À quoi cela peut-il bien servir ?

Oui, je me demande vraiment à quoi cela sert-il de palabrer ?

À quoi servent ces conférences, colloques et autres débats ?

Pas même le temps de captiver son auditoire que déjà il faut passer la parole à un autre. Est-ce si utile de se déplacer pour un petit quart d’heure d’explication de texte face à un public déjà averti, déjà convaincu et qui plus est restreint ? Ce qui va suivre, aux yeux des bénévoles qui n’ont pas compté leurs heures pour la bonne réussite de ces journées, paraîtra insolent, discourtois, voire exagéré. Mais en même temps, je ne peux continuer à me satisfaire de la convenance habituelle dans laquelle j’ai baigné les trois quarts de ma vie. Critiquer ce que je viens de revivre une fois de plus constitue pour moi un devoir. Ainsi donc, je présente d’ores et déjà mes excuses à ceux que je risque d’offenser.

Unknown

Je veux vous parler de ces réunions, de ces discussions articulées autour du vin qui donnent lieu à de sempiternels débats sans lendemains. On les accepte volontiers, parfois à contre cœur. On y va à ses propres frais alors que l’on a déjà du mal avec sa maigre retraite et que l’on a un boulot à n’en plus finir sur le bureau. On se dit que peut-être on apprendra des choses, que ça fera du bien de faire un break, de voir d’autres personnes, d’échanger. Et puis Bruno Chevallet, l’organisateur, est si convaincant, si aimable, que l’on rêve déjà de pique-niques au bord de l’eau, d’échanges passionnés sous les oliviers et d’un hôtel de charme avec petit déjeuner provençal au son des cigales. Alors on dit oui. On y va le cœur en bandoulière avec en tête l’échafaudage d’un plan apte à défendre le Carignan du Roussillon, sans oublier de parler des autres, de ceux d’Uruguay ou d’Israël.

Le Maître et son élève... Photo©MichelSmith
Le Maître et son élève… Photo©MichelSmith

Cela me fait mal de le dire aussi brutalement, mais une fois sur place on déchante : les repas sont ruineux, les produits locaux sont relégués aux abonnés absents, le foie gras, le homard et le saumon sont mis en avant (pourquoi pas le caviar ?), de coûteux droits de bouchons vous scient le moral et en plus il faut se battre pour boire le vin à sa bonne température. Côté débats, discipliné on attend patiemment son tour de parole pour balbutier quelques mots sur cette éternelle et lancinante définition du « terroir », puis on écoute des gens passionnants que l’on coupe, comme c’était le cas pour vous il y a à peine 10 minutes, car, c’est un fait, « le temps nous manque ». Comme toujours. Sur ce, on n’oublie pas de se congratuler les uns les autres, d’applaudir, d’échanger nos cartes, de remercier tel ou tel sponsor qui, en brillant de son absence, montre l’intérêt qu’il porte aux choses du vin, ne cherchant même pas à aller au bout de sa mission. Le tout face à un maigre public estimé à 20 personnes, peut-être 30 par moments, tous participants ou accompagnants. Au final, lorsque l’on rentre chez soi épuisé par 5 heures de route, viennent les mots fatidiques : « Et alors ? » Alors, quoi ? On se sent comme envahi par un sentiment de frustration. On fait son délicat, son difficile…

Danièle Raulet-Reynaud à gauche et Iulia Scavo, la star montante de la sommellerie. Photo©MichelSmith
Danièle Raulet-Reynaud à gauche et Iulia Scavo, la star montante de la sommellerie. Photo©MichelSmith

Si ce n’était que pour les joies de retrouver mes amis vignerons, un tel voyage valait-il la peine d’être vécu ? Malgré les déconvenues, je dis oui haut et fort, même si je reste sur ma faim. Tout cela pour des « Rencontres internationales », les premières du genre sur la Côte d’Azur avec pour thème palpitant : « Un cépage, un terroir, des hommes » argumenté de la sorte : « Comment des vignerons ont su mettre en valeur des cépages oubliés et mal aimés sur des terroirs adaptés pour des vins exceptionnels ». La seule mention des cépages oubliés et la possibilité de défendre en public mes bons vieux plants du Midi, comme je le fais ici même tous les dimanches depuis 4 ans, ont suffi à me faire déplacer. Et, vous vous en doutez, ce n’était pas que pour un dîner dit « de gala » destiné à oindre les huiles dans le sens du poil. Alors, je m’efforce de retenir le côté positif des choses. Je me rends compte en effet que, malgré quelques écueils, rien n’a été perdu pour autant. Quelle chance j’ai a eu de pouvoir renouer avec le Romorantin de Michel Gendrier que je n’avais pas goûté depuis des lustres, de rencontrer sa charmante épouse, d’échanger avec André Dubosc venu de Plaimont pour une fois sans son béret basco-béarnais, accompagné lui aussi de son épouse et d’une jeune chercheuse en cépages autochtones de l’école de Purpan qui explore savamment les travaux sur les comportements des cépages anciens du Sud Ouest comme le fait Michel Grisard, présent lui aussi pour parler de son expérience en son Centre d’Ampélographie Alpine dédié à Pierre Galet. Ah, ce Professeur Pierre Galet qui travaille d’arrache pieds à un nouveau Dictionnaire encyclopédique des cépages, c’est une légende vivante. Un homme plein d’humour doté d’une mémoire éléphantesque qui vous lance à la figure un magistral « Profitez-en, j’ai 93 ans et je vais bientôt mourir » !

