La difficile conversion des habitudes : le cas des Anjou blanc secs

Il y a peu de temps, j’ai parlé ici de l’importance d’un nom, de préférence simple et facile à prononcer, dans la réussite commerciale d’une appellation. Mais que se passe-t-il quand un nom qui réunit ces critères se trouve, par le fait de l’histoire, associé à des vins dont la réputation globale est, disons, faible ou dévalorisante ? Et comment font les producteurs qui souhaitent sortir de ce piège par le haut, convaincus qu’ils sont de la valeur et du potentiel de leur vins et du projet qui les entoure ?

Il y a près d’un an, j’ai assisté à Paris à une dégustation de vins blancs secs d’Anjou dont la qualité générale m’avait fortement impressionnée. Ces vins avaient clairement de l’intensité, de la séduction, de la rigueur et, du coup, la capacité à très bien se conserver et à devenir plus complexe avec le temps. C’est pourquoi j’ai répondu très vite à une invitation de venir voir sur place et à déguster une sélection plus large de ces vins, issus de différents millésimes.

vue sur le LayonLa douceur angevine : vallée du Layon vu du Château de la Soucherie (photo David Cobbold)

La région au sud d’Angers, sur la rive gauche de la Loire, est surtout réputée pour des vins moelleux faits avec le cépage chenin blanc dans les appellations Aubance, Layon, Chaume et Bonnezeaux. Mais pour faire un grand vin doux qui est issu, en partie ou en totalité, de raisins botrytisés, il faut des conditions météorologiques qui ne se commandent pas. L’exemple des deux dernières récoltes le démontre : quand les conditions n’y sont pas, on ne peut guère en faire, à moins de tricher. Et beaucoup ne veulent pas tricher. Comment faire alors, car il faut bien vivre ?

Patrick Baudouin, le rouge n'est plus de misePatrick Baudouin qui préside cette appellation et pour qui le rouge n’est plus de mise (!). (photo David Cobbold)

 

Une solution est de convertir une part significative de son vignoble à la production de vins rosés ou rouges. Et cette tendance gagne du terrain, comme l’explique Patrick Baudouin, qui préside avec intelligence l’appellation Anjou blanc sec : « Les stats sur l’évolution de l’encépagement chenin/cabernet en Anjou sont claires : il y a eu inversion d’encépagement au profit du cabernet, entre les années 50 et aujourd’hui. Il ya eu aussi donc inversion des vins produits, au profit du rosé. Et aussi au niveau des zones plantées. »

Mais l’image, et le prix qui va avec, des rosés d’Anjou n’est guère valorisante, même si cela se vend : la part des rosés atteignant maintenant 50% dans la région. Et puis il y a la question de la fidélité à une tradition, ou, plus exactement (car on peut aussi dire que la tradition n’est que la somme des erreurs du passé !), à un potentiel qualitatif pour l’élaboration de vins qui reflètent parfaitement leur site et leur méso-climat (terroir, si vous préférez ce mot valise, bien trop fourre-tout pour moi). Les rouges du coin (14% de la production) sont parfois excellents, mais quand son vignoble est encore planté très largement de chenin blanc, qui, certaines années, produit de grands liquoreux que vous avez un peu de mal à vendre, il vaut mieux peut-être trouver une manière de faire de bons vins blancs secs. C’est cette idée-là qui préside à la volonté d’un groupe significatif de bons producteurs de créer une appellation haut de gamme afin de monter le niveau et la part des blancs secs de la région, qui ne représentent actuellement que 5% de l’ensemble des vins. J’estime cette initiative plus qu’honorable et très fidèle à l’esprit que prônait René Renou quand il présidait l’INAO et qui semble avoir été largement oublié depuis sa disparition. Et tant pis pour quelques esprits chagrins, qui préfèrent avoir raison seuls (car ces gens-là ont toujours raison et l’affirment d’un ton péremptoire) en oubliant la part du collectif nécessaire à l’image d’une région.

chenin début juilletUne vigne de chenin à La Soucherie qui semble bien parti au mois de juillet 2014, sur des sols en partie travaillés et en partie enherbés (photo David Cobbold)

