Paris aime le saké

La passion mène à de belles découvertes. Ma passion du kendo m’a amenée, il y a quelques années, au Japon. J’ai pu m’entraîner auprès d’un senseï japonais dans un dojo de la ville de Kyoto. J’ai découvert la symbolique des cerisiers en fleur. Leur beauté fragile qui ne dure que dix jours enseignait jadis aux samouraïs que leur propre vie pouvait cesser à tout instant. C’était souvent le cas, car les seigneurs en ces temps avaient la fâcheuse habitude de se disputer le pouvoir. Et pour oublier les problèmes du boulot, les samouraïs buvaient du saké. L’histoire de certaines maisons du saké remonte au XVI siècle. Une belle longévité, cette fois-ci.

1. L'armure de samouraï dans le monastère de Mont Koya. Photo Agnieszka Kumor

 L’armure de samouraï dans le monastère de Mont Koya. Photo Agnieszka Kumor

C’est au Japon que j’ai découvert le bon saké. Mais ce n’est qu’à Paris en rencontrant Toshiro Kuroda que j’ai appris ce qu’est un grand saké. Cela fait dix ans que cet ancien journaliste s’est lancé dans la cuisine. Créateur de quelques bonnes adresses dans le quartier japonais de la rue Sainte-Anne, il possède notamment «Bizan» (anciennement «Issé»), un établissement réputé où règne Masayoshi Hanada, un jeune maître sushi talentueux et inventif. Fin connaisseur des produits du terroir nippon, Monsieur Kuroda connaît le saké sur le bout des doigts. Il est, par ailleurs, auteur de «L’Art du Saké» (Ed. de La Martinière, 2013) avec les remarquables photos d’Iris L. Sullivan, et de «Le saké : dix façons de l’accompagner» (Editions de l’Epure, 2014), co-écrit avec Laurent Feneau.

2. Toshiro Kuroda lors d'une dégustation avec l'Association de la Presse Etrangère. Photo Agnieszkz Kumor

 Toshiro Kuroda lors d’une dégustation avec l’Association de la Presse Etrangère. Photo Agnieszka Kumor

Ginjô, le saké de qualité

C’est dans son Workshop Issé de la rue Saint-Augustin que je rencontre ce « sakéologue » passionné. Oui, le mot existe, comme l’œnologue pour le vin; Toshiro Kuroda explique patiemment les secrets de fabrication du saké. Car le saké est un vin de riz, à ne pas confondre avec cet alcool de riz sans goût servi en fin de repas dans les établissements asiatiques et issu, celui-ci, de la distillation. Oui, comme le vin est le fruit de la vigne, ou encore la bière est produite sur la base de malt (essentiellement d’orge) et de houblon, le saké est un produit de fermentation régi par une forme d’appellation d’origine contrôlée en fonction de polissage des graines, et de l’addition ou non de l’alcool. Point de notion du terroir, en revanche. Le riz récolté dans des différentes régions de culture voyage au sec jusqu’aux points de fabrication. Une cinquantaine de variétés de riz existent, elles se distinguent par la corpulence et la porosité des graines. Quand le riz est plus poreux, cela accélère le travail de «grignotage» de l’amidon par le champignon et les levures. Parmi les plus prestigieuses variétés, Omachi et Yamada nishiki (respectivement «la mère» et « la fille» en termes génétiques).

3. Moromi, la fermentation principale du saké. Photo DR

Moromi, la fermentation principale du saké. Photo DR

Et de quoi parle-t-on ? On parle du saké Ginjô, qui constitue 8% du marché du saké au Japon. D’un style raffiné et d’un haut niveau de fabrication, la catégorie Ginjô décrit un saké de qualité.

Entrons en matière

Le saké a besoin de l’eau de source très pure et du bon riz, dont on polit la couche externe. Des graines perdent parfois jusqu’aux 50% du volume initial pour qu’il ne reste que le coeur du riz, débarrassé des protéines et des graisses qui alternent la saveur de la boisson, mais riche en amidon qui sera transformé en sucres. Le pourcentage marqué sur l’étiquette exprime ce qui reste après le polissage. Plus le riz est poli, plus son taux de polissage est bas, et plus le saké est fin. Cuit à la vapeur, ce riz ne doit pas coller, à la différence du celui destiné à la consommation.

