Pourquoi je n’irai pas à la présentation de la Foire aux Vins d’Intermarché

J’ai reçu hier un message de l’attachée de presse d’Intermarché, m’invitant, le 6 juin, « à découvrir en avant-première sa sélection Foire aux Vins 2013″, « 30 coups de coeur sélectionnés par les 3 oenologues d’Intermarché avec la collaboration de Dominique Laporte (Meilleur Sommelier de France) ».

Je n’irai pas – je profite de ce blog pour en avertir les organisateurs (ça m’économise un email). J’espère qu’ils ne seront pas trop déçus. Jean-Pierre Coffe non plus ne viendra pas, mais pas pour les mêmes raisons, je crois.

Une nouvelle race d’oenologue: l’oenologue-discounter

Au passage, je m’étonne que les conférences de presse des Foires au Vin se tiennent si tôt – mais il est vrai que les Foires aux Vins se tiennent elles aussi de plus en plus tôt – à la mi-septembre, pour Intermarché. Ya plus d’saison, ma bonne dame.

Je suis surtout très surpris d’apprendre qu’Intermarché emploie trois oenologues – nous parlons bien d’oenologues, de gens qui font du vin, pas d’oenophiles à la petite semaine, de fantaisistes comme moi. Si aujourd’hui, les discounters emploient plus d’oenologues que les Grands Crus, on doit s’attendre à une sacrée redistribution des cartes: le Bordeaux de l’Expert Club d’Inter pourrait bientôt en remontrer à Château Margaux…

Plus sérieusement, je me demande quelle a pu être la contribution de Dominique Laporte – un sommelier, fût-il le premier de France, n’a pas la carrure d’un oenologue appointé. Alors face à trois, vous pensez…

Ou bien est-il seulement là pour l’image?

L’image, c’est justement ce qu’Intermarché, et avec lui, tous ses concurrents de la Grande Distribution, espèrent gagner avec ce genre d’opération. Le vin représente moins de 2% des ventes d’un magasin moyen, et sans doute bien moins encore de son bénéfice. Mais c’est un bel outil de comm’, une façon très pratique de se bâtir une réputation de spécialiste.

On connaît la musique. J’ai la partition.

J’ai déjà donné…

Pendant 16 ans, j’ai exercé mon métier de journaliste dans le domaine de la Grande Distribution, au sein de magazines spécialisés, où j’ai défendu le métier de Grand Epicier, allant même jusqu’à écrire  que les Grandes Surfaces étaient l’avenir de bien des métiers, y compris celui du vin.

Je le pense toujours. La différence, c’est qu’aujourd’hui, je le regrette.

Il y a une différence entre interviewer des patrons d’enseignes « toujours plus performantes »  et publier les actes de décès des autres formules de vente. Entre commenter la hausse des parts de marché de la grande distribution dans la boulangerie, la boucherie, les légumes, le poisson ou le vin, année après année, et constater de visu que les boulangers, les bouchers, les légumiers, les poissonniers ou les cavistes disparaissent des quartiers, et que la qualité des produits qui nous sont proposés – en moyenne – est à la baisse.

Bien sûr, il n’y a pas de Deus Ex Machina derrière cette évolution. La Grande Distribution n’est que l’expression de ce que les consommateurs sont prêts à accepter. D’ailleurs, pris isolément, les gens de la GD sont des gens comme les autres, qui aiment leurs familles, leur chats et leurs chiens et qui bossent plutôt plus que leurs heures.

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Dominique Laporte, Ambassadeur de la Foire aux Vins d’Intermarché (et Meilleur Sommelier de France).

La GD, ce n’est pas le diable. Même si elle lamine les marges des petits producteurs – de vins ou d’autre chose – quand elle ne les conduit pas à la faillite. Même si elle est constamment à l’affût de « coups », dans un monde de plus en plus concurrentiel où il n’y a que le bottom line qui compte. Et quand je dis bottom, c’est parce que je suis poli. Ne dites plus « abus de position dominante », dites « optimisation des conditions d’achat ».

Il n’y a pas de diable. D’ailleurs, la « Grande Fabrication » n’est pas plus sympathique, quoi que vous racontent les publi-reportages. Certains groupements de cavistes, non plus.

Et puis surtout, je n’ai pas l’âme d’un prédicateur.

A chacun de décider, de voter avec son cabas ou son chariot. Moi, autant que possible, j’achète mes vins chez le propriétaire, chez un caviste, ou directement chez l’importateur. Mais vous faites comme vous voulez.

