Contre-étiquette, deuxième étiquette, back label : pour quoi faire et comment ?

Autrefois, l’étiquetage d’un vin était une chose simple. Un nom de marque/domaine, parfois une appellation ou un millésime, mais guère plus. Sauf en Champagne, bien sûr (voir l’extrême densité graphique des étiquettes de Champagne du milieu du 19ème siècle), car là, il fallait montrer la valeur de la chose. C’était une carte de visite, une marque de reconnaissance, une signature, voire un élément de l’image de marque. Mais les choses ont bien changé. Voyons un peu comment.

Aujourd’hui, la règlementation sur les mentions imposées est de plus en plus contraignante en ce qui concerne l’étiquetage des vins, et ces mentions prennent beaucoup de place. Mais un grand champ de liberté et de diversité existe encore quant à ce qu’on appelle généralement la contre-étiquette. Pourquoi « contre » ? Contre quoi ? Je n’en sais trop rien. En anglais on dit, d’une manière peut-être plus concrète, « back label », car cela se pose sur le dos de la bouteille.

Sur le plan du graphisme et de la lisibilité, une des causes du développement d’une deuxième étiquette est la volonté de dépouiller l’étiquette faciale, en la «dépolluant» de toutes ces mentions fastidieuses, peut-être nécessaires, en tout cas imposées par la législation. Cette contre-étiquette ou «étiquette arrière» comme disent les Anglais, est devenu un élément assez significatif, non seulement dans l’habillage de la bouteille, mais surtout dans la communication sur le contenu. Et, là-dessus, plusieurs approches s’affrontent.

C’est cela qui m’intéresse aujourd’hui, et je vais prendre exemple sur les flacons bus récemment sur mon lieu de vacances en Gascogne. Les vins, comme vous allez le voir, viennent de partout. Et les approches au contenu de la contre-étiquette aussi, mais peut-être pas pas selon un clivage géographique significatif. Ou peut-être que si ! Allons aux exemples.

IMG_6265

La photo ci-dessus montre neuf vins différents, issus de plusieurs pays. Mais je vais en citer juste quelques exemples, dont certains ne sont pas nécessairement sur la photo. Il se trouve que toutes ces bouteilles, parmi d’autres, ont été bus très récemment, ce qui prouve que nous défendons correctement les vignerons, et de tous pays (sachant aussi que ceci n’est que la partie émergée de l’iceberg !). La photo ci-dessous montre les mêmes flacons retournés.

IMG_6266

Exemple 1. Le style factuel et (très) complet

Cet exemple nous vient d’Australie. C’est le flacon le plus à gauche sur les deux photos. Faut-il y voir une approche honnête et pragmatique, du type qualifié généralement d’anglo-saxon ? Peut-être, mais on sait aussi que les Australiens font aussi parfois dans l’humour, voir aussi dans le bla-bla.

Le vin : Parker State, 95 Block, Coonawarra, Australia

Texte du « back label »

Vintage : 2012

Variety : Cabernet Sauvignon (94,8%) ; Petit Verdot (5,2%)

Region : Southern Coonawarra

Vineyard : Parker Estate, Abbey

Sub Section : 95 Block

Vine Age : 18 years

Clone : Cabernet Sauvignon – Reynell ; Petit Verdot – G7V1

Soil Type : Terra Rossa over Limestone

Yield : 3,6 MT per Ha

Harvest : 28th March 2012

Fermentation : 14 days in 8MT static fermenters

Skin Contact : 35 days

Oak : French oak barriques, Seguin Moreau & Taransaud Château, 96% new. Medium toast.

Time in Barrel : 21 months

Bottling Date : 8th May 2014

Commentaire : wow, c’est exemplaire de précision, d’une parfaite technicité. Cela ne me donne pas nécessairement envie de boire le vin, mais c’est totalement objectif et sans aucune espèce de bla-bla. Ensuite, chacun jugera le vin pour lui-même. Personnellement je l’ai trouvé bien fait mais un peu trop extrait, à attendre au moins 5 ans.

