Contrôles et interdictions dans le vin: quelle efficacité ?

C’est en relisant le texte d’une interdiction promulguée le 31 juillet… 1395 que je me suis mis a cogiter sur l’efficacité relative des différents types de contrôle des entreprises privées que sont les producteurs de vin.

Evidemment la notion d’entreprise privée demanderait à être bien définie. Par exemple, cette notion n’avait pas le même sens à la fin du 14ème siècle que de nos jours. Je ne parle évidemment pas des expériences de gouvernance de la production par des Etats qui tentaient d’abolir la notion de propriété et d’entreprise individuelle. On se souvient des catastrophes humaines et qualitatives que cette approche a provoquées dans le pays de l’ancien bloc soviétique. Mais, malgré ces différences de contexte considérables, je crois qu’il est quand même intéressant de regarder ce qui se passe sur le moyen et long terme quand une instance, qu’elle soit politique ou économique, tente d’imposer ses choix.

Un des cas les plus radicaux dans le domaine du vin, même si nous manquons de témoignages quant à l’efficacité du décret en question, fut le décret de l’Empereur romain Domitien qui ordonnait d’arracher toutes les vignes de Gaule. En réalité, il semblerait que cela était destiné surtout aux vignes plantées en plaine et qui faisaient concurrence au blé, bien plus utile que le vin. Mais c’était tout de même assez sévère. Il a fallu attendre 200 ans  pour qu’un de ses successeurs, Probus, redonne espoir aux vignerons gaulois !

Des cas récents dans le vignoble français incitent aussi à cette réflexion, dans un registre mineur bien évidemment. Je parle de la tentative en cours par l’INAO de faire condamner au tribunal le vigneron Olivier Cousin pour un usage supposé illégitime d’un nom de région (Anjou), mais aussi à la récente condamnation à une amende symbolique d’un autre vigneron, Emmanuel Giboulot, qui a refusé d’acheter, et donc d’appliquer, un produit agréé « bio » pour se prémunir contre la cicadelle, vecteur d’une maladie de la vigne. Ces cas sont différents, bien entendu, mais ont un point essentiel en commun : le refus d’obéir à une injonction qui invoque la loi du pays, ou de l’instance qui gouverne leur domaine de production.

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Philippe II, Duc de Bourgogne

Retournons à l’édit mentionné au début de ce texte, qui émanait du Duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, et qui frappait d’interdiction le cépage Gamay.  Je vais vous la fournir presque en entier (d’après les versions de Rossignol, 1854 et Vermorel, 1902) :

(NB, l’orthographe variable et étrange n’est pas le fait d’un anglais ignare, mais correspond aux versions citées du texte originel. N’oublions pas que nous sommes au 14ème siècle) 

« un très-mauvaiz et très-desloyaulx plant nomméz Gaamez, duquel mauvaiz plan vient très-grant habondonce de vins… Et lequel vin de Gaamez est de tel nature qu’il est moult nuysible a creature humaine, mesmement que plusieurs, qui au temps passé en ont usé, en ont esté infestés de griesz maladies… car le dit vin qui est yssuz du dit plant, de sa dite nature, est plein de très-grant et horrible amertume… Pourquoi nous… vous mandons… sollempnellement à touz cilz qui ont les diz plans de vigne des diz Gaamez, que yceulx coppent ou fassent copper en quelque part qu’ilz soient en nostre dit pais dedens cing mois ».

(Je crois que je vais retenir l’expression suivante pour une prochaine critique d’un vin que je trouverai vraiment mauvais : « moult nuysible a creature humaine« ).

 

Gamay par Vermorel

une grappe de gamay, telle que le livre de Viala et Vermorel la montre

 

En tout cas, les gens du Beaujolais et d’ailleurs apprécieront l’avis de Philippe le Hardi. Il ignorait certainement que le Gamay est un des enfants naturels du pinot noir et, donc, par voie de conséquence, du très prolifique gourais (il faut dire que les enfants « naturels » étaient chose courante à l’époque). Quoi qu’il en soit, il est heureux que  l’internet n’ait pas existé pas à l’époque, car on imagine le tollé ! Combien de signataires de pétitions pour sauver le soldat Gaamez ?