Il faut juste être cohérent.Si l’on défend une certaine vision du vin de terroir et du vin d’auteur, on peut difficilement recommander d’aller les acheter dans des machines à vendre où leurs produits ne sont plus que des références, des numéros sur un listing. Ni participer à une opération de  communication du Grand Commerce.

Sacrée RVF!

Dans cet esprit, comment ne pas citer  le titre du dossier que  RVF consacrait aux Foires aux Vins, en 2010: « Les hypers qui embellissent le vin ».

Il faut croire qu’il était sacrément vendeur, car la revue l’a réutilisé, il y a quelques mois, à l’occasion du spécial Foires aux Vins 2012. Bis repetita plaquettes de freins.

Et pas seulement le titre, toute la rhétorique, aussi. Je cite la RVF: « Longtemps considérés comme de simples “vendeurs de bouteilles”, les hypermarchés et supermarchés opèrent une mue spectaculaire. S’ils subsistent ici et là, les rayons poussiéreux exposés à la violente lumière des néons et aux décibels ne sont plus tendance, loin de là. Dans les magasins les plus ambitieux, place est faite à de vraies caves, véritables écrins où sont alignés grands vins et crus classés ». 

Emouvant, non?

Sans jouer les puristes, je crois que c’est plutôt le vin qui embellit l’hyper, qui lui donne un vernis culturel, même. Pas l’inverse.

Soyons compréhensifs: si la RVF veut pouvoir remplir son dossier, il vaut mieux qu’elle rassure son lecteur – vous savez, l’oenophile que les pubs des distributeurs incitent à visiter leurs beaux hypers. Je suis sûr que les distributeurs ont apprécié. En plus, l’argent qu’ils ont payé pour leurs jolies annonces… vient en bonne partie de leurs fournisseurs.

Je le souligne, je connais ou j’ai connu dans la GD de vrais passionnés de vin – chez Carrefour (il y a longtemps), chez Cora, chez Delhaize, chez Colruyt, chez Mestdagh, chez Spar, chez Monoprix… Mais le système étant ce qu’il est, je ne peux, comme la RVF, lui donner un brevet de vertu, ni un prix « pour l’ensemble de son oeuvre »!

Ca devait quand même faire tout drôle aux « vignerons d’exception » mis en scène dans les pages habituelles de la RVF que de cotoyer dans le même magazine les plus merveilleux fossoyeurs de la diversité vineuse, les plus grands as de l’importation parallèle et du rachat d’invendus; ceux-là même qui bradent quelques caisses de vins de grandes signatures lors de leurs fameuses foires, dans l’espoir de vendre le reste, le tout venant. Ca, c’est de l’embellissement!

Bien sûr, il se trouvera des gens pour dire que la croissance du Grand Commerce est inéluctable, qu’il faut vivre avec son temps.

Je leur réponds par avance: je suis déjà d’un autre temps. Je laisse aux générations futures le soin de s’arranger avec le leur. Je ne suis quand même pas forcé de soutenir un « progrès » que je réprouve.

Voila un bien long post pour un si petit communiqué. Que ceux qui ont eu la patience d’aller jusqu’au bout m’en excusent. Quand on démarre un article, c’est un peu comme à l’hypermarché, on sait à quelle heure on entre, jamais à quelle heure on ressortira.

Hervé 

14 réflexions sur “Pourquoi je n’irai pas à la présentation de la Foire aux Vins d’Intermarché

  1. Alain Leygnier

    Hervé, tu occupes la position enviable et confortable de qui peut défendre une cause, ou choisir ses sujets en toute indépendance. Des années de travail dans des journaux qui exigent que l’on traite de vins « de proximité », surtout vendus en GD, m’a transformé en une sorte de spécialiste des vins médiocres à moyens, sauf exception. Mais, question tarte à la crème : pour qui écrit-on ? La GD fait partie d’une réalité du vin, dont les lecteurs demandent à être informés. Doit-on l’ignorer ?

