Le Trousseau du Jura, j’aime ça

Rouge comme l’amour, le Trousseau partage souvent avec le Poulsard l’espace clos d’une bouteille. Seul, jeune ou vieux, il aime accorder sa pourpre épicée à quelques mets racés.

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Le Trousseau chez l’ampélographe

On pourrait croire que ce cépage peu connu n’existe qu’au Bon Pays. Détrompez-vous, le Trousseau se retrouve au Portugal où il entre dans la composition du Porto ainsi que dans l’assemblage des Dao, mais sous un autre nom, le Bastardo. Bastardo dont la culture se développe également en Australie méridionale où il est employé dans l’élaboration de vins de dessert, ce cépage apporte jus et sucre.

A quoi ressemble ce voyageur inattendu ?

La plante porte des bois vigoureux dont les sarments virent au rouge après la chute du feuillage vert pâle. Le grain rond, serré, à peau épaisse et très charnu croît en grappe tronconique. Cette grappe permet d’identifier les trois types de Trousseau existants : celui à grains très aérés, peu productif, dit « le Trousseau à la Dame », de qualité supérieure. Celui à grains très serrés, très productif jusqu’à cent hectolitres s’il n’est pas bridé, certains vignerons le nomment trousseau à petits grains, cette confusion vient de la compacité de la grappe qui ne laisse apercevoir que l’arrondi extérieur de ses baies. Enfin, il existe un Trousseau intermédiaire, de productivité moyenne. Moins capricieux que le premier et moins prolifique que le deuxième, il apparaît comme un bon compromis.
Enfin, le Chauché gris s’avère être la forme grise du Trousseau noir du Jura et pousse sur l’île de Ré.

Bastardo
Quel est son mode de culture ?

Le Trousseau n’aime guère le froid, les terrains les plus chauds lui sont réservés comme les marnes grises ou rouges recouvertes de graviers gras ou les graviers sols calcaires à la matrice bien argileuse, bref, des terrains qui se réchauffent et se drainent rapidement. Malgré ces bonnes conditions, cet enfant gâté fleurit le dernier puis rattrape son retard et mûrit en même temps que les autres. Quand le sol lui convient, ce cépage se montre très généreux. Et comme tout le monde ne possède pas du Trousseau à la Dame vieilles vignes, l’ébourgeonnage et la taille stricte s’imposent. Le but est d’arriver au meilleur potentiel sucre. Les bonnes années donnent des jus concentrés, colorés, aux tanins mûrs et à l’acidité parfaite. Les vins issus de tels moûts possèdent un potentiel de vieillissement important.
Quelques vieux flacons de Trousseau peuvent rappeler farouchement un bon Pinot Noir.

Le Trousseau chez l’historien

Le nom « Tressot » apparaît pour la première fois en 1732 dans un arrêt du parlement de Besançon. En 1774, il porte le nom de « Tresseau », puis adopte dès le début du 19es la dénomination vulgaire « Trousseau ». Cette dernière forme supplantera définitivement les Trusseau, Triffaut, Troussey, Tresseau, Troussé ou Troussez.
La forme bien troussée de la grappe, pyramide bien régulière semble avoir donné le nom. L’aspect ramassé du cep tout entier accentuerait cette étymologie physionomique. Mais il est plaisant de rapporter ici l’explication d’un « trousseur » (viticulteur qui cultive le trousseau, gardez pour vous vos interprétations scabreuses). Lucien Aviet, dit Bacchus, rappelle que les vignerons d’antan gardaient le vin de Trousseau jusqu’au mariage de leur fille et le vendaient pour payer la dot (le trousseau) de celle-ci.

Le Trousseau chez le géographe

Le cépage représente environ 5% de la surface viticole du Jura, cela donne une centaine d’hectares plantés. Une moitié s’éparpille dans tout le Bon pays où il entre presque exclusivement dans les assemblages Trousseau-Poulsard ou Trousseau-Poulsard-Pinot Noir. Il apporte au mélange la structure et la couleur. Les 50% restant occupent le nord de l’appellation Arbois. Au centre de ce terroir de prédilection, Montigny-les-Arsures détient le titre de capitale du Trousseau et le fête chaque année fin juillet.

Quelques beaux exemples (parmi d’autres) de Trousseau

JURA + ANDRE 2009 025

Pascal Clairet et ses vins qui chantent marne et terre de gryphées. «Je n’ai que 6,30 ha qui sont passées en biodynamie voici 3 ans. Mon principe, c’est de récolter un raisin mûr et sain, pour si possible le travailler sans soufre ou très peu.»
Le Trousseau les Corvées (nom du lieudit) élevé en foudre, a le goût de la fraise noire bien mûre sur fond minéral, une gourmandise. Il ne voit pas la moindre once de soufre, pas même à la mise. Ils ne présentent aucune déviation, c’est du goûteux, c’est du bon. Les blancs reçoivent 15mg de SO2, «à la mise seulement pour garder la tension et la droiture des vins

JURA + ANDRE 2009 115

Daniel Dugois, vigneron Aux Arsures, nous emmène jusqu’au millésime 1990. Un Trousseau Grevillière qui pinote en bouche, fraise et framboise, superbe de fraîcheur, voire de deuxième jeunesse.