Plus sérieusement, quel a été le résultat de ce décret plutôt sévère ? Probablement une migration du Gamay vers le Sud et les collines du Mâconnais et du voisin Beaujolais, même si quelques poches subsistent en Côte d’Or où le Gamay est admis, à la hauteur d’un tiers au maximum, dans le Bourgogne d’assemblage nommé Passetoutgrains. Nous voyons là une premier tentative, du moins en France, d’appliquer le principe qui deviendra, bien plus tard, un des fondements d’une appellation contrôlée de vin : un territoire associé à des variétés de vigne en particulier, à l’exclusion d’autres.

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Ce principe, défendu avec ardeur par les tenants du système d’appellation contrôlée (et protégée), a donné lieu à des nombreux conflits et parfois, plus tard, à des modifications du dit système lui-même. Je pense au cas de la Toscane, en Italie où l’apparition, à partir des années 1970, de vins de très haute qualité dans le région côtière autour de Bolgheri (à l’époque dénuée de toute appellation pour le vin), a enclenché un processus qui a entraîné une révision radicale de la structure des appellations dans ce pays. Ce changement de cap a également été provoqué par les absurdités des anciennes règles qui gouvernaient l’appellation Chianti et qui ont poussé certains des meilleurs producteurs à sortir de cette dénomination afin de faire de meilleurs vins rouges. Dans ces cas, les interdictions ont été favorables à la qualité, à moyen terme, mais bien malgré elles. On pourrait parler d’une « bonne contre-productivité ». Le pionnier de ce mouvement fut la Tenuta San Guido, propriété de la famille Inchisa della Rocchetta et leur vin Sassicaia. Au début simple Vino di Tavola, ce vin de la région de Bolgheri a maintenant sa propre DOC, Bolgheri Sassicaia.

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Le cas du Domaine de Trévallon en France est un peu similaire mais, étant un cas unique dans sa région, ce domaine n’a pas réussi à faire plier le système des appellations contrôlées; ni à lui faire rendre raison de ses absurdités, généralement commandées par un soi-disant intérêt commun, autrement dit le nivellement par le bas. Entre 1993 et 1994, le vin du Domaine de Trévallon, déjà mondialement connu, a du troquer son modeste label de Coteaux d’Aix en Provence – Les Baux pour celui, encore plus modeste, de Vin de Pays des Bouches du Rhône. Pourquoi? Parce que l’INAO a cédé à la pression d’autres producteurs des Baux qui voulaient imposer un maximum de 25% de cabernet sauvignon dans les vins de l’appellation, alors que Trévallon en avait le double et refusait de l’arracher. Mais cela n’a pas nuit à son image, ni à ses ventes, et il continue à se vendre bien plus cher que les autres vins des Baux, car il est tout simplement meilleur.

On voit que tout système produit des contre-courants et des formes de rébellion. C’est quasiment comme une loi de la physique. Mais est-ce que cela veut dire que toute forme de rébellion ou de résistance à une force dominante est défendable ? Un anarchiste dirait forcément « oui » à cette question. Je pense qu’il faut regarder au cas par cas.

Pour aider, je propose de se poser la question suivante: est-ce que la cause défendue risque d’être bénéfique pour les consommateurs, puis, éventuellement, pour un ensemble significatif de producteurs autour ou dans une situation similaire (à défaut de tous)?

Enfin, regardons quelles sont les options pour les opposants à un système généralement bien plus fort et mieux armé qu’eux ? Il y en a trois : confrontation, contournement ou capitulation. La confrontation peut coûter cher: demandez à un opposant russe ou chinois. Le contournement serait une sorte de Wu-Wei, cher aux taoistes. La capitulation n’est probablement pas une option sérieuse pour quelqu’un qui est convaincu de son bon droit et assez déterminé. On le voit par les exemples cités ci-dessus : il vaut mieux adopter le contournement dans bien des cas. Dürrbach, de Trévallon, n’a aucun mal à placer ses vins, hors appellation contrôlée, et à des prix deux ou trois fois au-dessus de ceux qui sont restés dans l’appellation Baux. En Italie, Sassicaia, avec ses collègues de la Costa Toscana (Ornellaia,  Ornellaia, Guado al Tasso, Solaia, Masseto etc) a réussi à faire bouger les lignes d’une structure d’appellations rétrograde, inadaptée à la réalité.

Sujet à méditer pour d’autres cas, je pense.

 David Cobbold

 

 

8 réflexions sur “Contrôles et interdictions dans le vin: quelle efficacité ?

