Le Chianti n’est plus le même, et c’est tant mieux

DSC_0284Paysage de vignes dans la région de Chianti Classico, au nord-est de Sienne 

 Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas rendu en Toscane, et encore plus longtemps dans la zone de Chianti. Disons 7 ou 12 ans, selon le cas. On ne soupçonne pas, de loin, la vitesse avec laquelle le monde du vin peut évoluer, parfois. Ce qui est vrai en France l’est autant en Italie. Prenons le cas de son appellation la plus célèbre : Chianti. Il fut un temps, pas si longtemps que cela, où ce vin était fait de 30% de raisins blancs, de clones inadaptés à la production d’un vin rouge de qualité, et avec une volonté manifeste de maintenir cette région historique dans une sorte de no-man’s land de vins sans personnalité. Puis arriva une génération ayant la volonté de faire bouger les lignes, et, pour ce faire, sortir du carcan de médiocrité imposé par des règles d’appellation débiles. Ces producteurs voulaient essayer de faire les meilleurs vins rouges possibles dans leur région, soit avec l’aide de cépages français, cabernet et merlot en tête, soit avec leurs propres variétés, et surtout le sangiovese. Deux écoles donc mais une même ambition.

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Je ne parle pas de techniques de vinification dans cet article, mais, là aussi, tout existe et en parallèle : vieux botti en bois de slavonie (comme ci-dessus et dans la deuxième photo plus loin), barriques de chêne français, cuves en ciment et cuves inox (comme ci-dessous).

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Partant de là, la seule possibilité était de produire des vins sous le statut de vino di tavola, car aucunes de ces deux pistes n’était acceptable, avant 1992, pour obtenir une étiquette de Chianti, fut-il classico. Aujourd’hui, un Chianti Classico doit contenir au moins 80% de sangiovese, qui peut s’assemble avec jusqu’à 20% de variétés italiennes «traditionnelles» ou bien avec certaines variétés françaises. Cette solution, qui permet une forme de compromis entre l’école « 100%  autochtone » et celle qui lorgne davantage vers l’international, a permis aux vins de cette magnifique région d’opérer une bond qualitatif remarquable. On doit intégrer d’autres facteurs dans le recette qui a provoqué cette révolution. L’abandon du métayage, une recherche poussée sur des variétés clonales, et l’arrivée d’investisseurs fortunés et patients. Les nouvelles règles de l’appellation rejette aussi, sans refus total d’une touche de poivre et de sel, les variétés blanches.

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J’ai visité une petite série de domaines en Toscane la semaine dernière, dont quatre qui élaborent du vin en Chianti Classico, et on peut maintenant trouver, à partir de 12 euros environ la bouteille, d’excellents vins rouges dans cette région. Certes, pour les meilleurs, le compteur s’affole un peu plus, mais nous n’atteignons pas du tout les hauteurs de ces « super-toscans » et leurs prix à 3 chiffres. Les vins les plus chers que j’ai vu dans l’appellation se situaient autour de 30 euros. La donnée de base est clairement ce cépage sangiovese. Un paradoxe que cette variété, nommée d’après le sang d’un dieu, ne soit pas très colorée, mais peu importe : la couleur d’un vin n’a jamais constitué un indice quant à sa qualité. Ce qui caractérise le sangiovese est le contraste marqué entre tanins et acidité, ce qui semble le rendre susceptible à des petites variations climatiques, un peu à la manière d’un pinot noir mais en plus tannique. Le climat presque continental, en tout cas semi-montagneux de cette partie centrale de la Toscane lui convient en tout cas. Plus de soleil serait néfaste à cette fraîcheur qui le rend si digeste. Mais moins de soleil ne lui permettrait pas de mûrir correctement. L’assemblage autorisé dans les règles de l’appellation est aussi un atout car cela donne la possibilité d’arrondir les angles d’une jeunesse parfois un peu austère. Ailleurs, et notamment plus au sud, à Montepulciano ou Montalcino, des températures plus élevées rend possible une systématisation de versions mono-cépages du sangiovese, appelé par des synonymes.