 

Exemple 2. Le style « j’ai le terroir fier »

Le vin : Château la Colombière, Coste Rouge, Fronton, France

Texte de la contre-étiquette

Coste Rouge est une croupe de graves silicieuses travaillée dans le respect de la vie du sol et des cycles naturels de la vigne. Le cépage Négrette y puise une expression tout en finesse, pour un vin singulier et insolite.

Commentaire : c’est un peu vantard, comme souvent dans ce genre de discours qui prône le caractère unique de son vin. Bon vin au demeurant, plein de fruit et de vivacité.

 

Exemple 3. Le style « rien du tout car je m’adresse à des initiés ».

Le vin : Champagne Drappier, Brut Nature, Pinot Noir

Pas de contre-étiquette. On doit penser que le consommateur sait ce qui est ce vin (d’ailleurs très bon).

Commentaire : un peu fier et méprisant, même s’il y a pas mal d’infos sur l’étiquette faciale.

 

Exemple 4. Le style « je vous dit tout et vous n’avez même pas besoin de boire le vin »

Cet exemple nous vient de la Californie. Encore un back label très complet, mais plus discursif que dans l’exemple 1.

Le vin : Cline Ancient Vines Mourvèdre, Contra Costa County, California, USA 1999

Texte de la contre-étiquette

Mourvèdre, also known as Mataro, was extensively planted in California at the turn of the century (19th/20th, ndlr). In Oakley, where most vineyards were dry farmed, non-grafted cuttings were planted deeply to take advantage of what little water was available. Protected from phylloxera by Contra Costa’s sandy soils, the Oakley vines, yielding a mere 1,5 tons an acre, are head-trained and short spur pruned. Today there are less than 300 acres (120 hectares).

This 1999 Ancient Vines Mourvèdre is full and rich with flavors of dark cherries and chocolate, herbs, violets and anise and shows a long, lingering, vanilla finish.

Enjoy this Mourvèdre by itself, or match it with roasted and grilled meats, especially lamb, rich pasta dishes and hearty stews. Drink this wine now, or cellar it for 7 to 1O years.

Commentaire : cette contre-étiquette dense est en trois phases distinctes. D’abord les faits, ensuite on se place dans votre palais et à votre place, et enfin un mode d’emploi. Vous noterez que je n’ai pas obéi à la dernière recommandation en le buvant après 15 ans de garde. Le vin était encore très bon mais il était temps de le boire.

 

Exemple 5 : la contre-étiquette qui sert à dépouiller l’étiquette faciale

On trouve ce cas de figure un peu partout, mais cet exemple nous vient de Hongrie.

Le vin : Holdvölgy, Tokaji Szamorodni Eloquence 2007

Aucun texte à proprement parler sur la contre-étiquette, mais plein de mentions obligatoires, ce qui laisse de la place sur l’étiquette faciale au mot suivant de François de La Rochefoucauld : «True eloquence consists in saying all that should be said, and that only». Vin splendide, au fait.

 

Conclusion

Comme il s’agit de choix individuels, on trouvera autant de variations dans les contre-étiquettes que dans la configuration du corps humain, alors je ne vais pas en tirer des conclusions culturelles hâtives. Mais ces quelques exemples semblent montrer que les pays du dit Nouveau Monde sont à la fois plus prolixes, et plus factuels, dans les discours contenu sur les contre-étiquettes, que les pays de le vieille Europe, qui doivent sans doute estimer que les consommateurs savent déjà tout sur le vin. On pourra certainement me trouver, ici ou là, des contrexemples.

Et bravo aux Anglaises pour leur belle victoire à la Coupe du Monde féminine du rugby à XV, ayant battu le Canada 25 à 9 en finale. Rugbyrama n’en parlera probablement pas puisqu’il ne s’agit pas de la France, alors je le fais à leur place !

 David Cobbold

16 réflexions sur “Contre-étiquette, deuxième étiquette, back label : pour quoi faire et comment ?

