Niveau déprime zéro ? L’espoir renait à La Vitarèle

Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils sont fous, ils sont amoureux… Je pense à tout cela en faisant le tri de mes dernières photos prises lors de la Circulade des Terrasses du Larzac, un article paru ici même qui n’a – hélas ! – intéressé que peu de personnes. Oh, ce n’est pas que je m’attendais à un max de commentaires, mais c’est qu’en vous offrant quelques images de gueules souriantes – même déguisées d’un polo publicitaire et d’un chapeau made in China vaguement « paysannisé » -, je pensais naïvement, mes bien chers frères, que vous alliez bondir, sauter sur l’occasion et stigmatiser le bel embonpoint vigneron, l’optimisme  à toute épreuve que tentait de véhiculer ces photos.

En cuisine, ce sont des chefs ! Photo©MichelSmith
En cuisine, ce sont des chefs ! Photo©MichelSmith

Allez, j’enfonce le clou. Ils ne sont pas beaux mes vignerons du soleil ? Vous ne trouvez pas qu’ils nous donnent une leçon de vie et d’espoirs ? Moi qui traverse une période de déprime totale au point où même le vin ne réussit plus à me déclencher une risette, tandis que je me pose des questions essentielles sur le meilleur suicide possible (noyade dans une cuve de Pétrus ordinaire ou allongement sur la voie du TGV Est à la hauteur des vignes champenoises ?), lorsque que je vois ces visages réjouissants, je me liquéfie dans le bonheur et je retrouve la pêche instantanément. En même temps la vigne explose, elle est lumineuse, et si prometteuse. Tant que ces petits gars seront là pour y croire, elle se portera bien et la vie avec. Plus question de sinistrose aigüe.

Borie La Vitarèle, vu d'en face... Photo©MichelSmith
Borie La Vitarèle, vue d’en face… Photo©MichelSmith

Et s’il y a un domaine en particulier qui nous refile la pêche à moi et à d’autres aficionados, c’est bien, du côté de Causses-et-Veyran, celui de Borie La Vitarèle. C’est simple, la minute où vous débarquez dans l’univers biodynamique de Cathy et Jean-François Izarn, vous entrez en une sorte de cure de revitalisation. Cuisine spontanée, des blagues qui fusent de partout, les bouchons qui sautent parmi les rires, les verres qui trinquent et la musique qui n’est pas loin, on peut fort bien, au bout de quelques heures de ce régime, se remettre à y croire et à aimer la vie. Regardez-les dans leur cuisine comme ils ont l’air heureux de nous rendre heureux…

Ces deux-là, je les connais depuis la fin des années 80. Ils m’ont tout de suite plu. Je les ai vu grandir avec sagesse et détermination, toujours dans l’enthousiasme et la curiosité. Et leurs vins n’ont jamais été en mesure de me décevoir hormis une ou deux cuvées où l’on sentait un léger tâtonnement avec le bois. Ils m’avaient invité l’autre jour, en compagnie de l’ami André Dominé, un journaliste allemand qui vit et travaille dans mon coin, à venir passer une journée chez eux, dans la douce simplicité de l’endroit, une demeure encaissée au beau milieu des vignes, bien à l’écart d’une petite route. Au programme : verticales, visites de vignes, discussions, repas et pauses cigares.

Un duo de choc ! Photo©MichelSmith
Un duo de choc ! Photo©MichelSmith

Comme il y avait aussi parmi nous Bernard Vidal, du Château de La Liquière déjà largement évoqué dans mon dernier Carignan Story , certaines cuvées de ce domaine de Faugères sur lequel je reviendrai un jour furent également dégustées en mode « verticale ». « Cistus » blanc, par exemple, avec ses beaux 2007 et 2011, mais aussi dans sa version rouge avec 9 millésimes à l’appui dont un surprenant 1995 précédé par un intense 2000 qui lui-même suivait un très élégant 2008. À l’apéritif, je me suis fourvoyé dans les bulles enthousiasmantes d’un Vin Mousseux brut 2011 très framboise, élaboré chez Delmas (Limoux) à partir de grenache noir et de mourvèdre. Un superbe vin de récréation dédié au gaz de schiste (!) et commercialisé autour de 7,50 € la bouteille départ cave.

