L’œnotourisme sera culturel ou ne sera pas

Notre invité du jour n’est autre qu’André Deyrieux, le fondateur de Winetourisminfrance. Et de quoi nous parle-t-il? D’œnotourisme, bien sûr!

Le Plan stratégique 2025 de France-Agrimer classe dans les opportunités de la filière viti-vinicole « l’augmentation sensible du tourisme du vin (œnotourisme) ». Bien vu !

Une mesure du Plan est consacrée à l’oenotourisme, la n°24 : « Soutenir et développer l’oenotourisme en région source de développement économique et d’image », dans le cadre de l’objectif intitulé « Maintenir le marché intérieur fort ».

On se demande pourquoi l’oenotourisme ne serait bon qu’au marché intérieur. D’ailleurs, les actions menées au travers d’Atout France et du Conseil Supérieur de l’Oenotourisme visent clairement des pays clés du marché international.

Il serait regrettable que les acheteurs étrangers (y compris professionnels) ne soient pas incités à venir associer « en live » paysages et dégustations quand on sait l’influence que joue l’esthétique d’un paysage de vignes sur la perception qualitative d’un vin

Le laconisme de la mesure n°24 laisse en tout cas de côté un point fondamental. Si l’œnotourisme exige bien l’alliance du tourisme et du vin, il est également éminemment culturel.

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Le graphisme se joint au vin

De la culture dans mon verre !

Je ne veux pas parler ici de l’importance sur un territoire touristique de la valorisation des monuments habituels ; châteaux, abbayes, moulins, monuments…

Je veux mettre l’accent sur les patrimoines naturels et culturels, matériels ou immatériels propres au monde du vin. « Le vin est l’une des choses les plus civilisées du monde », rappellait Hemingway.

De la géologie à la toponymie, des outils aux savoir-faire, de l’archéologie à la saga des coopératives, des vieux cépages aux cabanes de vigne… c’est un immense millefeuille patrimonial, dont le vin est à la fois le fruit et la cause, qui est offert aux oenotouristes, gens curieux et cultivés, épicuriens et désireux de se divertir et d’apprendre.

La richesse de nos patrimoines viticulturels devrait être une fierté nationale ; elle est sur le plan international un avantage concurrentiel considérable, et pour notre économie touristique, et pour le marketing de nos vins. Il serait regrettable de se limiter à des wineries sans supplément d’âme, ou à des caveaux « à la papa » et « sans goût ni grâce ».

Cette demande pour l’oenotourisme culturel est de mieux en mieux analysée par des pays comme le Portugal, la Croatie ou la Géorgie… qui voient à juste titre dans la culture et l’imaginaire de puissants vecteurs d’identité et d’authenticité. Il faut donc tout faire pour que la culture ne soit pas le chaînon manquant de l’oenotourisme.

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Le vin devient graphique…

Des histoires dans mon vin !

Ces héritages, il n’appartient qu’à nous de les mettre en valeur par leurs histoires. C’est ce que nous proposent de faire les gens de communication et de marketing qui utilisent la très efficace technique – finalement ancestrale – du story-telling.

Nous avons besoin qu’on nous raconte des histoires. C’est la raison pour laquelle nous allons au cinéma, lisons des livres, et voyageons, de plus en plus nombreux, sur les routes des vins. Or le monde du vin est rempli d’histoires qui aident à comprendre nos appellations, nos vignes, notre passé parfois récent, parfois très lointain, nos terroirs, notre culture…

Et tiens, pour vous donner un exemple, voici ce qu’on peut raconter à partir d’une simple étiquette

domaine des Aires

Une étiquette, une histoire : Lunel

 

L’étiquette représente l’ancien port de Lunel, dans le Languedoc. De par sa position, Lunel contrôlait la circulation d’est en ouest entre Montpellier et la vallée du Rhône (sur la via Domitia, puis ensuite à partir du XIVe s., grâce au pont franchissant le Vidourle), ainsi que celle remontant vers les Cévennes.

Il manquait une voie d’accès à la mer, plus sûre que le passage « terrestre » par une mouvante zone lagunaire. Le fait qu’en 1248, Saint-Louis accorde le monopole de la vente du sel à la famille des Gaucelm, seigneurs de Lunel, déclenche le projet de creusement d’un canal. Sa construction progressera lentement depuis l’étang de l’Or et ne parviendra à Lunel même qu’en… 1728. A partir de cette date, relié à la Méditerranée et au port de Sète, Lunel peut se développer largement.

