Quatre ans après (Manso de Velasco)

Début mai 2011, j’étais au Chili. Le 11, je dégustais la gamme de Torres Chile, à Cúrico.

Mon coup de coeur du jour avait pour nom Manso de Velasco 2007 – un cabernet sauvignon de vieilles vignes, d’année chaude et d’élevage long.

torres, manso_de_velasco,a_sense, negre, 75cl, suro, cabernet_sauvignon

Voici ce que j’écrivais:

Cassis, épices, pas compoté mais fruité frais. Bonne structure, bouche fraîche, tannins structurés, tabac, cuir; puissant, mais élégant pour ses 14pc alc. Juteux. Bon potentiel 16/20

La semaine dernière, chez In Vino Veritas, j’ai redégusté ce même vin, du même millésime. A l’aveugle.

Quelle déception! Je n’ai retrouvé ni côté juteux, ni élégance, mais plutôt un vin aux tannins secs, une sensation de chaleur. Une astringence désagréable. Quant au potentiel… Si la marque d’un grand vin (surtout d’inspiration bordelaise comme ce cabernet sauvignon) est de bien vieillir, alors cette cuvée n’est pas le meilleur exemple.

Quand j’ai vu l’étiquette, après la dégustation, j’ai voulu redéguster. C’était pareil.

Mes amis et collègues d’IVV étaient sur la même longueur d’ondes. Ce vin ne méritait pas d’être sélectionné.

Alors, que s’est-il passé?

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Miguel Torres Chile (Photo (c) H. Lalau 2011)

Ai-je été trop enthousiaste en 2011? Faut-il se méfier des dégustations sur place, dans un contexte trop favorable?

Le vin a-t-il mal vieilli? Est-il dans une mauvaise passe? Devrai-je le redéguster encore dans quelques années?

Je me sens un peu désemparé. Si le but d’un commentaire de vin est de faciliter le choix du consommateur, alors il vaut mieux, bien sûr, ne lui conseiller que ce dont on est sûr. Dans le cas qui nous intéresse, un lecteur qui aurait acheté ce vin haut de gamme sur la foi de mon commentaire de l’époque, et qui, comme moi, l’aurait ouvert hier, aurait de quoi être déçu.

Déçu du vin, mais aussi de moi.

Bien sûr, la dégustation n’est pas une science exacte. Mais mon principe de base étant que la vie est trop courte pour boire des vins surfaits ou inintéressants (et surtout, pour vous les recommander!), me voici pris à mon propre jeu.

Comprenez moi bien: même si j’ai pris pour règle générale de ne pas vous embêter avec des commentaires de vins sans vice ni vertu, voire de vin à défaut (sauf s’il y a un intérêt pédagogique), je ne suis pas là non plus pour caresser le producteur dans le sens du poil.

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Quand Lalau déçu, lui parfois l’air ainsi (Photo (c) H. Lalau 2011)

Mon premier public, c’est le consommateur final, celui qui achète la bouteille, celui qui sort ses petits sous de son portemonnaie. C’est à lui que je dois ma part de vérité.

D’aucuns, parmi mes collègues, trouvent que je suis un peu trop coulant, trop gentil; c’est leur droit. Moi, je les trouve parfois trop durs. J’aime à penser que je n’ai pas que des puristes dans mon lectorat. J’entends rendre service au buveur honnête.

Voila pourquoi je vous parle de ce Chilien. Mais aussi de moi. De mes doutes.

Hervé Lalau

PS. Pour finir sur une note plus positive, le Cordillera Reserva Privada, du même Torres Chile, me plaît tout autant qu’en 2011 (le Carignan y est majoritaire, ce qui fera plaisir à mon ami Michel Smith). Idem pour le Santa Digna País mousseux – même si je suppose qu’il s’agit d’un nouveau millésime.

7 réflexions sur “Quatre ans après (Manso de Velasco)

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  2. Hervé, tu soulèves des vrais questions ici, et décris une situation à laquelle nous avons tous été confronté. Pourrait-on dire que la dégustation reflète tout autant un moment, et l’état du dégustateur à ce moment, que le vin lui-même ? Et de rajouter, bien entendu, qu’un vin n’est pas chimiquement stable, ni dans le temps, ni dans l’espace.

