Il y a une note de poivre dans ce vin ! Quel poivre ?

Du poivre, il y en a du vrai et du «qui n’en est pas». Quel est celui qu’on retrouve dans les vins ?
Un trait de Cubèbe dans le Côte Rôtie, une note de Tasmanie dans le Sauvignon néo-zélandais, du Sichuan dans le Collioure, du Moungo dans le Chardonnay chilien, … vrais ou faux poivres, ils ont en commun cette espièglerie piquante qui parfois nous enchante, qui d’autres fois enchantent nos compagnons de table par notre rougeur subite. Mais quels sont-ils ?

Le poivre

Piper nigrum 06

De l’or en grain

Son nom vient du sanscrit pippali qui donna le latin piper –eris, et inspira son nom scientifique Piper Nigrum, poivre noir. L’épice jouissait autrefois d’une telle estime qu’on l’échangeait contre de l’or. Originaire du Kerala, sur la côte des Malabar, au sud-ouest de l’Inde, cette liane appartient à la famille des Pipéracées. Aujourd’hui, de nombreux pays tropicaux la cultivent.

La couleur du poivre

Vert, lorsque la baie est immature, on la trouve chez nous sous forme déshydratée ou en saumure. Jaune, à maturité intermédiaire, on le sèche, fripé, sa couleur brunit, c’est le poivre noir. Rouge, à pleine maturité, les grains se trempent dans l’eau de pluie pour perdre leur enveloppent et donner le poivre blanc. Le rose, appelé improprement poivre, pousse sur un arbre proche du pistachier. Le gris n’existe pas, il s’agit d’un mélange de poudres de blanc et de noir de basse qualité.

Poivres baies
Le poivre se décline en différentes variétés et de provenances, poivre long de Java, poivre à queue ou cubèbe de l’île de Madura (Indonésie), moungo poivre blanc du Cameroun, … Chaque grain offre une complexité aromatique propre à sa variété, nuances aromatiques qui intéressent la saveur de nos plats. Et qui dit saveur, dit achat de poivre en grain. Rien de tel que de relever le plat d’un tour de moulin ou mieux d’utiliser un pilon ou le mortier de son pharmacien favori pour exalter lors du concassage toute la subtilité des poivres.

C5H11N

Voilà la formule de la pipéridine, le principe actif du poivre. C’est une amine à l’odeur poivrée au pH basique faible, c’est elle la responsable du piquant. On la trouve dans la quinine, mais aussi dans différents produits pharmaceutiques comme le fentanyl, un analgésique opioïde.

Poivrier sur pied

Le truc du boucher ou du cuisinier

Ces professionnels de l’alimentaire utilisent souvent le poivre en poudre à une toute autre fin que l’assaisonnement… Ils en mettent sur les coupures et écorchures pour en stopper le saignement. Et c’est efficace ! Cela ne pique absolument pas et pour une estafilade légère (il ne s’agit pas d’arrêter une hémorragie), la coagulation s’opère en quelques instants. En plus, ils ont le produit sous la main.

Attention achat !

Le poivre est coté en bourse. Le truc des grosses sociétés, c’est d’acheter à prix bradé et de vendre dès que la hausse des cours vaut la peine. Il s’écoule parfois plusieurs mois entre achat et vente, agrémenté la plupart du temps de conditions de stockage déplorable dans des pays à fiscalité basse. Un transit qui efface autant l’origine des poivres que leurs propriétés aromatiques. Aucune législation n’exige une quelconque traçabilité, le marché est libre de dicter sa loi et ses prix.

 Poivre blanc du Cameroun

Un poivre peu connu: le Moungo, poivre blanc du Cameroun.
Ce poivre africain assez rare pousse dans la vallée volcanique du Penja, à une centaine de kilomètres de Douala, la capitale économique du pays.

Moungo 1

Les terrains volcaniques, le climat équatorial, voilà les paramètres qui contribuent à la qualité gustative de ce poivre. Il se récolte deux fois par an, au creux de l’hiver et en été jusqu’à la saison des pluies. Les baies recueillies sont mises dans des sacs de jute puis trempées pendant une dizaine de jours dans de grands bacs dont l’eau est changée très régulièrement. Ce rouissage permet ensuite de séparer plus facilement la graine de sa peau, grâce à une méthode ancestrale qui consiste à piétiner les sacs. Puis, enfin libéré de la jute, les grains sont étalés et séchés au soleil pendant une semaine. Cette exposition les blanchit, le Moungo brun à l’origine adopte alors sa couleur beige clair.

Le Moungo

Tout rond, tout menu, le Moungo sent assez fort ! Il évoque au premier nez le sous-bois nuancé d’un trait de moisissure qui très vite se décompose en musc, ambre et menthol. Bref, il flaire un peu la bête qu’on tenterait de parfumer. En bouche, quel soulagement ! Il pique un peu pour marquer son territoire, d’abord sur le bout de la langue, ensuite vers le V lingual. Mais surtout, il se décline en notes délicates, noisette légère, biscuit sec, champignon sec, cèdre, camphre, avec beaucoup de fraîcheur légèrement citronnée et une belle persistance.

Son emploi

À moudre juste avant de servir pour en garder un maximum d’arômes. Son élégance le voit relever les poissons à chair blanche, le lapin, les champignons des prés, le gibier à plumes. Ou encore, les préparations de chèvres frais macérés dans une huile d’olive pas trop marquée et aromatisée thym.

