Transmission et vin

Non ceci ne sera pas un traité sur les boîtes de vitesse des tracteurs, enjambeurs ou pas. Il sera question de générations et de passages de bâton. On pourrait évidemment écrire un livre entier sur ce sujet, mais rassurez-vous, je serai bien plus bref car mon idée est de situer des choses à travers quelques constats et observations.

Je pense que nous avons tous en mémoire des exemples d’un passage de témoin parfaitement réussi entre deux générations de vignerons. Mais peut-être aussi des exemples du contraire. Hériter, ce n’est pas nécessairement facile, surtout quand le parent (père, mère ou autre) est doté d’une forte personnalité. Mais bien transmettre son expérience, son patrimoine du savoir, sa passion aussi, et pas uniquement son patrimoine foncier, ne va pas nécessairement de soi pour tout vigneron.

Robert-and-Bernard

Robert et Bernard Plageoles : un exemple à suivre

J’ai de nombreux cas en tête où les choses essentielles semblent s’être très bien passées. C’est à dire que le fils ou fille (ou autre) a su bénéficier de l’héritage du parent, tout en développant sa propre vision et, souvent, gagner une nouvelle clientèle. Quelques noms, parmi d’autres ? Pour rester en France, je pense aux Plageoles à Gaillac, aux Vernay, Perrin ou Guigal dans la vallée du Rhône, aux Lafon en Bourgogne, aux Cazes à Pauillac, à d’autres Cazes dans le Roussillon, et aux Saint Victor à Bandol, Pour d’autres, cela semble parfois plus compliqué. Les raisons sont certainement liées à la personnalité des individus, mais je ne peux ni ne veux entrer dans le domaine privé ici.

Lurton

A ma connaissance, la plus fabuleuse histoire de transmission entre générations dans le vin a été écrite par la famille Lurton à Bordeaux. La génération actuelle des Lurton est issue de trois frères et d’une sœur, dont deux des frères, André et Lucien, ont travaillé (et André n’a pas cessé) dans le vin en bâtissant, chacun de son côté, de véritables archipels de propriétés. En matière de transmission du patrimoine, les cas de deux frères semblent assez différents. L’amour du vin et le métier semble très bien passer d’une génération à une autre dans les deux cas, mais Lucien Lurton avait transmis, à l’âge de 70 ans, l’ensemble des ses 10 propriétés et leur gestion à ses 10 enfants.

Sept de ces enfants ont poursuivi dans le métier de producteur de vin. Son frère André est toujours actif et bien en charge de ces domaines, à l’âge de 90 ans. Ses fils Jacques et François et sa fille Christine travaillent tous dans le vin, mais ayant souvent fondé leurs propres entreprises.  Deux choix différents dans la même famille. Le frère d’André et de Lucien, Dominique, bien que n’étant pas vigneron, a manifestement transmis la passion à deux de ses fils, Pierre et Marc. Si je compte bien, cela fait, en ce moment, 12 Lurtons actifs dans le vin à Bordeaux, et deux qui sont actifs dans d’autres régions et pays. Je ne sais pas qui peut faire mieux.

En vallée du Rhône les Perrin (de Beaucastel) commencent à se compter sur les doigts de deux mains, mais il reste de la marge.

Robert-Mondavi

Robert Mondavi. Née dans le conflit, son entreprise n’a pas été parfaitement transmise, mais le nom reste. 

Cela ne se passe pas partout aussi bien.  Dans certains cas, le conflit a produit des résultats positifs, du moins pour un moment. Un des cas les plus célèbres et celui de la famille Mondavi, en Californie. Cesare Mondavi avait fondé une entreprise de vin et de raisins à Lodi, California, au plus mauvais moment car la Prohibition est rapidement arrivée. Cesare Mondavi & Sons a survécu en expédiant des raisins à travers le pays pour constituer des sortes de « vins en kit ». Par la suite, avec ses deux fils Robert et Peter, il a racheté une des wineries historiques de Napa, Charles Krug. Mais les deux frères se sont fâchés et Robert, l’aîné, est parti en 1965 pour fonder, en 1966, la Robert Mondavi Winery avec le succès que l’on connaît. Mais ses deux fils, Michael et Tim, ne se sont pas très bien entendus non plus et, après une introduction en bourse peut-être mal avisée, ont perdu leur entreprise qui fut rachetée par le mega-groupe Constellation en 2004.

Il n’y a aucun besoin d’aller chercher de grosses entreprises du vin pour trouver des histoires de règlement de comptes, ou, du moins, ou la transmission s’est mal passé. Chacun pourra trouver un exemple ou deux. Et ce type de problème n’est pas lié au seul monde du vin, mais est commun a toute entreprise. Il est vrai que, dans le vin, la passion et l’engagement sont des facteurs clefs dans la réussite, mais qui peuvent aussi poser problème quand ils ne vont pas dans la même direction ou quand il y a des conflits de personnalités. L’initiation au vin et au métier par le parent doivent constituer des moments essentiels, mais la vocation ne se décrète pas.

 David Cobbold

 

 

 

5 réflexions sur “Transmission et vin

  1. Une question de l’avocat du diable: le grand vin étant la rencontre entre un homme, un lieu et des conditions particulières à un temps donné (économie, technologie, demande), et ces conditions fluctuant dans le temps (les Bordeaux de 2014 n’ont plus grand chose à voir avec ceux de 1960, idem pour les Corbières, les Bourgogne, etc), la transmission au sein d’une famille de l’expérience acquise a-t-elle un sens, un intérêt ou bien faut-il tout recommencer à chaque génération?
    Petit ajout iconoclaste: et si quelqu’un venu de l’extérieur était mieux à même de comprendre ces changements qu’un membre de la famille qui porte le poids de l’héritage?
    Merci, Maître David, d’éclairer ma lanterne sur ce point.

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  2. Je pense que l’apport d’un œil extérieur est très utile, voire indispensable à un producteur de vin, et notamment sur des aspects liés au marché, mais aussi à ce qui se passe ailleurs en viti-vini. Mais cela peut se faire aussi dans le cas d’une transmission inter-familiale, quand l’enfant a fait des études ailleurs et a pris le temps de voyager. Bon nombre pratiquent ainsi, avec des stages sur différents domaines et dans plusieurs pays, notamment dans le « Nouveau Monde ». J’ai le souvenir d’une propriété dans l’Entre-deux-Mers ou les fils est parti en Nouvelle Zélande et, revenu pour prendre en charge la production au château familiale, à révolutionné, pour le mieux, les techniques utilisés pour leur vin blanc. Mais tu as raison de penser qu’un héritier qui n’a pas fait cette démarche d’apprendre aussi ailleurs risque de ne pas faire évoluer la production pour le meilleur.

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  3. Je rentre de Toscane où je suis allé visiter le nouveau chai « flagship » de la famille Antinori. Leur histoire viticole et vinicole remonterait au 13eme siècle et s’est toujours transmise au sein de la famille, ce qui en ferait un des plus vieux family business au monde. Malgré cette ancinenneté, les nouvelles générations ont toujours su s’adapter (lancement de super toscans dans les 70’s et nouveau chai ultra-moderne aujourd’hui).

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  4. Bonne remarque Inwineswetrust. Je pense que cela a aidé, dans leur impressionnante longévité, d’être aussi des banquiers florentins. L’Alsace est une autre région qui m’impressionne avec le longévité des ses familles de vignerons, et malgré toutes les guerres

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