Le chenin blanc, parfois encore appelé Pineau de Loire dans la région, pourrait avoir son origine à Anjou. Une première indication écrite date de 1496 à Chenonceau, et parle de « plants de l’Anjou ». Rabelais, dans Gargantua (1534) louait « le vin pineau. O le gentil vin blanc ! et, par mon âme, ce n’est que vin de taffetas. » Selon Vouillamoz, un des parents du chenin blanc serait le savagnin (ou traminer), et il serait frère ou sœur avec le trousseau et le sauvignon blanc. Plus surprenant est le fait que son profil génétique est identique avec celui de la variété espagnole agudelo, qu’on trouve aussi bien en Galicia qu’au Penedes.

Tirer une appellation vers le haut implique nécessairement d’imposer quelques contraintes sur les méthodes de production. J’ai comparé les cahiers de charges pour l’appellation blanc sec existante et celle dite « haut de gamme », et les différences me semblent couler de source. Je résume : chenin blanc à 100% (l’appellation de base autorise un part de chardonnay et/ou de sauvignon blanc), densité de plantation supérieure de 10%, taille plus rigoureuse, charge maximale réduite de 20%, enherbement ou travail des sols obligatoire, vendanges manuelles, rendement réduit de 10%, richesse en sucres plus élevée et pas d’enrichissement artificiel, élevage des vins plus longs et sans morceaux de bois….. rien de très dramatique, juste du bon sens, il me semble.

Luc Delhumeau, Domaine de BrizéLuc Delhumeau, au Domaine de Brizé, qui a produit  le plus beau 2011 que j’ai dégusté (photo David Cobbold)

Et les vins alors ?
J’ai dégusté, au Musée du Vin de Saint Lambert-du-Lattay (excellent endroit pour une dégustation, calme et avec une équipe aussi sympathique qu’enthousiaste) 49 vins issus essentiellement des millésimes 2012, 2011 et 2010, avec quelques vins plus anciens pour suivre l’aspect « vin de garde » inhérent au concept : 2009, 2008, 2005, 2003 et 1996. Mon impression globale était très bonne. Je vais vous paraître trivialement mercantile (je sais, c’est la nature d’un peuple marchand, mais c’est aussi ce qui fait vivre un vigneron !) et vous parler d’abord de prix avant de vous livrer mes préférences et autres remarques. Le prix moyen (prix public) des vins dégustés se situe autour de 10 euros avec un écart assez important entre le moins cher (4,90) et le plus cher (un peu plus de 20 euros). Vu leur niveau qualitatif moyen, je dirai que ces vins valent mieux sur le marché, surtout quant on les compare aux blancs de bourgogne. Un prix moyen de 15 euros me semblerait largement justifié.

Didier Richou, une constance dans la qualitéDidier Richou, auteur, avec son frère Damien, d’une série de vins aussi remarquables que régulière (photo David Cobbold)

Mes vins préférés
Je vous épargnerai des commentaires détaillés pour vous livrer juste une liste de producteurs et quelques remarques. Tous les producteurs de la zone n’ont pas jugé bon de livrer des échantillons. Ils ont clairement tort de bouder des telles dégustations et cette absurdité fait de fierté mal placée me rappelle l’article récent d’Hervé Lalau sur le fait que certains vignerons semble considérer que soumettre ses vins à des dégustations comparatives ressemblerait à de la prostitution !!! Ont-ils peur d’une forme de vérité, certes subjective ? Quant aux autres, plus courageux, toutes des putes et des soumises alors ?
NB. Les vins sont listés par ordre de dégustation, pas de préférence.

Millésime 2012 (sur 18 vins)
Domaine de la Bergerie
Domaine de Juchepie
Domaine des Trottières
Domaine Bablut, Petit Princé
Pithon-Paille, L’Ecart
Domaine Richou, Les Rogeries
Domaine des Forges, Expression d’Automne
Domaine Pierre Chauvin

Millésime 2011 (sur 11 vins)
Domaine des Iris, futs de chêne
Domaine Richou, Les Rogeries
Domaine de Brézé, Loire Renaissance
Château de Fesles, La Chapelle,
Domaine Pierre Chavin, La Fontaine des Bois
Domaine Patrick Baudouin, Le Cornillard
Château Pierre Bise, Les Roannières