Le poivre de Tasmanie

Comme son nom l’indique, il nous vient d’Océanie et comme son nom ne l’indique pas, ce n’est pas un poivre. Ce n’est donc pas un Piper Nigrum, mais un Tasmania Lanceolata de la famille des Wintéracées. Appelé encore poivre des montagnes ou indigène, c’est le « poivre » des aborigènes d’Australie qui l’emploient depuis bien avant la colonisation anglaise.

Poivre Tasmanie 3

Attention, c’est chaud !

Essentiellement récolté en Australie où il pousse de façon sauvage, il ressemble au poivre noir en plus fripé. Mais là s’arrête la comparaison !
Le nez entre animal et balsamique évoque le camphre, les feuilles de sauges séchées, le baume du Pérou et la menthe, puis encore l’huile essentielle de myrte et la feuille écrasée de géranium. En bouche, waouw un départ presque sucré au goût de fruits confits, douce angélique qui réserve une piquante surprise. Ça pique non d’un chien ! Mais heureusement pas trop longtemps. De plus, il s’agit d’un piquant pointu qui reste situé sur la langue et ne vient pas vous exploser les yeux, façon piment, ni le nez, façon raifort ou encore l’arrière gorge, façon Cayenne, non l’impression « perforante » reste bien localisée et s’en va après quelques secondes pour laisser place à l’ananas au sirop, aux baies séchées de cassis et de myrtille, à la lavande, aux baies de genévrier. Les arômes demeurent longtemps et se transforment petit à petit en cacao et noix sèche pillée.
Le poivre de Tasmanie, une petite boule noirâtre à la complexité inattendue !

tasmanian pepper plant with ripe berries

Son emploi

Les Australiens en usent régulièrement. Ça nous fait une belle jambe. Par contre, en parlant de cuisse, celle du marcassin ou de la biche, en saison, le voit d’un bon œil. Le poivre indigène relève aussi bien les viandes rouges que les viandes rosées. Mais pour goûter mieux les subtilités de l’épice, rien de tel que l’usage à froid : concassé sur un carpaccio de magret de canard et on touche au sublime, un filet d’huile d’olive et un trait de citron et c’est le paradis. Très différent, son goût confit assaisonne de façon originale une salade de fraise ou encore son piquant donne du peps à une salade de légumes cuits refroidis et vinaigrés, style escalivade.
Mais il faut en user avec modération, le poivre de montagne a tendance à anesthésier légèrement les papilles. Zchzute, jche goûte plus rien.

Un piquant salutaire ?

Le principe du piquant à retardement s’appelle le polygodial. Ce poivre fut de tout temps employé par les aborigènes pour ses vertus antimicrobienne, antifongique et comme répulsif.
Que ça pique !

Ciao

LH11_Tigre_Tasmanie

Marco

13 réflexions sur “Il y a une note de poivre dans ce vin ! Quel poivre ?

  1. Il faudrait que je révise mes poivres… Parce que, à part le vert et le gris, je n’y connais rien. Alors mes notes de dégustation s’en ressentent. Mais le consommateur, lui, fait-il la différence? Jusqu’où peut-on aller dans a précision?

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    1. Et il y en a encore un paquet (de poivre), c’est un monde de saveurs et souvent d’arrache-gueule quand on croque un grain, mais l’huile dissout le principe actif du poivre et des piquants en général et permet de revenir à la normale assez vite
      Marc

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  2. Quel article délicieux. La prochaine que tu viens à la maison porte du poivre!!! Par curiosité, le poivre de la Jamaïque est-il un vrai poivre? Il est fortement marqué par l’odeur du clou de girofle et utilisé dans beaucoup de macération pour le poisson.

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    1. Promis pour le poivre, quant à celui de la Jamaïque, on dit maintenant baie de la Jamaïque, ce n’est pas un piper, mais c’est vrai qu’il oscille entre clou de girofle et muscade.
      Marc

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  3. Nadine, Hervé n’a peut-être pas de poivre, mais il a du piquant !
    Le mien (mon poivre) est rustique. Il a été acheté au marché de Dakar il y a plus de dix ans et il a conservé son goût légèrement piquant. Au fait, ça se conserve combine de temps un poivre en grains Marco ?

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    1. Le poivre en grain ne se conserve pas très longtemps au point de vue subtilités aromatiques, mais il reste piquant longtemps avec tout de même du goût. Le tout c’est de bien le conserver à température ambiante et à l’abri de la lumière. En poudre, il perd rapidement tout, même le piquant.
      Marc

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      1. Oh, Marco, je trouve ta réponse plus sèche que le poivre de Ducros! Tu pourrais faire un signe au passage? J’sais pas moi, me saluer, dire bonjour… Mais j’ai compris: vu que je n’achète jamais de poivre en poudre (une erreur?), je me piquerai de ne plus acheter le poivre en quantité. Bises.

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  4. Michel, tu es en manque de frivolités casamantaises? Je te faisais une réponse simple et concise. Mais tu sais que je t’adore, même quand tu es ronchon. Je compte te voir bientôt, nos chemins finissent toujours par se croiser et j’en suis fort aise.
    La bise Marc

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