80 ans d’INAO

Hasard du calendrier, aujourd’hui, jour de ma chronique hebdomadaire, c’est mon anniversaire.

Plus important, sans doute, cette année, l’INAO fête ses 80 ans (moi, pas encore).

Née en 1935 sous le nom d’Institut National des Appellations d’Origine, la vieille dame a subi un lifting en profondeur, au début des années 2000, devenant officiellement Institut National de l’Origine et de la Qualité. 

Voila deux notions qui, pour n’être pas forcément contradictoires, ne sont pas forcément synonymes non plus.

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« Etre né quelque part », comme dirait Maxime, c’est une sorte de qualité; au sens de caractéristique. On le demandait naguère dans les administrations: « Veuillez décliner vos noms et qualités ». Ca ne voulait pas dire que vous alliez répondre: « Aimable », « Tolérant » ou « Vertueux ». Non, ça voulait dire: « Employée des Postes », « Majordome », « Capitaine de Dragons », « Rentier »… ou « Journaliste ».

En ce sens, on peut donc dire d’un vin d’AOP Bandol qu’il a pour qualité de venir de Bandol. Là où ça peut devenir gênant, c’est si quiconque l’entend comme une mention comparative: « il est d’AOC, donc, il est meilleur ».

Cet amalgame est des plus courants.

Quoi qu’il en soit, l’INAO va fêter cet anniversaire en beauté, le jeudi 16 avril 2015, en Avignon, en présence du ministre de l’Agriculture, avec un colloque intitulé, justement, «les signes officiels d’origine et de qualité: un atout pour l’agriculture de demain».

On y débattra « sur la manière dont les signes officiels d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) peuvent être des outils stratégiques pour appréhender les enjeux présents et à venir du monde rural ». Notez que l’on dépasse largement les enjeux de la filière vin. C’est que l’INAO s’occupe aujourd’hui de toutes les IGP et de toutes les AOP de France, quels que soient leur secteur.

En attendant de régler les les problèmes de l’agriculture de demain, j’ai envie de faire un petit flash back.

Je pense que s’ils avaient voulu l’appeler Appellation de Qualité Contrôlée, les pères de l’AOC l’auraient fait.

S’ils ne l’ont pas fait, je crois, c’est qu’ils savaient que l’origine peut s’objectiver; par une aire, une limite, des conditions d’élaboration (plus ou moins bien choisies, d’ailleurs); alors que la qualité (au sens de supériorité qualitative), elle, est totalement, irrémédiablement subjective.

Signe de qualité?

Ce qui est drôle, c’est que les défunts VDQS, censés représenter une catégorie inférieure à l’AOC, une sorte d’antichambre à l’obtention de la mention suprême, étaient dits « de qualité supérieure »…
Mais tout est sujet à interprétation, dans ces sigles: car l’AOC, jusque 2008, ce n’était que le nom français du Vin de Qualité Produit dans une Région Déterminée, au plan européen. Et les VQPRD englobaient aussi les VDQS.

Aujourd’hui, les AOP ont théoriquement succédé aux AOC, de même que les IGP ont remplacé les Vins de Pays; on verra, j’espère, se généraliser ces nouvelles mentions sur les étiquettes plus vite que les nouveaux francs ont remplacé les anciens! Car décidément, La France est le pays des révolutions… et du conservatisme.

Quoi qu’il en soit, la qualité ne se décrète pas; elle se contrôle, éventuellement. Et surtout, elle se renforce quand on se donne la peine de trier le bon grain de l’ivraie. La plupart des AOC sont trop vastes, trop laxistes, elles sont comme diluées par leur nombre et la quantité de vin produite.

J’aime le concept, pourtant, car il peut permettre la transmission d’un héritage. Je voudrais donc lui voir un avenir; mais il faudrait l’élaguer, en revenir à des dimensions gérables et crédibles.