Millésime 2010 (sur 8 vins)
Domaine Patrick Baudouin, Le Cornillard
Domaine Richou, Les Rogeries
Château de Passavant, Montchenin

Millésime 2009 (sur 6 vins)
Château Pierre Bise, Le Haut de Garde
Domaine de Juchepie
Domaine de Bablut, Ordovicien
Domaine Richou, Les Rogeries
Domaine Leblanc
Domaine Patrick Baudouin, Le Cornillard

Millésime 2008 (sur 3 vins)
Domaine Richou, Les Rogeries
Domaine Patrick Baudouin, Le Cornillard
Domaine Cady, Cheninsolite

Millésime 2005 (1 vin)
Domaine Patrick Baudouin, Le Cornillard

Millésime 2003 (1 vin)
Domaine des Iris, fûts de chêne

Millésime 1996 (1 vin)
Domaine Ogereau

 Anne Guegniard Guitton, Domaine de la BergerieAnne Guegniard Guitton, au Domaine de la Bergerie, dont j’ai beaucoup aimé le 2012 et dont le mari, David Guitton, tient une très bonne table sur place (photo David Cobbold)

 

Remarques et conclusions

Mon critère de tri pour cette sélection étant une note d’au moins 14,5/20 pour chaque vin, quelques soit le millésime, on constate un taux de réussite, selon ce critère subjectif, de 30/49, soit d’un peu plus de 60%. Je dois dire que je ne trouve que très rarement de genre de taux dans une série de vins d’une même appellation, et surtout à ce niveau de prix. Ce score confirme mes premières impressions. Quelques vins (2 ou 3) furent rejetés parce que je trouvais leur dosage en soufre excessif. Deux autres parce que, manifestement, on avait négligé de sulfiter à bon escient et ces jeunes vins montraient une oxydation prématurée avec une perte d’arômes et de netteté. Quelques autres me plaisaient un peu moins parce qu’une présence de botrytis donnait un nez de cire qui dominait tout le reste. Mais, dans l’ensemble, que du plaisir avec ces vins qui associent, dans des proportions forcément variables, vivacité, saveurs riches, structure et persistance. Autrement dit, les bons Anjou blanc secs sont de vins de caractère avec une capacité de garde affirmée.

Il faut aussi noter les très grande régularité de quelques domaines : Richou et Baudouin, en particulier. Mais tous n’ont pas présenté des vins dans tous les millésimes, alors la comparaison est un peu injuste.

la douceur angevineLa douceur angevine vu par les fleurs. Oui, mais les hortensias changent de couleur selon la nature des sols. Qui trouvera la clef de cette histoire ? (photo prise à la Soucherie par DC).

 

Faut-il changer leur nom d’appellation ? Je ne le crois pas. Il faudra en revanche de la persévérance aux producteurs pour passer le message qu’Anjou peut aussi rimer avec blanc sec, et que cette région est aussi très capable de faire des grands blancs de ce type. Je ne rentrerai pas ici dans le débat à la mode sur la nature des sols, qui semblent être majoritairement schisteux par là. Je laisse cela aux spécialistes et je vous réfère aux écrits forts intéressants de Patrick Baudouin :

http://www.patrick-baudouin.com/ puis suivre la rubrique « profession de terroir » et chercher le pdf sur les grands vins d’anjou.

David Cobbold

 

12 réflexions sur “La difficile conversion des habitudes : le cas des Anjou blanc secs

  1. Bravo David pour cette approche pragmatique de l’Anjou blanc (sec) qui pour moi est une réelle spécialité régionale à mettre en avant et à encourager.
    Je note que la plupart des vins qui ressortent portent le nom d’une parcelle ou d’un lieu-dit ce qui renforce la valeur de ces micro-terroirs (désolé, je n’ai pas trouvé d’autres mots) mis en avant par l’observation au fil des générations de vignerons. Il y a un côté Bourguignon qui me plaît dans ce constat au point que, pour renforcer l’Anjou blanc, pour le valoriser encore plus, il serait utile de travailler sur un classement (vieux serpent de mer, je te l’accorde…) des lieux en 1ers et grands crus. À condition bien sûr que le vignerons le fassent intelligemment, en prenant le temps nécessaire, avec l’appui d’une commission de techniciens de réputation solide. Cela permettrait aussi aux vignerons de cette région de vivre mieux tout en rehaussant la qualité des autres vins (rouges, rosés, liquoreux) et en réhabilitant les bonnes pratiques au détriment des mauvaises.
    Mais pour ce faire, il faudra un réel leader capable de rassembler et de discipliner la troupe. Normal que je dise cela un 14 Juillet…

