Sur le goût des autres…

L’autre soir, tandis qu’avec des potes venus goûter à Perpignan quelques 400 Grenaches du monde je m’achevais chez moi avec un divin Gerwurztraminer Grand Cru Furstentum Vendanges Tardives (si seulement j’étais payé au mot…) de mes amies Faller – un 2008 soyeux et lumineux au possible, je me suis dit avant d’aller au pieu que j’avais vraiment de la chance de goûter et d’apprécier des vins aussi bien installés dans le temps; des vins solides, vaillants, les pieds sur terre, des vins ayant le goût de leur endroit, de leur « terroir » comme on disait jadis au temps où ce mot était encore plus galvaudé qu’il ne l’est aujourd’hui.

Puis j’ai subitement pensé à mes fils. L’un a 25 ans, l’autre plus de 40. Ils ne crachent pas sur le vin, mais ils ne font pas non plus des pieds et des mains pour en boire. À l’inverse de leur père. Encore une fois, vous vous demandez où je veux en venir. Le sais-je moi-même ? Je veux dire qu’à force de clamer sur tous les tons qu’il faut boire tel château et rentrer en cave telle étiquette, je m’intéresse finalement aux autre vins, à ceux qui ne figurent pas forcément au côté de ceux que je préconise à longueur d’articles.

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C’était dimanche soir et je cherchais désespérément avec un camarade venu de Bourgogne un lieu du vin qui fût ouvert. Nous n’en avons pas pléthore à Perpignan, ville pourtant forte de 110.000 habitants dont pas mal liés au vin de par leur métier ou leur famille. Est-ce à dire qu’ils en ont ras le bol du pinard, ces braves gens ? Pas un seul bar ouvert pour goûter l’une des spécialités locales, je ne sais pas moi, un « Calcinaires » de Gauby, un « Vieilles Vignes » d’Hervé, un vieux Maury, un jeune Banyuls, un Rancio, un Rimage, voire même un Muscat de Rivesaltes.

Et pourtant, les rares hôtels étaient bourrés (oui, j’ai bien dit « bourrés ») de blogueurs et journalistes invités aux frais du contribuable pour goûter les Grenaches de tous les pays. Finalement, on a trouvé un bar Portugais, puis un bar de poivrots appartenant à un ancien rugbyman de l’USAP ayant refusé, il y a déjà longtemps, de rentrer chez lui, en Afrique du Sud. Dans les deux cas, la bière, le pastis et la télé coulaient à flots continus. Au fond de moi-même, je me disais que dans cette sacrée ville où j’ai élu domicile, je devais être le seul avec mon pote à chercher à boire un bon verre de vin dans un authentique bistrot. Quand je pense que nous n’avons que quatre lieux de perditions spécialisés dans le jus de la treille et qu’ils n’ouvrent que 5 jours sur 7 !

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C’est ainsi que je me suis classé dans la catégorie des buveurs dinosaures, ceux qui osent encore boire quelques verres par jour. Ce jour-là, j’ai calculé que j’avais goûté et donc bu une bonne demi douzaine de vins différents : un Fino de Jerez, un Carignan du Roussillon, un autre du Minervois, un Corbières, un Riesling d’Alsace, un Gewurz de la même région… La veille ? Un grand blanc de Provence, un rouge de Sicile et un Carignan de chez moi pour arroser notre victoire sur la perfide Albion.

C’est sans parler du lundi où j’ai navigué entre les eaux tumultueuses d’un Champagne de récoltant-manipulant et celles plus calmes d’un rouge de Tautavel au goût de Corbières, pour finir sur un Corton 2001 aux allures de Côtes du Rhône ! J’en ai déduit, hâtivement j’espère, que le goût du vin se perdait, mais que cela ne servait à rien de se lamenter.

Aujourd’hui, le rosé est mélangé au pamplemousse, le Coca fait les yeux doux aux homos comme pour s’excuser de patronner les jeux de Poutine, le verrier Riedel va même jusqu’à dédier un verre à la boisson d’Atlanta,  l’eau se vent de mieux en mieux, la bière aussi, sans oublier les salons « off » qui fleurissent comme des petits pains et dans lesquels on goûte dans la bousculade et les effluves de tabac des vins dits «nature» parfois drôlement bien foutus… à condition de vider la bouteille une fois ouverte. C’est enrichissant de constater combien le bon goût des uns peut être considéré comme mauvais goût par les autres.