Le port devient un lieu de transit important pour le sel, le bois des Cévennes, et évidemment pour le Muscat de Lunel, de grande renommée, produit sur les communes de Lunel, Lunel-Viel, Saturargues et Vérargues.

L’apparition du chemin de fer (la gare de Lunel ouvre en 1845) mettra un terme au rôle du port. Le canal sera déclassé en 1937 et le port comblé en 1941. Un parking occupe sa place, à côté du parc Jean Hugo, mais ses quais de pierre sont encore visibles.

Le canal n’a pas été comblé. Accessible depuis la sortie de Lunel, un parcours longeant les berges permet de découvrir les environs en VTT ou à pied. On voit sur l’étiquette, reprise d’une carte postale, les barriques de Muscat.

On aperçoit également un habitant de Lunel qui semble pêcher avec un panier au bout de sa ligne. C’est une allusion à une ancienne légende qui veut que les habitants de Lunel, rêveurs et poètes, cherchaient à pêcher la lune dans le canal avec un panier percé. Ils furent pour cela surnommés « Pescalunes », « pêche lune ».

Le caveau du Domaine des Aires, pourtant vaste, se trouve à Lunel même, rue des Aires.

Sa devise : « un bon vin satisfait au goût par sa saveur, à l’odorat par son bouquet, à la vue par son éclat, à l’ouïe par la renommée de sa cave » ! 

D’où vient le nom du Domaine des Aires ? C’est une autre histoire…

André Deyrieux

 

 

 

10 réflexions sur “L’œnotourisme sera culturel ou ne sera pas

  1. André, tout ce que tu dis est juste et sensé.
    À condition que tous les acteurs d’une région ou d’une appellation jouent le jeu de l’honnêteté vis à vis du visiteur. Ne pas chercher à le berner, ne pas lui en mettre plein la vue, pratiquer des prix justes, proposer une nourriture saine et de saison (ah le foie gras poêlé sur la Côte en plein été ou les fraises au Monbazillac en plein hiver), ne pas gommer l’humain, respecter la température des vins et surtout oublier le rosé pamplemousse.
    Parfois, quand le rouge est chaud, le serveur expéditif et la bouffe très moyenne, je préfère fuir et me trouver un bon restaurant asiatique avec une bonne bière !

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    1. Un jour alors que l’on me racontai une histoire fabuleuse par rapport à un vin, alors que je trouvais cela fabuleux le directeur marketing me dit qu’il avait tout inventé… Quelle déception. Je dois être crédule et honnête. … Du reste lorsque je raconte notre histoire, notre parcours, notre engagement j’ai l’impression que les gens ont du mal à me croire peut être à cause de l’accent, de la bonhomie. En tout cas notre histoire, notre oenotourisme est authentique et relève d’un engagement total. Je regrette simplement que le chaland lorsqu’il a bien profité de l’histoire, du lieu, du temps du vigneron, lorsque il est sorti de son quotidien redeviennent plus pragmatique dés qu’il faut acheter les vins… Ce métier merveilleux est assez compliqué en terme de diversité et d’engagement. Nous ne savons pas mentir… Je regrette parfois que les journalistes malgré mes sollicitations s’ intéressement peu à notre vrai engagement et préfèrent les stars. Un peu comme les cavistes d’ailleurs…

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  2. Je reçois autour de 1500 personnes par an par mon activité dans la vallée du Rhône. La plupart des gens viennent des USA (95%). C’est tout les jours un plaisir de leur expliquer sur l’histoire du vin, notre système d’AOC, les sols, la viticulture. C’est un énorme échange culturel. Nous pouvons faire mieux, vu qu’il y a aussi des tour operators qui envoient des guides qui ne comprennent rien sur le vin, qui fument une cigarette pendant que les touristes prennent des photos dans les vignes, et n’expliquent rien sur les sols, le climat, les cépages, etc. Idem à la cave – vite, vite, une dégustation, achat des bouteilles et … hop, on passe à une autre cave. NON, dans ce sens, ce genre d’oenotourisme ne sert strictement à rien, il est là uniquement pour le commerce.
    « Pour vendre, il faut comprendre », tans que le client est dans votre cave, il n’est pas ailleurs, ça c’est ma logique. D’avoir donné la main au propriétaire du domaine, au vinificateur… c’est souvent pour les touristes une chance inoubliable.
    Un bon guide pourrait mener les touristes dans vos caves et faire passer un message pendant la dégustation. Vous, vignerons vous avez peut-être autre choses à faire, mais SVP, faites de votre cave une « PLATEFORME D’EDUCATION » et donc un instrument CULTUREL pour l’humanité. « L’eau sépare les continent, le vin réunit tout le monde ».