  1. Nos institutions du moins certaines ne sont elles pas obsolètes ? Satellites de la vigne, n’ont elles pas perdu le sens du terrien. Ne s’arrange-t-on pas entre soi dans un milieu un peu fermé ou le dédain est souvent de mise…. A l’aune de nos municipales ne doit on pas dépoussiérer ce beau milieu? Ensemble, on se flagorne et l’on ne devient exigeant qu’envers autrui et comme dirait le bon Bobby, le papa du papa du papa de mon papa était un petit… (et moi j’ai oublié ces valeurs et peronne dans l’institution et mes chevilles gonflent). Laissons le pouvoir au créateurs. Amen.

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  2. georgestruc

    Une fois de plus, la question est mal posée sur un sujet sensible déjà amplement discuté et apte à déclencher diverses réactions épidermiques. Que le système actuel présente une certaine rigidité, j’en conviens ; mais un simple examen objectif de ce que ledit système, celui des AOC de France, porté par un organisme à la tête d’un travail colossal, l’INAO, a réussi à construire au cours des 5 décennies écoulées devrait faire un peu réfléchir ses détracteurs. Il est facile de faire un pied de nez à un cahier des charges, à un décret. C’est une forme de marketing par ricochet, fondée sur une auto-victimisation qui provoque l’adhésion d’une certaine presse et celle de groupes de consommateurs. Acheter et consommer le vin d’un « révolté » (bien que le mot me paraisse un peu fort…), quoi de plus enthousiasmant, surtout s’il y a, autour de la table, des amis que l’on veut bluffer ? L’histoire du vigneron angevin Olivier Cousin et celle, tout de même très différente, d’Emmanuel Giboulot, n’ont rien à faire dans ce débat. Un vigneron qui refuse de traiter ses vignes contre cette catastrophe volante qu’est la cicadelle compromet gravement l’état sanitaire des vignes de ses voisins… Quant à Cousin, se jouer des règles adoptées de façon consensuelle par une communauté pour faire parler de soi est une tactique vieille comme le monde (c’est du niveau de l’école primaire : « M’sieur, Oscar m’a donné un coup de pied alors que je lui avais rien fait… »- et l’instit fait les gros yeux à Oscar tandis que la classe se gausse car elle sait que le plaignant a traité Oscar de « grand couillon »).

    Le cas de Trévallon tel qu’il est rapporté est une fable. L’INAO n’a pas eu à céder à des pressions initiées par des producteurs qui en voulaient spécialement à Dürrbach…Le fait de faire respecter un règle ne consiste pas à tout vouloir niveler par le bas ; voilà les autres producteurs de cette AOC ramenés au ras d’une échelle artificiellement construite ; c’est n’importe quoi, cette affirmation. Trévallon élaborerait un vin de pays qui serait, paraît-il, « meilleur » et vendu, pour cette unique cause fondamentale, plus cher que les autres ? Il s’agit, me semble-t-il, de l’excellent exemple d’une personne qui possède un sens très affuté du marketing, c’est tout. Son vin serait meilleur que ceux des voisins parce qu’il contiendrait plus de Cabernet-Sauvignon ? A démontrer. Quels autres ? Tous de mauvais viticulteurs ? de médiocres vinificateurs ? Des peureux ? A qui veut-on faire gober d’aussi grosses mouches ? Affabulations…

    Un peu de retour sur l’histoire, un peu d’appel à la mémoire de ce que fut la naissance des AOC, leur construction opiniâtre, leur défense, leur propagation dans le monde au titre de l’exemplarité, devrait nous engager à considérer ceux qui ne respectent pas les stop et s’engagent dans des rues en sens interdit comme des bravaches. Certes, le système tel qu’il a été mis en place et adopté avec le succès qu’on lui connaît brime de nos jours ceux que l’on qualifie volontiers de créateurs (je préfère : innovateurs). Alors, il convient de s’atteler au travail, mais pas de cette façon primaire qui consiste à laisser croire qu’il faut tout casser et que le salut va venir de la liberté de faire tout et n’importe quoi ; sinon, retour de bâton garanti du monde de la consommation, car, l’aurait-on oublié, au bout de la chaîne, il y a des gens qui achètent du vin et, sans eux, cultiver du riesling en Provence ou du grenache en Alsace (pour voir…) en clamant qu’il s’agit d’une œuvre créatrice risque fort de posséder un impact assez peu convaincant…

    Il y a fort à faire pour rajeunir le système de nos AOC, cela est incontestable ; alors, faisons-le de manière constructive, positive. La route sera jonchée de cailloux aux arrêtes aiguës, de ronces épineuses. Les escarmouches sont peu efficaces ; elles exaspèrent sans conduire à des résultats. Si des hommes loyaux et compétents se dressent et sont jugés capables d’engager cette démarche, soutenons-les. Scrutons l’horizon et le premier qui en repère un le signale aux autres.