La fermentation du riz cuit dure jusqu’à 48 heures dans des petits plateaux en bois de cèdre (que l’on ouvre et ferme pour réguler le taux d’humidité et la température), et se fait en présence d’un agent de saccharification, un champignon appelé kōji (qui répond au nom latin d’Aspergillus oryzae). Il s’agit d’une moisissure noble, proche de celle qui façonne les fromages à pâte persillée, et qui ensemence ici le riz. On prépare ensuite des levures indispensables pour démarrer la fermentation principale. On crée ces levures en élaborant un pied de cuve, et selon la qualité du saké désirée, cela peut prendre entre quinze jours (méthode moderne avec l’ajout de l’acide lactique dans le pied de cuve), et un mois (à l’ancienne, on bâtonnant le riz avec le kōji sans ajouter d’acide lactique). La fermentation alcoolique du riz cuit, du riz levuré et de l’eau se produit pendant 25 à 36 jours dans des cuves larges et plates en acier émaillé que l’on bâtonne pour réactiver la fermentation. Pendant ce temps, les sucres se transforment en alcool.

5. Le saké frais ou tiédi, à vous de choisir. Photo Agnieszka Kumor

Le saké frais ou tiédi, à vous de choisir. Photo Agnieszka Kumor

L’ajout de l’eau dans la boisson, qui reste encore avec ses lies, permet de réduire son degré d’alcool. On sépare les substances solides du liquide, qui est le plus souvent filtré (ou laissé reposer), et pasteurisé avant sa mise en bouteille. Quand le producteur indique que le saké est non pasteurisé, en réalité cela veut dire qu’il n’était chauffé qu’une seule fois avant l’expédition. La boisson finale qui titre entre 14° et 17°, et dont le goût varie du sec au moelleux, peut vieillir plusieurs années, mais uniquement quand le saké est conservé dans des barils en acier émaillé ou en bois. Pour mieux apprécier ses valeurs organoleptiques on sert le saké prestigieux très frais (8-12°C), mais on peut aussi le boire à température ambiante ou tiédi à 45°C.

 La dégustation

Et mes coups de coeur, vous demanderez-vous ? Il y en a trois :

–       Dewazakura – Omachi (44€), produit par la maison Dewazakura syuzo, très équilibré, au nez délicat, avec de la fraîcheur, en bouche robuste et gourmand, produit de la variété « reine » du riz, Omachi, poli à 50%, dégusté froid

–       Daishichi – Masakura – Kimoto Junmai Ginjô (59€), produit par Daishichi shuzo, acidulé et fruité, légèrement crémeux en bouche, taux de polissage 41%, servi frais

–       Mizuho Kenbishi – Junmai (42€), produit par Kenbishi jozo, une maison qui a cinq siècles d’existence à son actif, arômes fermentaires et plantes médicinales au nez, un assemblage des sakés des deux variétés nobles du riz, vieilli entre 3 et 5 ans.

4. Mon trio de tête. Photo Agnieszka Kumor

  Mon trio de tête. Photo Agnieszka Kumor

Un temps d’initiation chez Lavinia

Et puis, il n’y a pas que les sakés dans la vie, il y a aussi d’excellents whiskies japonais. Le caviste Lavinia, en partenariat avec Toshiro Kuroda et l’association des «Becs fins de saké» a eu la bonne idée de les présenter au grand public au travers d’un mois de manifestations qui se dérouleront dans le magasin parisien du caviste, du 5 mai au 2 juin 2014. Dégustations, ateliers, gastronomie japonaise et découpage de thon au sabre sont au programme, en présence d’une vingtaine de sakéificateurs venus tout exprès du Japon. Une belle initiation dans la culture de l’Empire du Soleil levant.

Agnieszka Kumor

 

Workshop Issé, 11 rue Saint-Augustin Paris 2e, tél. : 01 42 96 26 74

Bizan, 56 rue Saint-Anne Paris 2e, tél. : 01 42 96 67 76

Lavinia (Paris), 3 boulevard de la Madeleine Paris 1er http://www.lavinia.fr/fr

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