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  3. tomfiorina

    Excellent article that raises important points about how oenotourism can have more than a theme-park role in filling hotels and restaurant coffers.

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  4. georgestruc

    Il s’agit d’un domaine dans lequel on voit encore, hélas, toutes sortes de prestations fardées du label « oenotourisme », terme à la mode, bien éloignées de ce que doit et devrait être l’oenotourisme.

    Je pratique personnellement un oenotourisme fondé, en tout premier lieu, sur le principe de l’enrichissement culturel de celui que est accueilli et guidé, à la fois dans les vignes où l’on parle de cépages, de terroirs, de paysage, de conduite de la vigne, de coutumes, d’histoires et d’Histoire, de bâtiments ruraux ou de monuments, et dans les caves où on lui fait découvrir le métier du vigneron/vinificateur, ainsi que l’acte fondamental lié à la naissance du vin puis à son élevage. L’oenotouriste doit repartir avec un bagage de connaissances nouvelles et culturelles qu’il aura envie de faire partager à son tour à ses proches (familles, amis, collègues…). Ainsi se forge une « co-mémorisation des paramètres « vigne/terroirs/paysages/vignerons/vins/accueil/convivialité qui va demeurer longtemps en place et incitera son possesseur à renouveler cette expérience. Rien n’est plus agréable que de constater la satisfaction des personnes que l’on vient de guider.

    L’oenotourisme a de beaux jours devant lui à condition, comme l’indique Michel Smith, qu’il ne souffre d’aucun travestissement à caractère commercial abusif. Je suis optimiste sur ce plan là. Les bons opérateurs sont nombreux et respectent cette charte muette, établie sur la qualité et la compétence, des manières de le pratiquer.

    Mise en pratique pour moi cet été, en Juillet et en Août, sous l’égide de notre syndicat d’initiative local, dans le vignoble de Visan, AOP village des CdR, de belle notoriété.

    Qui s’inscrit ?

    Au passage, salut aux copains, André et Mike et aux autres, qui vont peut-être écrire quelque chose pendant le week-end.

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  5. Jolie, cette histoire des pêcheurs de lune de Lunel. En Angleterre, on raconte la même à propos des habitants du Wiltshire – on les appelle les moonrakers. On dit qu’ils avaient caché de la gnôle au fond d’un étang et qu’ils agitaient la surface pour que les douaniers ne puissent pas voir au fond. Les douaniers leur ont demandé ce qu’ils faisaient, ils ont répondu qu’ils voulaient pêcher la lune. Les douaniers les ont pris pour des demeurés et les ont laissés tranquilles…

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    1. Très bien dit. A propos du Story telling: nous avons tous besoin de replacer le vin dans son histoire pour mieux comprendre ce qu’il représente aujourd’hui. En France, nous avons cette diversité extraordinaire, propre aux grandes et anciennes terres viticoles. A nous les acteurs de l’oenotourisme de communiquer et transmettre notre passion à tous ceux qui nous font le plaisir de s’y intéresser.

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  6. L’oenotourisme est une façon originale de découvrir un pays ou une région. C’est tout mettre en œuvre pour que le vin devienne une façon de voyager, de s’évader…car derrière chaque bouteille, il y a une histoire à raconter ! Il est vrai que son rôle devient de plus en plus important, l’offre est à structurer.
    L’article est très instructif, les commentaires nous en apprennent beaucoup, merci pour cela.
    De notre côté, nous sommes fiers de contribuer au développement de l’oenotourisme au travers des séjours que nous proposons dans quatre vignobles de France.

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