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  3. C’est bien là l’hônneteté de vos dégustations et de reconnaitre des écarts de dégustations… sans forcément apporter d’explication d’ailleurs.
    Mais, ce vin dégusté en 2011 était il le même que celui goûté la semaine dernière… d’ou l’intérêt (vous en avez déjà parlé) de raisonner en terme de N° de lot (ce qui limite les doutes et les risques de croire déguster le même vin alors qu’ils sont différents)…
    Pour cette cuvée, y a t-il plusieurs lots (ou mises) ? Quel volume représente cette cuvée (plusieurs milliers ou plusieurs centaines de milliers)… ca pourrait être une partie des explications.
    Pour ce Chilien, s’il s’agit du même vin avec « certitude », on mettra ça sur le compte de l’évolution « normale » du vin (sous réserve de vérification sur d’autres bouteilles… un accident est toujours possible !) et dans ce cas intégrer dans nos référentiels ce type dévolutions.
    En tout cas, restons humbles dans les commentaires et ne faisons pas trop de paris sur les devenirs ou les potentiels des vins… il y a souvent (peut être de plus en plus) de mauvaises surprises.
    Pour revenir aux N° de lots (sans en faire une fixation, mais si la discussion part la dessus…), là ou ça m’interpelle le plus, c’est lors des dégustations des Champagne BSA… je n’ai pas toujours, voire rarement trouvé dans le verre ce que j’ai pu lire ! … et là, vu les gros tirages des grandes maisons et l’origine des jus ou des vins (achats sur pile parfois), il me parraît évident qu’il y ait d’énormes différences. Je veux bien avoir ton avis …
    Merci
    Marc

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  4. Bonne remarque. Toutefois, je ne pense pas qu’elle s’applique dans ce cas précis, cette cuvée étant issue d’une parcelle de 3 ha, à faible rendement (les vignes ont 100 ans), produite en petite quantité, et probablement embouteillée en très peu de lots, peut-être même la même journée.
    Je n’ai pas parlé de notre ami le bouchon de liège, qui peut bien sûr aussi induire de gros écarts qualitatifs, car la bouteille dégustée la semaine dernière ne présentait pas de goût de bouchon. Il aurait été intéressant, cependant, de déguster une version sous capsule; mais à tort ou à raison, ce traitement est réservé aux cuvées moins prestigieuses. C’est paradoxal pour moi, car j’accepte encore moins bien le risque d’un vin bouchonné pour une bouteille de prix. Mais c’est un autre débat.

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  5. Luc Charlier

    Zut alors, vous avez tout dit. Pourtant: je suppose qu’il s’agit d’une « grande » winery. Il n’en existe pas vraiment de « petite » en Am. du Sud. On nous « dit » que ce vin provient d’une « petite » parcelle de 3 ha. Qu’en est-il en réalité? Et même ainsi, dans des pays d’irrigation systématique, les rendements peuvent être corrects, autour de 60-80 hl/ha (similaires donc à Bordeaux si on regarde l’ensemble des cuvées provenant du même vignoble, 2ème et 3ème vins compris). En restant minimaliste, cela fait 60 hl x 3 ha x 130 bt par hl = 23400 bt. Il n’est donc pas obligatoire qu’il n’y ait qu’une seule mise. Point UN.
    Ensuite, même si le bouchon ne présente pas de défaut extérieur, et même s’il n’y a pas de TCA, cela ne veut pas dire qu’il est hermétique. Or, le vin a fait un long voyage (comme Ulyssse), en semi et en bateau, a changé de climat et d’altitude aussi peut-être, et a été stocké (comment ?) en Belgique. Point DEUX.
    Hervé a raison: « Si tu veux que ton vin soit stable, exige qu’il ait une capsule avant de le mettre sur ta table »! Enfin, je dis ça et je dis rien. Il paraît que c’est signe de folie que de croire avoir raison contre tous les autres. Eppur si muove.

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  6. Tu brûles, Luc: le 86 a été produit à 23.400 exemplaires. Pour 2007, je ne sais pas, c’était une année chaude, de petit rendement, je crois.
    Impossible de dire en combien de lots le vin a été embouteillé. Mais comme il faut une ligne spéciale (bouteille haute, bouchée liège), je miserais sur un assez petit nombre.

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  7. Luc a raison de soulever en détail la question du liège. C’est ce système antique et inefficace de fermeture qui a la part de responsabilité la plus grande (et de loin) dans la variabilité entre flacons d’un même vin. Ne cherchez plus….

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