Même à l’intérieur de ce qui semble être une certaine rigidité imposée par les règles (imposer au moins 80% d’une variété n’autorise pas trop de fantaisies de style, quand même !) il subsiste des volontés différentes de la part des producteurs: on trouve des Chianti Classico à 100% sangiovese, des assemblages qui n’utilisent que des variétés italiennes, et d’autres qui mettent 20% de cabernet et/ou de merlot. Dans cette affaire, je ne choisirai pas une école : j’aime trop la diversité.

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Les Chianti Classico que j’ai aimés

San Felice, Il Grigio 2010

 San Felice, Grande Sélection, Il Grigio 2010

 San Felice, Poggio Rosso 2010

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Felsina, Berardegna 2011 

Felsina, Riserva, Rancia 2009

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Ricasoli, Castello di Broglio 2010

et aussi Badia a Coltibuono Chianti Classico Riserva 2009

Ce petit aperçu, qui ne constitue nullement une sélection fiable parmi le nombre des vins qui existe dans cette appellation, est peut-être anecdotique. Mais il illustre, je crois, les progrès considérables réalisés dans cette magnifique région au cours des 20 dernières années.

Le monde du vin réagit en permanence à certains aiguillons : les producteurs intelligents et visionnaires, d’abord, les critiques (un peu), et le marché (absolument). Les prix sont à la hausse, mais la qualité aussi. C’est signe pour moi que le marché réagit favorablement au renouveau du Chianti. Tous ces vins partagent une combinaison intéressante entre finesse et caractère, tanins et acidité. Ce ne sont pas des bêtes de concours et il sont plus à leur place à table que dans une dégustation à thème. Mais ils sont digestes, fins, raisonnablement fruité et jamais envahissants. Je ne sais pas trop ce qu’on peut demander de plus à un bon vin. Peut-être un peu d’âge, car la plupart de ceux que j’ai dégusté méritaient bien 3 à 5 ans de plus en cave.

 

David Cobbold

12 réflexions sur “Le Chianti n’est plus le même, et c’est tant mieux

  1. François Mauss

    Merci David de cette présentation qui montre bien l’évolution de la région. Il y a tellement de domaines dans ces collines sublimes pour que l’amateur, quelque soit le style qu’il aime dans le vin, y trouve son bonheur.

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  2. Nico Jeckelmann

    merci de parler du Chianti!!! Même s’il vaudrait aussi tellement la peine de faire un tour de Toscane du Sangiovese, quand on voit ce qui est produit sur des appellations moins connues comme Montecucco ou Morellino di Scansano, tous deux dans la Maremma.

    Et je ne peux que vous recommander ce magnifique ouvrage : http://www.ilsangiovese.com/

    Et bravo de faire cette comparaison ô combien justifiée avec le pinot noir, toute proportion gardée! C’est effectivement un cépage très compliqué, très sensible au climat, sols et millésimes, et en plus c’est un cépage tardif. Et c’est pour ça que même si ce n’est pas une bête de concours, et heureusement d’ailleurs, je pense que ce cépage, en Chianti Classico, peut donner de grands vins, mais il faut l’aborder comme le pinot noir justement, pas forcément sur le plaisir immédiat. C’est à cet effet que de plus en plus de producteurs confectionnent des Chianti en 100% Sangiovese, constatant que le merlot lui apporte certes du volume et tempère son acidité, mais modifie très fortement son profil gustatif. Et quel bonheur ces vieux Chianti quand ils distillent cette note caractéristique iodée combinée aux arômes tertiaires de sous-bois!!!