Mais revenons à Borie La Vitarèle. Honneur à leur premier millésime en blanc, un Languedoc 2012 « Le Grand Mayol » (vermentino, clairette, bourboulenc et…chut !) tout en volume et longueur, charnu, frais, relevé par un zest d’écorce citronnée, une belle réussite à 13 € départ cave. Le petit rouge Coteaux de Murviel 2012, « La Cuvée des Cigales » (grenache/merlot en cuvaison courte pour 6,50 €) remplit son rôle de vin de copains, tandis qu’un premier Saint-Chinian 2012 « Les Terres Blanches » me ravit comme à son habitude pour sa souplesse, sa facilité, ses adorables petits tannins aux accents de garrigue, ses notes de cuir… Une parfaite signature du terroir argilo-calcaire de l’appellation pour une production de 45.000 bouteilles à 9 € départ.

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

Vient ensuite une verticale sur 8 millésimes du Saint-Chinian « Les Crès », un secteur de terrasses recouvertes de galets roulés sur Villafranchien. Pour ma part, j’ai relevé 6 coups de cœur dans cette cuvée très syrah/mourvèdre ! Équilibre, notes de poivre de Sichuan, une intensité de cassis encore très jeune, doté d’une finale impériale, le 2005 est à la fois sérieux et salivant en bouche. Un grand vin, tout comme le 2002, plus « mature » évidemment, bien que fortement marqué par le mourvèdre. Résultats, un nez tout en finesse, un soupçon de salinité en bouche où il se fait dense, ferme et vif, notes de mûre, tannins un poil plus secs (bois ?), finale généreuse et juteuse. 2001 se goûte sur un registre d’élégance, mais semble amorcer une descente en dépit d’une belle vivacité et d’une certaine complexité : poivre, de nouveau, puis sous-bois, gibier à plumes… 2000 est conforme au style de la cuvée avec, semble-t-il, une syrah qui s’impose : finesse au nez, délicatesse, violette, cassis en bouche et bonne persistance fruitée. 1997 est très ouvert au nez, généreux, frais avec des touches grillées de maquis brûlé par le soleil. Feuille de cassis en bouche, petits fruits rouges en gelée, le tout jusqu’en finale. Le vin est mûr, prêt à boire, tout comme le 1996 au nez fruits rouges et laurier, belles relances de fraîcheur en bouche, matière bien étale, sur toute sa longueur… 4.500 cols pour cette cuvée avec un élevage de demi-muids de 18 mois, 18,50 € la bouteille départ cave.

Ce que j’aime chez Jean-François, c’est l’intelligence qu’il dégage en gardant, par exemple, des exemplaires de la plupart de ses cuvées afin de constater, comme il a su le faire avec nous, comment elles se conduisent dans le temps. Cela vous semble normal, mais combien de vignerons en Languedoc et ailleurs gardent leurs vins à cet effet ? Ils vendent leur production en ignorant tout du goût du vin 5 ou 10 ans après ! Cette force que Jean-François a à ne pas céder au superficiel est devenue une marque de fabrique chez les Izarn. Artiste, photographe, cuisinier, peintre, patient adorateur du bonzaï, ce biterrois râblé et       « barbé » de trois jours, court sur ses pattes mais vif et rusé, devait être dans sa jeunesse un excellent ailié en jeu de rugby. Aussi à l’aise en ville qu’à la campagne et maniant l’humour comme personne, il a la sagesse de ne pas se perdre, d’aller à l’essentiel, de ne pas céder à la facilité ni au maquillage encore trop fréquent dans nos caves. La maturité l’intéresse, mais pas l’excès de maturité. Le sauvage et le vivant le passionnent mais il veut savoir où cela le conduit. En somme, c’est un rêveur pragmatique. Et voilà que j’en oublie Cathy, alors que ces deux-là semblent attachés l’un à l’autre depuis l’éternité. Ils ont démarré ensemble, avec un seul hectare en propriété, deux autres en location. « C’est comme ça que j’ai choppé le virus », résume Jean-François.