Lucien Aviet, Lulu pour les intimes, possède en ses champs quelques vieux ceps de Trousseaux à la Dame, exposés plein sud sur des marnes bleues et rouges. Ces ancêtres plantés en 1919 produisent peu, les grains clairs, gros et lâches ne pourrissent pas. Deux cuvées en coulent dans la gamme des « Géologues » (=trousseau), « Rosières » et « Poussot ». En plus jeune, existent « Nonceau » et « Les Bruyères ».

Le Trousseau ça vieillit… Jacques Puffeney dans son petit caveau hémicylindrique, assis sur un banc de bois, nous contemplons avec lui la rangée des « Bérangères » (=vieilles vignes). Elles nous viennent de sols légers tapissés de graviers qui occupent la croupe arrondie et ensoleillée du lieu-dit les Bérangères. Jacques n’aime guère voir pousser ses Trousseaux en marne rouge, il leur trouve un goût de gibier. Les « Bérangères » 99 ouvrent le bal, vêtues de rubis profond, le fruit rouge colore leurs lèvres souples et épicées, elles ont cette touche de cannelle et ce joli gras qui plaît tant. Le 90 garde une fraîcheur incroyable, un nez de pivoine et une bouche en amande soyeuse, pimpante et croquante. Le 83 parle de sa finesse, de ses tabacs grillés, de sa cerise, de sa framboise, de sa fraise ; élégant il veut nous combler de délicatesses. Le 76 au grenat clair et brillant s’orientalise de fenugrec, de poivres et de menthol. La cerise et la fraise confites rappellent sa jeunesse. Une dégustation qui chante le bonheur de vivre, la joie des choses secrètes.
Différent, mais tellement…

JURA + ANDRE 2009 397

Trousseau 2004 Côtes du Jura du Domaine Pignier à Montaigu

Rubis, poivré d’entrée, la fraise noire dans la foulée, puis cassis et framboise, du fumé minéral comme le goudron. Délicate, la bouche est à la fois crémeuse et aérienne, avec des tanins croquants et coquins, avec tous les fruits sentis, les épices aussi. Ce Trousseau vient de la parcelle des Gauthières.
« C’est un terroir où le Trousseau se plaît. Il y trouve l’adéquation avec le sol. L’endroit très bien exposé les mélange, les calcaires gréseux y côtoient les marnes bariolées de Keuper. Sur cette parcelle, j’ai fait des essais de tisane (prêle, ortie,..) pour remplacer le Cu++ et le soufre. Ça a bien marché. Avec la biodynamie, on sent les effets sur le vin. Il donne l’impression que chaque élément, chaque arôme est bien à sa place. Le vin est bien construit, c’est un ensemble harmonieux et agréable » Antoine Pignier

Ciao

console fleurie Domaine Grappe

Marco

7 réflexions sur “Le Trousseau du Jura, j’aime ça

  1. georgestruc

    Quelle chance tu as eue de gambader dans ces vignes du Jura pour aller Trousser madame. Et partout des vignerons qui accordent le plus grand respect à leurs terroirs et plantent leurs cépages en fonction de leur présence ou absence. Lucien Aviet « Bacchus » rend hommage depuis des années aux membres de la tribu des géologues avec sa cuvée éponyme. Et tous ont assimilé la terminologie des formations géologiques qui affleurent localement et constituent le substrat de leurs parcelles. Bref, des gens qui savent remarquablement utiliser leurs terroirs, notion qui, aux yeux de certains, ne veut rien dire… Allez chanter cela aux jurassiens. Résultat garanti. Mon confrère Michel Campy est en train d’écrire un beau livre sur le vignoble et les terroirs du Jura ; à paraître je ne sais quand, après celui qu’il a réalisé, très géologique et passionnant, sur la chaîne du Jura.
    Le Trousseau à la dame, est un étrange et joli cépage que j’ai observé pour la première fois dans les vignes de Stéphane Tissot, non loin de la Tour de Curon ; je le croyais cantonné au Jura et tu nous fait découvrir qu’il existe sur le versant atlantique de la péninsule ibérique. Chose singulière. Connaît-on les moteurs qui ont conduit à cette dispersion géographique, sans jalon intermédiaire ?
    Merci pour cet article qui met en lumière des vins confidentiels, certes, mais oh combien intéressants.

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  2. Il n’est pas avare de paradoxe, ce Trousseau, qui aime, dis-tu, les terrains chauds mais qui se trouve planté dans le coin le plus froid de France ! Mais aussi au Portugal ou en Australie ou il a du partir pour chercher du soleil. J’espère un jour déguster un vin rouge du Jura que j’aurai envie d’acheter. Cela ne m’est pas encore arrivé, à la différence des blancs. Peut-être me faut-il chercher parmi ces vins de trousseau.

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  3. Moi non plus… Pas encore trouvé de vin rouge du Jura à mon goût. Il est vrai que mon expérience remonte à longtemps et que les jeunes vignerons, ainsi que les méthodes culturales bio, ont peut-être modifié les choses sur le terrain. 😉

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