  1. Saouliste Raphaël Brischoux

    Pour ma part, la contre-étiquette m’aide beaucoup lors d’une rentrée de la bouteille dans un logiciel de gestion de cave ou d’un livre de cave. Je pense, par exemple, que la garde d’un vin devrait être précisée plus souvent. Ça aiderait déjà les petits budgets à ne pas devoir acheter deux bouteilles pour en goûter une et estimer la garde de la deuxième.

    http://www.unvincible-blog.com/

    J’aime

  2. Bonne idée saouliste, avec le bémol que la durée du garde d’un vin est un concept assez élastique qui dépendra aussi bien des conditions de stockage et du goût de ‘amateur que du vin lui-même. Mais on devrait pouvoir donner des fourchette en tout cas. Vous noterez que peu le font, malheureusement.

    J’aime

  3. Luc Charlier

    Cela n’a pas de sens de n’acheter qu’une bouteille si on souhaite conserver le vin, le « faire vieillir ». Dans ce cas, 12 ou même 24 est le minimum. Et n’achetez alors pas de vin sans le goûter. On n’achète pas un chat dans un sac.
    Si c’est pour une consommation immédiate, et un achat à l’unité, la meilleure garde est qu’il soit excellent TOUT DE SUITE.
    RMQ: « les gens » (moi aussi) veulent toujours ce qu’ils n’ont pas!
    Donc la meilleure CE c’est:: à boire maintenant – for immediate consumption – gerade zu trinken – voor onmmiddellijke consumptie.

    J’aime

  4. Les contre-étiquettes sont grosso modo une invention des grandes surfaces, où le vin doit se vendre tout seul.
    Et incidemment, les vins australiens sont plutôt dirigés vers ce circuit de vente (pas tous, bien sûr).
    Idéalement, chez le caviste, on peut avoir l’information sous forme orale.
    Idem chez le producteur.
    Par ailleurs, je n’aime pas trop les contre-étiquettes qui me disent ce que je dois ressentir.

    Une autre façon de s’informer: les logiciels de scan de codes ou même d’étiquettes. Avec un avantage: ne l’utilisent que ceux qui le veulent bien, on n’impose rien.

    J’aime

    1. La contre étiquette comme invention de la GD ? je n’en suis pas persuadé mais, pourquoi pas ?
      En tous cas on pourra se retrouver sur le fait que la GD compile souvent des contre étiquettes navrantes … mais pas qu’elle !

      Faut-il préférer les contre étiquettes qui nous disent ce qu’il faut ressentir, celles qui nous assènent une liste d’éléments techniques autant qu’obscurs et invérifiables ou encore celles qui nous disent ce qu’il faut penser !? Car on trouve aussi bien des professions de foi et/ou des textes d’une rare indigence ou d’une utilité douteuse (ainsi l’exemple de La Colombière, ci dessus, me donne l’impression que l’on a fait une contre étiquette car il en fallait une).

      J’aime

  5. Rodriguez Thierry

    Merci pour cet article très intéressant, je suis en train de repenser mes étiquettes et contre-étiquettes et cela me sera fort utile. Sur un tout autre sujet, je souhaite planter en 2015 une petite série de cépages gris ou roses sur environ 1 hectare autour de ma cave. J’ai du mal à trouver des contacts, si vous avez des pistes, merci d’avance.

    J’aime

  6. L’exercice auquel vous vous livrez est amusant, tant sur le fond que sur la forme.
    Bien sur, ainsi que vous le dites, vous vous fondez sur quelques exemples que vous comparez or, d’une part, l’échantillonnage n’est pas forcément représentatif de la réalité et, d’autre part, « comparaison n’est pas raison ».

    Pour autant je reviens juste vos commentaires dans l’un des cas que vous avez choisis :le Brut Nature de Drappier (un vin que j’apprécie !). Après avoir peu avant cité l’objectivité (un peu froide ?) des anglo saxons vous nous faites là, me semble-t’il, un bel exercice d’interprétation hautement subjective (latine ?) :
    – « Pas de contre-étiquette. On doit penser que le consommateur sait ce qui est ce vin »
    et
    – « un peu fier et méprisant, même s’il y a pas mal d’infos sur l’étiquette faciale ».
    On peut l’interpréter ainsi. Ou bien considérer que le vin est ce qu’il est et que le consommateur est assez adulte pour savoir de lui même, en prenant le vin et non le discours, s’il l’aime ou pas.