Au garde à vous devant ses vignes... Photo©MichelSmith
Au garde à vous devant ses vignes… Photo©MichelSmith

Il y a d’autres cuvées intéressantes chez Cathy et Jean-François, dont « Les Schistes », semblables à ceux de Faugères, à 350 m d’altitude, plantés de vieux grenaches, de syrah et de quelques pieds de carignan. Ne pas oublier « La Combe », une terre plus grasse (fond d’argile bleue) plantée en cabernet sauvignon et syrah donnant un IGP Coteaux de Murviel qui compte pas mal d’adeptes. Une autre cuvée aussi, « Midi Rouge », récent hommage (2009) aux luttes des anciens, syrah/carignan d’un côté pour les schistes, syrah/mourvèdre de l’autre pour les galets, le tout trié grain par grain, excepté pour une partie non éraflée, vinifié et élevé en demi-muids neufs sur lies fines, non filtré et non collé. Quand bien même cette gamme me paraît complète, je ne serais pas surpris de voir un nouveau vin apparaître dans les 5 années à venir. Curieux de bien des choses, Jean-François s’intéresse de près aux anciens cépages languedociens tels le rivayrenc ou le piquepoul noir. Il est même question de planter du carignan sur un coteau prédestiné, en compagnie de la nouvelle marotte, le mourvèdre. On ne s’étonne plus guère d’apprendre que Borie La Vitarèle fait partie du groupe « Méditerranée Soif Système » !

Michel Smith

13 réflexions sur “Niveau déprime zéro ? L’espoir renait à La Vitarèle

  1. Luc Charlier

    Mon bon Michel, puisque tu t’en ouvres au public – tu connais aussi peu la pudeur des sentiments que moi – sache que les idées dépressives font partie de la vie de presque toutes les personnes intelligentes, à un moment ou un autre. Simplement, elles atteignent leur point culminant quand le tripode qui tient en équilibre (métastable ?) notre personnalité est attaqué de tous les côtés : notre vie sentimentale, notre vie professionnelle et notre état de santé. Toi, tu sors d’un divorce – ce n’est pas un secret – même si ton intelligente ex-femme et toi avez géré cela plutôt bien, tu entres dans une semi-retraite liée à ton âge et à la fin de la presse écrite comme moyen de gagner sa vie et tu as eu des pépins de santé que nous qualifierons de sérieux même si tu t’es placé entre de bonnes mains. En plus – si si – tu étais un de ces enfants gâtés des années ’60, ’70 et ’80 à qui tout réussissait et à qui un pan de la société faisait la cour, par intérêt plus que par affection réelle, crois-moi.
    Maintenant, même si on te sent parfois un peu « down », tu jouis d’un bon palais – je veux dire qu’il a conservé toutes ses facultés. Tu peux donc boire avec plaisir (et modération), tu peux manger en savourant et tu peux tirer sur une vitole de temps en temps. C’est déjà pas mal pour un gastronome.
    Tu vis dans un coin où les vignes ne sont pas loin et où tout le monde te connaît. Et tu es mobile (marche à pied et voiture), car on ne te demande pas de grimper au Canigou en 3 heures ou de descendre la noire la plus raide du Puigmal sur un seul ski en tenant en équilibre tout un plateau de pressions.
    Tu DOIS faire 3 choses : (i) une bonne sieste pendant la journée de manière à être alerte le soir pour tous tes amis qui souhaiteraient te voir plus, car ton refus de te libérer en soirée limite les possibilités. Pendant la journée, la plupart des gens travaillent … sauf les journalistes, qui se promènent. Mais quand travaillent-ils vraiment, eux ?
    (ii) voir des gens, plein de gens, et parler avec eux de ce qui les intéresse eux, pas de tes tracas. Tu verras qu’aucune vie n’est facile pour le moment. Au domaine, je ne sais jamais le 5 du mois comment je vais faire face à mes obligations (financières, le reste va très bien) et cela depuis 5 ans au moins, mais les problèmes existent pour qu’on ait l’occasion de leur trouver une solution.
    (iii) tu dois consulter un pro, un bon. Les psy sont faits surtout pour les gens normaux comme toi et moi, tous ces névrosés que nous sommes, et ils peuvent très bien nous aider (enfin, les bons parmi eux). Ils ne nous prescrivent presque rien (ou alors pour quelques semaines seulement, et pas des benzodiazépines), ils ne font pas de magie, ils nous révèlent à nous-même, nous forcent à se remettre en question (pas facile) et à répondre à la seule question qui compte : « Qu’est-ce que j’ai réellement envie de faire ? ». Une fois qu’on connaît la réponse, tout devient simple : est-ce qu’on en est capable et par où commencer ? Ce qu’en pense ton fils, ton ex-, ta maîtresse, le curé, ton gourou, ce qu’en auraient dit tes parents … tu t’en fous.
    Si ce que tu souhaites réellement faire t’est objectivement impossible, alors, oui, il faut pratiquer une euthanasie précoce et ne pas emmerder son monde. Mais je doute que cela soit le cas. Si ce que tu souhaites faire est dans le domaine du possible, vas-y, quitte à remettre TOUT en question, ta position sociale, l’image que tu as de toi, l’image que les autres ont de toi et même ton système de valeurs.
    Enfin, et je parle d’expérience, « le meilleur suicide possible » est celui qu’on a remis à … plus jamais.