Les participants... enfin, une partie. Photo©DR
Les participants… enfin, une partie. Photo©DR

Quelle joie aussi d’embrasser Patricia Boyer du Clos de Centeilles que l’on a vu naître dans les années 80 avec déjà le souci de préserver les nobles cépages languedociens. Joie aussi de goûter sans retenue les cépages corses de Jean-Chales Abbatucci, de vider un verre ou deux de Mailhol en compagnie de ses auteurs Laurence et François Henry devenus historiens pour la cause des cépages, de siroter pour la première fois de ma vie une Mondeuse Blanche, celle de Philippe Grisard. Écouter les passionnantes recherches de Garance Marcantoni, la conseillère en viticulture biologique de la Chambre d’Agriculture du Var que les vignerons présents n’ont jamais pris la peine de contacter alors qu’elle a tant de connaissances à partager avec eux sur les cépages oubliés de Provence. Regretter l’absence de vignerons provençaux, hormis deux d’entre eux. Boire le discours d’historienne et l’accent pierreux de la Roumaine Iulia Scavo qui, je l’espère, deviendra un jour Meilleur Sommelier du monde après le Suisse Paolo Basso. Je vous jure, cette fille le mérite ! Quel plaisir aussi de causer un brin avec Jean Rosen, André Deyrieux, Jean-Luc Etievent, j’en passe et des meilleurs

La photo souvenir... Où tout le monde semble ravi ! Photo©DR
La photo souvenir… Où tout le monde semble ravi ! Photo©DR

Boire et échanger, voilà de vrais moments de partage qui gomment les défauts de cette première initiative forcément perfectible. En dernier ressort, j’aimerais suggérer ceci aux organisateurs : que l’on sorte lors des prochaines sessions du tape à l’œil, du bling-bling cher à la Côte d’Azur ; que l’on remise aux oubliettes ces soirées interminables où les étoilés se surpassent à grands renforts de verrines dînatoires et autres variations sur lesquelles le rouge chaud ne passe décidemment pas, pas plus que le rosé d’ailleurs ; que l’on aille vers plus de simplicité, vers des repas de grandes tablées où nous sommes tous ensemble, chez un vigneron de La Londe, par exemple. Et que l’on réduise le nombre d’intervenants afin de laisser s’exprimer ceux qui sont dans le concret. Je sais, ce ne sera pas toujours chose facile. Au Lavandou, nous sommes sur la route de Saint-Tropez et sur la commune qui abrite la modeste demeure de Carla Bruni au Cap Nègre. Mais on peut rêver…

Michel Smith

12 réflexions sur “À quoi cela peut-il bien servir ?

    1. Le monde du vin a commencé en 2005 pour moi, mais tout qui a une encyclopédie ampélographique à la maison sait qui est Pierre Galet. Tiens au fait, c’est qui ce Lalau? 😉

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  1. Lou

    Porter un projet et le mener en seulement 2 mois à son terme avec les moyens trouvés n’est pas exercice aisé et nullement à la portée de tout à chacun. Au moins, au vu de ce billet et de son titre, il a déjà le mérite de faire couler de l’encre et de délier quelques langues…
    Cette initiative alors aboutie et défendant d’autant plus un noble vrai sujet nous passionnant les uns et autres devrait aussi, ne serait ce, être saluée.
    Elle n’est qu’une première, et en ce sens, ne peut être que de meilleur cru, à la fois en terme qualitatif comme quantitatif, pour la suivante, face non pas aux jugements qui ne relèvent bien d’aucune intelligence mais face aux critiques émises, la critique étant en effet reconnue comme toujours constructive…

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    1. Merci Lou. Je pense qu’en relisant mon papier vous ne trouverez aucun mépris envers les bénévoles organisateurs de ces journées. Mon but n’étant pas de froisser, mais d’interpeler. À vouloir en faire trop, on ne réussit pas toujours à passionner les foules. J’en sais quelque chose. Bel été à vous.

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  2. Lou

    Mieux vaut chercher à déplacer des montagnes pour réussir quelque peu à faire frémir quelques collines. L’effet passion ne pourra dès lors que plus encore décuplé, surtout si le débat est déjà autant animé, preuve en est ainsi faite qu’il ne laisse pas indifférent.
    En unissant toutes les initiatives, grandes ou modestes, à plus ou moins grande échelle, en des lieux et des concepts différents, leur portée en sera davantage renforcée pour glorifier une unique belle et noble cause :  » mettre à l’honneur les cépages précieux et leurs artisans-vignerons « , tant sans eux, il n’y aurait ni évènement ni paroles/écrits ni… rien !
    Je précise utiliser en effet l’expression « cépages précieux », n’étant pas d’avis avec celles de cépages rares, oubliés, mal-aimés, modestes : La particule « mal » (rattaché à « aimés ») a une connotation négative… Et quant à l’adjectif « modestes », il convient mieux de l’associer à l’homme plutôt qu’au cépage à mon humble avis… Que de préférer le terme ‘rares » ou « oubliés » semble plus adéquat or de mon point de vue, pas assez suffisant pour plus encore valoriser ces cépages.
    Au plaisir de vous retrouver à nouveau afin de faire bouger les rangs… de ces ceps de vigne si précieux… pour qu’ils brillent autant qu’un beau soleil d’été

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