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  2. Charlier Luc

    Hervé, on t’adore !
    Je savais que tu étais quelqu’un de généreux – tu l’as prouvé, quelqu’un de réfléchi et quelqu’un de bien (pote d’Enzo Enzo). Mais là, tu crèves l’écran ! Quel coming-out : le « grand déballage pour tous ». Je pense totalement comme toi. Et comme toi, j’ai fait avec sincérité « copain-copain » avec certains personnages éminents des chais de la GD (Willy Bizet, André Gigantelli pour n’en citer que deux envers qui j’éprouve bien du respect). C’était au cours des années ’80 et leur personnalité à eux n’est pas en cause. Ils étaient des connaisseurs et des types francs dans leur job. Maintenant, tu as raison : sauf à voir une révolution (et même Léon n’y croit pas), la GD va bouffer TOUTES les autres formes de commerce et va engendrer la disparition totale de la petite production agricole, et des restaurants de qualité qui travaillent la main dans la main avec elle. Il ne restera que l’agro-alimentaire industriel et même les étoilés Michelin (et autres restaurants gastro) finiront par être affiliés à des groupes financiers ou – pire encore – industriels. Avant, on cachait avec honte les sachets Liebig et Royco, maintenant Nestlé fait sa pub avec les stars du piano ! Clooney et El Bulli, même combat.
    Comme toi, je serai mort avant que le « monde d’avant » ne soit totalement disparu et nous « laissons aux chiens le soin de nous juger » pour notre égoïsme ainsi que …. le droit de bouffer partout Canigou et Ronron.

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  3. Hervé Lalau

    Non, Alain, il ne faut pas l’ignorer.
    Les Foires aux Vins sont une chose – un coup de projecteur qui enjolive l’offre des distributeurs puisque, comme tu les sais, on y met en avant beaucoup de vins qui ne sont pas dans l’assortiment permanent, avec force flonflons, et la caution de gens censés rassurer le consommateur.
    En plus, dans certains cas, les enseignes vont les acheter à des revendeurs, sans que le producteur n’y soit pour rien (tu as sans doute entendu parlé d’Hugel, chez Cora, par exemple, qui est allé racheté ses propres vins pour ne pas être en GD).
    Mais il reste tous les autres vins, ceux qui sont proposés tout au long de l’année, et ceux là, je ne vois pas pourquoi ne pas en parler: la plupart sont conçus avec la grande distribution pour la grande distribution, il n’y a pas tromperie, on peut les juger sur pièces. Il y en a sans doute même de bons, et je serais sacrément élitiste, voire pédant, si je pensais que ces produits qui sont ceux que les consommateurs boivent le plus sont tous des merdes.
    J’ai choisi mon camp – ce qui ne m’empêche pas de trouver très bien que d’autres s’intéressent aux vins de la GD, et même de les en féliciter, s’ils le font consciencieusement.

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  4. Denis Boireau

    Comme toujours la position d’Herve Lalau est courageuse, car il risque de ne plus s’attirer beaucoup ce qui decoule des beaux budgets de communication de la GD.
    Au passage, le debut de cette chronique allume une autre meche qui me parait interessante: pourquoi et comment le titre d’oenologue a-t-il fini par paraitre plus valorisant dans une selection de vin orientee vers le consommateur de base, que celui de sommelier, d’acheteur de la GD, de critique du vin, de grand-amateur ou de Grand Mamamouchi?
    Apres tout, l’oenologue – au sens du titre protege en France – est quelqu’un qui a fait 4 ans d’etudes de chimie pour aider des producteur de vin sur l’aspect technique de la production. Cela ne devrait pas les qualifier plus, et meme plutot moins, que les autres professions sus-mentionnees pour une selection de vins de GD, comme pour les autres selections d’ailleurs, comme les concours.
    Il y a la un paradoxe que je ne m’explique pas.
    J’ai eu l’occasion de juger aux Vinalies Internationales presqu’entierement juge par des oenologues, et le biais introduit par la deformation professionelle etait tres amusant. Je sais que Herve y juge maintenant et je serais interesse par ses commentaires sur ce jury, et sur la question en general du pourquoi de la renommee des oenologues diplomes dans les selections de vins.

