet article est paru dans la rubrique Science de l’édition mai/juin 2013 de VINUM

Alexandre Truffer

8 réflexions sur “Le grand public aime les médailles d’or

  1. Luc Charlier

    Billet extrêmement intéressant, merci. Il pose les bonnes questions. Mais aucune information fiable n’en ressort. Ceci n’est pas la faute de l’auteur, mes remarques ne s’adressent pas à lui, mais au matériel sous-jacent.
    Tout d’abord, il est peu probant de comparer des athlètes – forme variable au cours du temps, moral fluctuant et compétition réelle avec des rivaux, des opposants, instables eux-aussi – à un vin, stable dans le temps (en tout cas dans les limites de la durée d’un concours à l’autre). Je sais que certains prétendent que le vin « vit » et qu’il y a des jours « fruit », mais ceci relève du folklore ésotérique, pas de l’analyse sensorielle. Par contre, il est certain que les conditions atmosphériques influencent les dégustateurs, et cela on ne peut pas le maîtriser.
    Ensuite, j’ai cru lire « Actilait ». Je ne sais pas ce que c’est mais c’est sans doute un « sponsor », comme les firmes pharmaceutiques dans le cas de la recherche médicale. Et dès lors, TOUT est biaisé, forcément pipé pour aller dans le sens souhaité. Le grand public ne se rend pas compte – moi, cela a été mon milieu pendant 15 ans – à quel point on peut inluencer les résultats d’une étude, n’importe laquelle, sans « tricher » sur les données brutes, mais simplement en modifiant les catégories, les méthodes d’analyse, les critères de rejet des cas et, surtout, l’avis des « experts » (tous payés).
    Une règle générale : une corrélation statistique, même réelle, même étroite, ne signifie pas forcément qu’il existe un lien de causalité ! Souvent, les gens sont en maillot de bain à la plage quand il fait chaud. Ce n’est pas pour autant que le fait de se mettre à poil réchauffe l’atmosphère, sauf au figuré bien sûr. Par contre, dans un petite théâtre parisien, la présence de 250 spectateurs avec leur métabolisme et l’allumage des spots fait effectivement augmenter la température ambiante.
    Les Suisses Romands pourraient être des Français. Ils entretiennent la même arrogance, comme dans la comparaison entre un dégustateur forcément novice du Nouveau Monde et la grande expérience d’un « Lémanique ». C’est sûr que le moniteur de ski lambda des pistes chicos au-dessus de Montreux, baiseur en hiver, charpentier ou maçon en été, est toujours un connaisseur en vin et que tous les professeurs des universités états-uniennes ou argentines sont des demeurés qui n’ont jamais quitté leur campus.
    Alors, puisqu’on reste au niveau de la casuistique, voilà mon avis – qui ne vaut pas mieux que celui de n’importe quel autre soiffard, mais pas moins non plus : les médailles sont du pipeau absolu. Elles servent à engraisser l’organisateur des concours, à flatter l’ego des jurés (quasiment jamais leur bourse) MAIS elles sont un argument de vente auprès d’une partie de la clientèle (à définir), beaucoup de marchands le remarquent.
    Hugh, Léon s’st exprimé.

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  2. Alexis

    De ma maigre expérience de jurys ouverts au grand public, OUI, il y a la plupart du temps un large consensus pour délibérer qu’un vin est vraiment mauvais (donc qu’il ne mérite rien) ou vraiment bon (médaille assurée). Après, on peut toujours débattre sur le vin qui méritait ou non une médaille de bronze (le jury était il assez nombreux, le vin était il bien servi, le jury était il bien qualifié, bien informé ou non..?). Je pense qu’une médaille semble toujours plutôt méritée mais que le problème est que dans les linéaires où on achète ces vins, ils font faces à d’autres vins n’ayant pas participés à ce même concours. Du coup, cela ne signifie pas grand chose.
    Les concours signifieront vraiment quelque chose le jour où tout les vins y participeront et/ou le jour où l’on annoncera sur l’étiquette les vins ayant ‘perdus’. En attendant, choisir un vin médaillé d’or ou d’argent, c’est toujours s’affranchir de boire une pure piquette.

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  3. Luc Charlier

    Très intéressant, Alexis.
    Je pense que, si on attrape les 100 premiers passants sur un trottoir qui acceptent de boire du vin, et qu’on leur présente 10 vins à déguster, ils sortiront en tête les 3 mêmes vins et en fin de peloton un trio consensuel également. Cela va dans ton sens.
    Par contre, dès que tu as une « discussion », comme c’est toujours/souvent le cas dans les jurys – moi, j’accepte encore toujours de figurer dans ceux du Guide Hachette et, de moins en moins, dans ceux des agréments pour les AOP et IGP – le rôle de la personnalité (je suis très manipulateur !) de l’un ou l’autre est déterminant.
    Enfin, la manière dont les vins sont « distribués » entre les tablées est sujette à toutes les entourloupes.

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  4. Alexis

    Il est vrai que le jour où il ne sera plus possible de « zieuter » sur la feuille du voisin (vu et fait moi même aussi!) et où on ne pourra plus changer sa note quand le premier membre aura donné son avis (vu aussi), les concours auront fait un grand pas. Pour un jury vraiment clean, les jurys ne devraient pas avoir à délibérer ensemble oralement. Ils ne devraient pas communiquer entre eux, une moyenne des notes devrait suffire. Et finalement, dans les jurys, le pire c’est ceux qui pensent s’y connaitre, un exemple: on délibère sur un vin (on sait juste que c’est un rosé du Rhône), je dis qu’il pétille, les autres membres du jury m’assurent que pas du tout, c’est le fameux poivre de la Syrah. Vin non médaillé pour sûr, vu que nous n’avons pas ressenti les mêmes choses. On apprendra après la fin du concours que c’était un pétillant…
    Bref, pour conclure ma pensée, en tant que consommateur, je suis allé dans les concours plutôt septique mais en me rendant compte que finalement, ce n’était pas si mal fait, mais oui, c’est largement perfectible. Je suis moins septique face aux médailles au final.

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  5. Juste pour information, car ce n’est pas mentionné dans l’article faute de place, chaque juré du Trophée des Sept Ceps reçoit les vins dans un ordre différent. La dégustation est donc strictement personnelle et il n’y a ni biais d’ordre, ni effet leader, ni possibilité de copinage, ni problèmes de leadership (qui sont des éléments qui posent en effet problème dans d’autres concours). Il n’y a pas non plus de délibération, ni immédiate puisque personne ne déguster en même temps, ni finale. C’est pour cela que ce concours spécifique a été sélectionné.
    Concernant Actilait – Les Maisons du Goût, cet institut a traité les données du panel français selon un protocole rédigé par l’Ecole d’Ingénieurs de Changins qui n’est pas financée par le privé. Ensuite, si l’on considère que la statistique est un pseudo-science et que le complot domine tout, mieux vaut se méfier d’un institut aussi suspect qu’étranger.
    Enfin pour la comparaison entre dégustateurs du Nouveau-Monde et lémaniques est un passage qui paraît arrogant, car c’est de l’ironie (dit aussi deuxième degré).

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  6. Florent Leclercq

    Merci pour cet aperçu des concours, au plus près de ce qu’on peut en dire de façon certaine. J’aime bien aussi la provoc façon LC, même s’il semble imperméable au 2e degré.
    Chers 5, continuez dans la voie des contributions, svp.

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