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  2. georgestruc

    Tout à fait d’accord, David avec vos commentaires. De grands vins blancs sont élaborés par ces courageux vignerons. Constat réalisé personnellement lors de la Paulée de l’Anjou noir de 2013, chez Patrick Baudouin. Au sujet des terroirs, nous ne serons jamais « en phase » à partir du moment où procédez pphase »

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  3. georgestruc

    Un clic maladroit et mon message est parti incomplet. Bis repetita : Tout à fait d’accord, David avec vos commentaires. De grands vins blancs sont élaborés par ces courageux vignerons. Constat réalisé personnellement lors de la Paulée de l’Anjou noir de 2013, chez Patrick Baudouin. Au sujet des terroirs, nous ne serons jamais « en phase » à partir du moment où vous procédez par a priori sans prendre la peine ne serait-ce que de mettre en pratique une démarche naturaliste, l’observation des données, leur évaluation, leur récurrence, etc …Patrick Baudouin vous aurait éclairé sur ce sujet, à condition de l’écouter et de le lire, je pense. Participez à la prochaine Paulée de l’Anjou noir, fin Juillet. Vous y rencontrerez un confrère géologue de la Fac d’Angers, et Patrick vous indiquera in situ (balades dans les vignes) les alliances fondamentales qu’il utilise, en matière de terroirs, pour gérer son vignoble. Ces vinifications à la parcelle ou au lieu-dit sont extrêmement révélatrices du potentiel étonnant qu’offrent ces vins blancs d’Anjou. Hommage à René Renou, visionnaire, et à tous ceux qui suivent ses conceptions.

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  4. Marc LEDAN

    Cher David, qu’en est-il de ces vins de soif qu’on appelle dans la région les Anjou de Printemps? Ont-ils de l’avenir? Quel est ton avis à ce sujet?

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  5. Micka

    Bu ce week-end un Anjou blanc sec du Château de Suronde, plus réputé pour ses Quart de Chaume. On est certes dans la haute fourchette de prix citée, mais j’ai trouvé ça absolument délicieux, d’un grand équilibre, et d’un rapport qualité/prix bien plus évident qu’en bourgogne dont certaines appellations devraient avoir bien plus à rougir en effet.

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  6. Georges, merci de vos commentaires. Malheureusement je serai dans le sud-ouest fin juillet, mais cela fait longtemps que j’avais envie de participer à une de ces Paulées (au Grand Monarque à Chartres ou ailleurs ?). En tout cas j’ai pas mal lu et écouté les pensées de Patrick Baudouin. Nous échangeons depuis un moment, par à-coups. Nous ne sommes pas toujours d’accord, vous vous en doutez un peu, mais c’est toujours intéressant et enrichissant (du moins pour moi).

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  7. A propos de noms: depuis le 4 juillet, la Cave de Montpeyroux s’appelle « CastelBarry ».

    En référence aux vieux Castellas de Montpeyroux (dont je n’avais jamais entendu parlé) et au village de Barry (idem). Déjà que tout le monde ne connaît pas Montpeyroux…

    Réaction personnelle:

    Primo, une majuscule au milieu d’un mot, c’est une aberration orthographique. France AgriMer aurait-il lancé une mode? Ou serait-ce Shia LaBoeuf? Protégeons la langue française!

    Secundo, CastelBarry perd la référence au cru Montpeyroux. Je suis dubitatif.

    Enfin, et c’est peut-être plus important, je pense qu’une coopérative n’a pas à rougir d’en être une si elle fait du bon travail. Bon nombre d’entre elles adoptent aujourd’hui des noms de fantaisie qui font oublier leurs racines collectives et je le regrette.

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