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    1. Charlier Luc

      Merde, une fois de plus mon ami Denis aborde le sujet par un angle très intelligent.
      Effectivement, l’oenologue vient en aide au vigneron quand celui-ci a un problème ou bien manque d’expérience à un moment donné sur un point précis. Idéalement, on n’a pas besoin de lui ! Le mien, Laurent Duret, adorable, compétent et ingénieur agronome en plus, je l’ai vu 2 fois en 12 mois et on s’est téléphoné 4 fois. Chaque fois, son avis m’a été très utile et a influencé mes décisions. Ça, c’est un oenologue-conseil. Mais c’est moi le patron.
      Dans des grandes « wineries », il y a souvent un oenologue qui fait le vin. Il cumule les fonctions d’oenologue et de vinificateur.
      Moi, j’en connais beaucoup qui sont VRP pour une maison de négoce, pour une cave coopérative ou même pour un grand domaine vinicole.
      J’en connais qui sont « vendeur de barriques » pour un tonnelier.
      J’en ai connue une – très jolie femme en outre – qui représentait un imprimeur d’étiquettes.
      A quand l’oenologue-sommelier ?
      Maintenant, il ne s’agit pas de caricaturer. « Quand j’étais petit », la formation en oenologie durait 2 ans après le bac, maintenant c’est 4. Ils apprennent « de tout un peu » et pas uniquement de la chimie. Certains sont d’ailleurs de piètres chimistes. Beaucoup ont une réelle expérience de la dégustation et un sens de l’assemblage pour aller « vers le goût du public ». Enfin, il y a un nombre de plus en plus important de petits vignerons (par la taille) qui sont oenologues de formation et ils élaborent des vins magnifiques.
      Mais tu as raison, Denis, ils doivent se défendre de la déformation professionnelle qui consiste à analyser le vin, à chercher ses défauts plutôt qu’à l’appréhender dans son ensemble et à en rechercher le charme. Cela, les sommeliers (les vrais) le font souvent très bien, jusqu’à l’excès. Leur métier, c’est de deviner ce que le client va aimer car ils sont là pour leur faire plaisir, avant tout.

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  5. Hervé Lalau

    Luc a répondu avant moi et mieux que moi.
    Pour ma part, j’ajouterai qu’aux Vinalies, j’en rencontre de toutes sortes, des oenologues, des vieux des jeunes, des sympas, des moins sympas, de purs, des lourds. Béatrice Da Ros me chouchoute en me mettant le plus souvent avec de bons copains, des gens ouverts, qui ne cherchent pas forcément toujours le défaut, qui essaient de ressentir ce que le vin a dans les tripes, et ce que le consommateur final va ressentir. Alors non, le titre d’oenologue n’est pas une garantie absolue de grand dégustateur – mais qui la donne, cette garantie? Certainement pas le titre de journaliste non plus…
    Ce qui m’amuse, moi, c’est qu’Intermarché ait cru devoir mentionner qu’il employait 3 oenologues (ce qui est possible, mais pas certain, les RP ont peut-être confondu avec « acheteur professionnel en vins, ça s’est vu), mais qu’il pensait utile de renforcer l’impact avec la location des services d’un jeune sommelier. Le contraste était amusant.

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  6. A la différence d’Hervé, j’irai déguster la sélection « Foire aux Vins » d’Intermarché, ainsi que celle de tous les autres revendeurs qui me le proposent. Parmi les enseignes sur mon programme des 15 jours qui viennent il y a aussi des cavistes (Repaire de Bacchus, Lavinia, Nicolas) et un caviste virtuel (Vin Malin).
    Pourquoi j’y vais ? Parce qu’un client (magazine) me le demande, mais aussi parce que la plupart des consommateurs, qu’on le veuille ou non, achète son vin dans ce type de commerce.
    L’article d’Hervé est très bien et je suis assez d’accord avec une bonne partie de son contenu, mais j’estime qu’on ne peut pas ignorer la majeur partie du marché de vins, et qui nous avons un (petit) rôle à jouer en guidant le consommateur paumé devant des milliers de « références ».
    J’ai entamé ce programme de dégustations hier et, au cours de deux dégustations assez longues, et parmi un flot de flacons sans grand intérêt, j’ai déniché quelques très bons vins, issus de régions qui ont besoin d’être mis en avant. Par décence envers les vignerons, je refuse de parler des vins vendus à moins de 3 euros, et j’évite de respecter une quelconque proportionnalité dans ma sélection par rapport à ce qui est proposé (sinon 50% viendrait de Bordeaux !). En dehors de cela, c’est le vin qui parlera tout seul.

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  7. Hervé Lalau

    David, comme je l’ai dit à Alain, je n’en décourage pas les autres – du moment que le boulot est bien fait. Ton argument (ne les abandonnons pas face au rayon) est tout à fait valide, et chacun est libre de faire ce qu’il veut. Pour moi, c’est d’abord un problème de cohérence, une démarche personnelle. Bonnes dégustations.

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  8. « Sans jouer les puristes, je crois que c’est plutôt le vin qui embellit l’hyper, qui lui donne un vernis culturel, même. Pas l’inverse »

    Merci pour cette (re)mise au clair, utile en ce moment.

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