    Faut il mettre des contre étiquettes sur les blogs ? (il est vrai qu’il y a les commentaires …)

    J’aime

  7. La contre-étiquette pourrait être un outil fabuleux, mais qu’écrire au dos de la bouteille pour contenter tout le monde? Les uns veulent du technique, d’autres des accords, d’autres encore un commentaire illustratif du contenu, … Et là encore, tout est sujet à caution, je ne vois guère de solution, l’image de la contre-étiquette parfaite. Toutefois, d’ici à ce qu’on résolve cet épineux problème, espérons moins de stupidités écrites sur ce petit rectangle qui parfois s’avère être la vrai étiquette, quand le producteur a laissé libre à son imagination pour donner une image de son âme la plus secrète… (sans s’en rendre compte Ψ)
    Marco

    J’aime

    1. georgestruc

      Sans compter sur les accords mets et vins qui sont de plus en plus fréquemment suggérés sur ces contre étiquettes. Pas forcément un mal pour le consommateur novice qui se trouve alors guidé dans son choix culinaire (un peu risqué tout de même). Là où tout devient cocasse survient lorsque la généalogie et les états d’âme du grand-père sont livrés au détriment de données objectives, certes moins poétiques… Peut-être que l’acheteur apprécie, on ne sait jamais…

      J’aime

  8. Je crois que nous nous retrouvons dans les contradictions et ambiguïtés du sujet. Je suis assez d’accord avec les remarques d’André et de Marc. Je crois qu’il est faux de dire que la contre-étiquette est une « invention » de la GD. C’est parfois un moyen d’expression, souvent un laïus publicitaire, de temps en temps une exercice de franchise. Il faut aussi penser au consommateur et ses besoins de repères. Mais quel consommateur (voir le cas du vin de Drappier dans mes exemples choisis un peu au hasard).

    J’aime

  9. Thierry Rodriguez : vous pouvez contacter le servie des bois et plants de vignes à la chambre d’Agriculture de l’Aude, à Carcassonne, service dirigé par Didier Viguier où l’on vous dirigera sur les bons pépiniéristes ou sur un responsable de votre Chambre d’Agriculture à Montpellier.

    J’aime

    1. Rodriguez Thierry

      Merci Michel. A bientôt le plaisir de vous revoir et de vous présenter mes dernières cuvées, quand vous êtes dans le secteur de Laurens.

      J’aime

  10. Les accords mets/vins me laissent de marbre, pour pas dire plus. Je sais bien, « cela fait vendre coco » (et j’en ai vendu). Mais, franchement, quand on connait un peu la complexité de l’affaire, c’est du pipeau 9 fois sur 10. Que les acheteurs essaient de faire leur propre chemin en testant toutes sortes de combinaisons, et surtout en sortant de schémas convenus que nous voyons sur trop de contre-étiquettes, du genre poisson = vin blanc ou viande = vin rouge.

    J’aime

    1. Je pense exactement pareil. Les accords sont tellement plus subtils que ces pictogrammes grossiers, on peut utiliser très facilement une bouteille à contre-emploi dans un accord avec un type de plat (entre une sole meunière et un rouget sur tomates, on ne met pas le même vin).

      Par contre, des informations qui évitent les erreurs basiques seraient les bienvenues: comme par exemple avec des vins qui peuvent se présenter sec, demi-sec ou doux… Difficile d’acheter un pinot-gris sans connaître au préalable la bouteille si on veut être certain de l’accord, etc.

      J’aime

  11. Pour la plupart, les contre-étiquettes avec « trop d’information » sont fourni par les grands producteurs – qui ne peuvent pas être sûr si leurs importateurs/grossistes expliquent suffisamment aux clients « le histoire » du vin. ça n’est pas à dire que cette information n’est pas utile, mais le client moyen ne lit pas tous les détails sûr la contre-étiquette. Donc pour moi, qu’il a plus de sens de n’imprimer que les infos essentiels…..et laisser les vignerons même fournissent le histoire, soi en personne soi sur un site internet. C’était notre « modus operandi » lorsque nous avons eu notre domaine viticole en Oregon – et il était assez efficace.

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.