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Et pourtant les étiquettes de vins sont de plus en plus marrantes à regarder, la vis fait son chemin tranquillou au détriment du liège hideux (pas toujours, fort heureusement, car il en existe de très beaux), les vins sont plus gais – enfin, en général, les cépages régionaux sont bien mieux mis en valeur, le Sud n’a plus la trouille de faire des blancs ou des bulles, les vignerons mâles laissent de plus en plus leurs chais à des vigneronnes, le Bordelais s’affine, le Beaujolais comme le Muscadet remontent la pente, les Pet Nat’ entrent en scène avec des vins frétillants sans autres prétentions que de plaire à l’instant même où on les sert, les salons régionaux se multiplient, et jusqu’en Auvergne, région qui au passage va, selon mon humble pif, nous réserver des surprises dans les années qui viennent, les AOP se font coiffer au poteau par les Vins de France ou de zones qui parfois sont bien plus garants d’authenticité.

Les «Miss Pinard», les Lolita du vin, Marlène Fan de Grenache, Laurence Vigneronne Rock’n’roll, les glouglouteuses du Net envahissent  nos écrans d’ordi et gazouillent à tue tête nous abreuvant de vidéos où elles vont jusqu’à se montrer crachant le Gigondas ou le Touraine d’un jet pas toujours aussi discret qu’on le souhaiterait. Et l’on pourrait ainsi énumérer sur de multiples lignes les changements qui font que le vin évolue, que les goûts avec. Normal. Depuis que je suis dans le vin, la technique a toujours été en ébullition.

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Ben voilà ! Ne voulant pas mettre de l’huile sur le feu à propos des deux prix de blogueurs annoncés il y a peu, je ne savais pas trop quoi vous dire d’intéressant. J’en reviens donc à mes chères Miss Glouglou et Miss Vicky Wine qui ont déjà de la bouteille sur la Toile et qui ont conquis à la barbe des messieurs les honneurs des grands classiques de la presse, l’une sur le site du Monde, l’autre sur celui de l’Express.

Miss Vicky, alias Anne-Victoire Monrozier, a mis en ligne un sujet qui confirme qu’en matière de vin, c’est souvent l’image qui remplace l’écrit. Dans l’espoir de montrer le côté vivant du vin ? Cela dit, les vins des autres me plaisent bigrement car ils me rajeunissent. Ils confirment que le sujet est animé d’une perpétuelle quête de goûts. Peu importe qu’ils soient bio (ma préférence), biodynamiques ou natures, cela ne me fait rien qu’ils viennent du négoce ou de la coopérative, qu’ils tirent leurs cuvées à 2000 exemplaires ou à 100000. Il a beau traverser des crises, rechercher des cuves en forme d’œuf  ou d’amphore renversée, préférer la terre cuite au ciment, le bois autrichien au chêne américain, les chips à la douelle, le vigneron est un éternel chercheur. Et ça, ça me plaît !

Michel Smith

4 réflexions sur “Sur le goût des autres…

  1. J’ai aimé ton article. Je peux délirer un moment?
    Dans ton merveilleux monde du vin en mouvement (brownien ou pas), est-ce qu’on peut encore exister (au sens de vivre du vin) si on n’est ni provocateur, ni friqué? Ni nature, ni bio, ni biodynamique, ni femme, ni homo, ni assureur, ni ancien épicier, ni vulgaire, ni putassier? Ni simplificateur… Il y a-t-il encore un salut hors de l’image et de la mode?

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  2. Christophe Thomas

    Salut Michel,
    Une bonne adresse perpignanaise : le Tinc Set, rue du marché aux bestiaux (ouvert 7/7 le soir). C’est petit, pas branchouille, la taulière est charmante…et on peut y boire le meilleur du département au verre à prix très correct.

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