    Bonne journée ; le Vaucluse est ensoleillé, l’aubépine va bientôt fleurir, le tilleul déroule ses feuilles, les alouettes, depuis déjà plusieurs jours, meublent le ciel de leurs trilles. Fin de semaine aux Printemps de Châteauneuf-du-Pape et aux ateliers de Gigondas ; beau programme (sans Cabernet-Sauvignon ; zut, les vins seront moins bons que prévu…).

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  3. Georges, je m’étonne que vous semblez si offusqué par des questions qui peuvent déranger que votre réaction est de dire que la question est mal posée. En quoi, svp ?
    D’autre part j’essayais d’élargir le débat au delà du petit cas de la France et des ses AOC. Au moment ou l’Europe du vin s’est engagé à aider la Chine à établir un système d’Indications Géographiques, cela me semblait pertinent
    Par le détail, nous somme d’accord sur le cas Giboulot (et je l’ai dit en long dans un autre article, ce qui m’a valu des volées de bois vert d’autres personnes !), et, à moindre degré, sur celui de Cousin.
    En ce qui concerne Trévallon, je vendais leurs vins comme caviste au milieu des années 1980 et ils étaient bien au-dessus de la concurrence locale à cette époque (nous sélectionnions tous les vins après dégustation à l’aveugle). Aujourd’hui je n’ai pas les moyens de les acheter, mais je constate, de temps en temps, qu’ils tiennent très bien leur place. Quand un vin se vend régulièrement bien plus cher que ses concurrents dans une appellation peu connue, il est plus que rare que sa qualité soit en cause. Quant à son encépagement, également répartie entre cabernet sauvignon et syrah, je vous rappelle qu’il suivait les recommandation de Dr. Guyot au 19ème siècle, bien avant que personne ne pensait au système des appellations contrôlées.
    Je ne comprends pas bien comment vous pouvez défendre la main mise (en France uniquement, d’autant plus que la variété n’est pas française) des Alsaciens sur le cépage riesling, par exemple. C’est du pur protectionnisme.
    Le grand problème du système des AOC est leur absence de flexibilité, mais aussi l’aspect arbitraire des certains périmètre géographiques, comme des impositions en matière de cépages. Pourquoi un minimum de 50% de grenache dans le côtes du rhône rouge produits au sud de Montélimar par exemple.
    Si nous dépassons un peu les frontières de l’hexagone, seriez-vous d’accord avec mon analyse des exemples prises en toscane. Il me semble que là, ce qui n’était que des expérimentations d’abord « marginales » ont fait bouger les lignes du système DOC, obligeant une réforme de fond et, au passage rendant l’ensemble des vins de la région bien meilleurs. Si l’Italie concurrence la France aujourd’hui dans bien des marchés, c’est largement grâce à des fondeurs qui ont préféré sortir du système « officiel » pour pouvoir faire de meilleurs vins. Si le cas de l’Italie n’est pas totalement applicable à celui de la France, il me semble qu’il y a des leçons à en tirer.

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  4. Personnellement, si j’étais vigneron dans les Corbières, Fitou ou le Minervois, par exemple (mon rêve pour une autre vie !), je serais fier d’appartenir au « collectif » de ces appellations. Mais je serais aussi fier de mettre dans mon vin les vignes les plus adaptées à mon terrain, à mon climat, quitte à transgresser les lois stupides qui définissent les pourcentages de tel ou tel cépage dans un vin portant le nom de l’appellation.
    Mettre 80, 90 ou 100 % de carignan magnifique, en fonction du millésime, plutôt que beaucoup de jus d’une misérable et tristounette syrah, par exemple, afin d’être en conformité avec les textes de l’AOP, cela ne me ferait pas peur. Et, à l’inverse, si si je trouvais que c’est meilleur pour mon vin de faire une pure syrah, je le ferais aussi. D’ailleurs, je connais plein de vignerons de ces appellations qui le font sans que cela crée problème. D’où l’hypocrisie de ces règlements stupides.
    Si tous les paysans du coin se conformaient aux tables de la loi des AOC, cela ferait belle lurette qu’il n’y aurait plus de Corbières sur les marchés. Il ne s’agit pas de tricher ou de désobéir, mais de faire ce qu’il y a de mieux pour son appellation !

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