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  2. Mais mon cher (Doc) Léon, je ne suis pas aussi suicidaire que ça. Et puis, comme je le dis dans mon article, j’ai le bonheur de pouvoir rencontrer plein de gens passionnants et de vivre de bons moments. C’est d’ailleurs le vrai sujet abordé si on lit bien. J’ai aussi l’espoir chevillé au corps. Je sais quels sont mes objectifs. Et en plus ma vie privée, que je n’expose pas dans cet article, ne regarde aucunement nos trop rares lecteurs. Merci quand même pour le conseil (psy) et bises à ta Christine !

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    1. Trop rares, trop rares, comme tu y vas Michel.
      Ce sont les vacances, et puis, les chiffres montrent que les gens reviennent souvent sur les articles ensuite, on ne peut pas se faire une idée dans la semaine. Enfin, la qualité est là, autant du coté des billets que des lecteurs, à voir les commentaires. Et c’est l’essentiel.

      Hervé

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  3. Jean Luc Bonnin

    Ca, c’est un beau papier sur les Izarn et leurs vins, sincère et généreux, avec du ressenti.. Ca, c’est tout le contraire de ‘pisser de la copie’…Merci Michel, continue à nous régaler de tes écrits

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  4. Il y a toujours de la qualité et de la quantité dans les articles des 5…
    Les sujets n’appellent pas systématiquement un commentaire, mais comme l’écrit Hervé on y revient.
    Et les vins de Christine et Jean François, j’y reviens.

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    1. Euh, de Cathy et Jean-François… Christine, c’est « la » Civale, celle qui fait que Luc Charlier marche droit ! En tout cas, merci de revenir et de revenir le plus souvent…;-)

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      1. Luc Charlier

        Forgeron, je ne sais si le Charlier marche droit grâce à Christine, mais elle le force à filer doux !

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    2. Léon

      Merci Stéphane, de la part de toutes les Christine. C’est vrai que, même quand on a rien de spécial à dire, c’est sympa de faire un petit commentaire néanmoins, par amitié.
      Signé : Christine Onassius

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  5. Oui, je consacre ma prochaine chronique à la mort de cet ami vigneron de grand talent. Nous sommes tristes, abattus, déchirés. En attendant, je pense à sa compagne, Cathy. La vie est ainsi faite et j’ose espérer que la solidarité vigneronne jouera à fond.

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