    Quant à votre sélection, David, elle n’est effectivement absolument pas représentative, si ce n’est des grosses maisons qui peuvent un peu standardiser leurs produits. Essayez plutôt un Val delle Corti, a Radda in Chianti, avec ses 3 hectares de vieilles vignes!
    Il faut aussi relever que la majorité des vins dont vous parlez sont des 2010, millésime difficile dans cette région, avec des vins un peu moins structurés, plus frais et moins profilés pour la garde. Ce qui ne fut pas le cas de 2011, très chaud et avec des vendanges précoces.

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    1. Bonjour Nico
      Je sais bien que ma sélection n’a pas la moindre prétention de représenter « les meilleurs » (mais que vaudrait une telle sélection de toute manière ?). L’occasion des mes dégustations cette fois-ci était un voyage en Toscane (nous étions aussi reçu à Bolgheri et à San Geimignano) que j’ai organisé pour une trentaine de personnes. On ne peut évidemment visiter que des domaines de bonne taille ayant des facilités d’accueil bien structurés dans ces cas-là. Je suis certain qu’il y a aussi plein de petits domaines qui font des choses remarquables. Cette visite m’a donné envie de les découvrir, mais tout seul peut-être. Cela dit, je ne suis pas prêt à tomber dans le panneau du « small is beautiful ». Certains vins de ces grands domaines étaient très bons. Mais le meilleur sangiovese que j’ai dégusté lors de ce voyage était un Vino Nobilé di Montepulciano appellé Il Palazzone, millésime 2008.

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      1. Pardon, il s’agissait d’un Brunello di Montalcino (Il Palazzone). Les experts auront corrigé mon erreur d’eux-mêmes. Ce vin était déjà parfaitement fondu. Quelle élégance ! Nous l’avons pris dans un restaurant (AL Mangia) situé sur le Piazza dal Campo à Siena. Je reste stupéfait par la différence des approches entre les restaurateurs italien et français en matière de marges sur les vins. Ce grand vin y est proposé à 44 euros à la carte. En France il se trouverait surement au delà de 100 euros. Et, avec cela, ils (les restaurateurs français) ont le culot de se plaindre qu’il vendent de moins en moins de vin !

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  3. Nico Jeckelmann

    @ laurentg : une fois de plus, quand on est sur 100% Sangiovese, le millésime se ressent en transparence et 2005 était une année relativement mauvaise avec beaucoup de pluies durant l’été qui durèrent jusqu’aux vendanges….

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  4. Nico Jeckelmann

    Je ne voudrais pas m’avancer, mais Berardenga n’est pas une parcelle définie mais une sélection de Sangiovese sur différentes parcelles en Chianti Classico. Probablement que ça a joué un rôle, ils ont pu sélectionner. Il faut savoir que ça se fait beaucoup en Toscane sur les Riserva, des sélections de grappes plus que de parcelles prédéfinies.
    Sur le Rancia, même pour une cave si grande, ils se retrouvent avec l’expression du millésime non polissé, d’où ce côté raide, la verdeur des tanins du sangiovese pouvant être marquée…

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  5. mauss

    PUB : bien que ce ne soit pas un Chianti, un vin intéressant à découvrir qui sera présenté le 2 juin à Paris, le Camerlot de Podere Carnasciale par Moritz Rogosky :

    « J’ai le plaisir de vous joindre l’invitation pour la dégustation du lundi 2 Juin, qui se tiendra aux
    Nautes quai des Célestins, un lieu ‘suspendu’ et plein de charme.

    Je vous attends à partir de 11 heures et jusqu’à 19 heures, à votre convenance, et selon votre agenda. »

    Je suis certain que Moritz sera heureux de vous faire connaître cet hybride unique de merlot et cabernet.

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  6. Moritz

    Infatti e con piacere!

    Grazie François.

    Les nouveau millésimes Il Caberlot 2010 et Carnasciale 2011, suivis des 2009, 2008 et 2007

    Le lundi 2 Juin aux Nautes, 1, quai des Célestins, Paris IV, de 11:00 à 19:00

    contact@caberlot.eu

    Moritz

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