Chez Jean-Charles Abbatucci

Je continue mon petit tour de Corse entamé la semaine derrière avec le Domaine de Torraccia.

Nous sommes toujours au Sud de l’île, mais plus à l’Ouest, près d’Ajaccio – une appellation que Jean Charles Abbatucci ne revendique plus, bien qu’il ait contribué à la mettre en place.

Ses vins sont donc des simples Vins de France, et aucune mention du lieu de production ne peut apparaître sur leurs étiquettes – un sacré paradoxe, quand on sait qu’il sont issus de vieux cépages corses. Oui, mais pas dans les proportions admises par l’appellation.

C’est d’autant plus dommage qu’Abbatucci est sans doute le producteur de la région dont les vins s’exportent le mieux et que l’on trouve le plus facilement sur les belles tables, notamment aux Etats-Unis.

IMG_3898Jean-Charles Abbatucci au pied du cep (Photo © H. Lalau 2014)

A ce propos, juste une remarque de mon cru: j’ai du mal à comprendre pourquoi le cahier des charges d’une appellation, quelle qu’elle soit, peut accepter un cépage dans la limite de 10% de l’assemblage. Pour moi, qui suis un type simple, pas un stratège, si le cépage a un intérêt, une justification historique, une qualité intrinsèque, il devrait pourvoir être vinifié et vendu dans n’importe quelle proportion, et même « in purezza ». Comment le consommateur pourrait-il se faire une idée autrement? Et ne me parlez pas de tradition, j’ai vérifié: avant le phylloxera, on trouvait en Corse une foule de cépages dont le nom s’est perdu aujourd’hui, ou bien qui ont été sortis des listes.

A contrario, si un cépage n’a que 10% d’intérêt, alors pourquoi l’avoir accepté dans l’appellation?

Mais foin de polémiques, je suppose que comme moi, vous vous intéressez moins au sigle sur l’étiquette qu’au contenu sur la bouteille.

Ces nouveaux-anciens cépages, parlons-en – ils ont pour nom bianco gentile, riminese, rissola, brandira, minastrellu, carcajolo, morescola, montanaccia… et j’en oublie. Ils sont autant de terrae incognitae pour la plupart des dégustateurs. L’avantage, avec eux, c’est  qu’on peut déguster sans référence, sans oeillères, sans a priori. Ils sont aussi l’occasion de se rappeler que l’homme reste un des éléments déterminants du vin, même chez ceux qui s’abritent derrière le terroir.

Ces cépages ne seraient pas là si Jean-Charles ne les avaient pas récupérés, un à un. C’est lui qui les a sur-greffés sur des plants existants, pour diminuer les risques de mortalité des jeunes plants, et pour pouvoir rapidement les mettre en oeuvre. C’est lui qui décide aussi du lieu, et de leur emploi.

Il les vinifie rarement seuls – ils font le plus souvent partie d’assemblages complexes.

Derrière le vin, il y a la terre – une vallée plutôt enclavée, entre Ajaccio et Propriano; une sorte d’ermitage païen parsemé de buissons, de fleurs sauvages, où la vigne ondule sous le cagnard, se gorgeant des senteurs du maquis. Au fond, les collines vertes et bleutées sont vides, c’est l’écrin naturel idéal pour une création.

IMG_3878Derrière les fleurs sauvages, la vigne… (Photo © H. Lalau 2014)

Le créateur, bien sûr, dans ce cas-ci, c’est Jean-Charles, un autodidacte passionné, expérimentateur de première.

Faute de pouvoir parler de son cher Taravo sur la bouteille, il rend hommage à trois de ses ancêtres, grands personnages de l’histoire, au travers de sa série Collection: le Général, le Diplomate et le Ministre.

Passons donc en revue ces trois portraits…

Cuvée du Général 2013 (blanc)

Le nez est très élégant (citron, poire, groseille à maquereau), la bouche tendue, poursuit avec des notes de coing, de noix, de nèfles, c’est vif, croquant, le bois est très discret, le squelette du vin est plutôt sa belle acidité. D’après Jean-Charles, la groseille verte acide vient de la rissola brandira. Je ne le contredirai pas.

Composition: Biancone, Carcajolo Bianco, Paga Debiti, Riminese, Rossola Brandica, Vermentino.

Cuvée du Diplomate (blanc)

Autre personnage, autre style, plus enrobé, plus consensuel; le nez explose d’ abricot et de raisin mur – presque muscaté. La bouche est plus grasse, plus charnue, la finale, à la foi saline et sapide, séduit.

Composition: Bianco Gentile, Brustiano, Genovese, Rossola Bianca, Vermentino.

Cuvée du Ministre Impérial 2013 (rouge)

Fruit noir, violette, fraise, myrte, fenugrec, 14% d’alcool. 17/20

Composition: Morescola, Morescono, Aleatico, Carcajolo Nero, Montanaccia, Sciaccarello, Nielluccio

Jean-Charles Abbatucci nous a également fait déguster quelques vins à la barrique, en mono-cépage, ou en mono-cru.

Carcajolo 2013

Un seul cépage, mais de multiples arômes très délicats – violette, résine de pin, notes animales et beaucoup de fraîcheur. La bouche est à la fois vive et onctueuse, un vin très complet.

Monte Bianco Sciaccarello 2013

Une parcelle sélectionnée. Explosion de fraise et de framboise au nez, retour des mêmes en avant-bouche, une vraie gourmandise. Belle charpente tannique, sans excès. Et quelle vivacité!

 

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Vin de France, peut-être, mais grande cuvée… et vite bue (Photo © H. Lalau)

Hervé Lalau

7 réflexions sur “Chez Jean-Charles Abbatucci

  1. tomfiorina

    Salut Hervé. C’était bien de t’avoir vu à Cahors.
    Je apprécie beaucoup tes séries sur la corse du sud. J’ai visité Jean-Charles Abbatucci il y a quelle temps. On a fait un tour de son vignoble magnifique avec son chien Orso (moitié Labrador-moitié Berger de Maremme–un vrai ours mais gentille comme un l’agneau). Il m’avait expliqué que la décision de sur-greffé ses vignes était aussi économique–une bouteille de grenache vaut 5-6€; une bouteille de carcajolo nero vaut 20€. Qui dit que les corses n’ont pas l’esprit commercial!

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  2. olivier dubost 2A

    cher Hervé, je sus impatient de lire et boire la suite….resterez-vous en corse du sud (un crochet chez Yves à Tarrabuccetta ?) ou remonterez-vous vers le nord vers Calvi ou Patrimonio, ou êtes-vous déjà de retour sur le continent ?! Si vous êtes encore en corse du sud le WE prochain j’y serai également et David pourra vous confirmer que la cave est bonne et accueillante!

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  3. olivier dubost 2A

    chère Agnieszka, merci pour ce beau reportage chez Yves Canarelli, j’attends avec impatience celui chez Elisabeth Quilichini !

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