L’idée même que 1000 vignerons puissent partager le même trésor patrimonial, l’AOC Bordeaux, ou Corbières, ou Côtes du Rhône, ou Muscadet, peu importe, et puissent lui rendre un hommage unanime, au moyen de vins qui seraient de qualité homogène, cela me semble tellement irréaliste, et tellement peu dans l’esprit français…

Le doigt, la forêt, la lune…

D’un autre côté, la forêt ne doit pas cacher le doigt de celui qui regarde la lune, ni les trains qui parfois, arrivent à l’heure (je vous fais une promo sur les allégories).

Je ne crois pas qu’il faille jeter les AOC avec l’eau du vin sous prétexte qu’une bonne partie d’entre elles ne veulent rien dire, ou que même au sein des meilleures, on trouve des margoulins ou des médiocres juste bons à se laisser traîner par les locomotives de leur cru.

Enoncée comme cela, ma « défense » paraît accabler un peu plus encore les AOC. Pourtant, je ne nie pas les apports de l’INAO – demandons-nous un peu ce que serait notre vignoble si seules les marques régnaient dans la viticulture française. Mais je suis aussi conscient des dérives du système, même appliqué à la lettre. Un seul exemple: les limites de rendement. Qu’est-ce qui empêche un vigneron de produire la totalité de sa récolte sur une petite partie de son domaine? Et pourquoi toutes les affaires de fraudes récentes aux AOP qui sont arrivées aux oreilles du public ont-elles été dénoncées par d’anciens collaborateurs des firmes incriminées?

Plus important, sans doute, il y a ce que j’appellerai la trahison des idéaux de départ: ainsi, quand une bonne partie des AOC du Languedoc et du Roussillon ont opté pour la syrah et négligent leurs vieux carignans, elles renient leur histoire, les usages constants et loyaux que l’AOC était censée pérenniser.

A propos de cette syrahtisation, les experts ont parlé de cépage améliorateur; est-ce à dire qu’un cru historique du Languedoc comme Saint Christol, qui a porté les couleurs de la région sur les grandes tables d’Europe, du Moyen-Age jusqu’à la révolution industrielle, avec son terret, son aspiran, puis son mourvèdre, n’était pas un vin de qualité?

Un droit acquis?

En résumé, je pense que le « système » souffre dans ses fondements comme dans sa crédibilité.

Je crois qu’il faut le réformer. Le re-former, lui redonner du contenu. Ce n’est pas à l’Etat de le faire, mais aux vignerons eux-mêmes. A eux d’exclure les nuisibles, à eux d’édicter des règles plus strictes. A eux de faire que l’AOC redevienne l’exception qualitative et non la règle.

Difficile mission pour les élus, les responsables et l’INAO, quand bon nombre de leurs ouailles voient la mention comme un droit acquis (je n’ai d’ailleurs jamais vu l’INAO supprimer une AOC, même depuis qu’il s’occupe de qualité; ni même en suspendre une à l’occasion d’un millésime trop indigent).

Mission capitale, pourtant, si l’on veut que demain, le consommateur qui n’y comprend plus grand chose, qui constate des écarts de prix et de qualité invraisemblables au sein d’une même AOC, accorde à nouveau sa confiance à trois lettres tellement décrédibilisées.

Gogo que je suis, j’ai envie d’y croire. Des gens de bien, il y en  a partout, à l’INAO, dans les ODG, dans les ministères; des bonnes intentions, aussi.

Mais aujourd’hui, j’ai besoin de preuves.

Hervé Lalau

12 réflexions sur “80 ans d’INAO

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  2. À mon sens, on a besoin de la rigueur législative dans la délimitation territoriale d’une AOP, mais on aurait aussi besoin de profiter d’un grand vent de liberté dans la conception du vin, laissant à chaque propriétaire le soin de l’élaborer à sa manière.
    Quant au Carignan, que je commence à connaître un peu, il n’était pas le seul cépage « local » encore bien implanté dans les années 70/80. Le grenache, lui aussi était – et est toujours – largement présent. Plus « qualitatif » dans l’ensemble, moins « ravageur » sur le plan de sa notoriété, on a alors choisi de l’inclure dans le schéma « améliorateur » avec la syrah, un peu à l’image de ce qui venait de se faire peu avant dans les Côtes du Rhône méridionales. Il eut été plus intelligent soit dit en passant, ne serait-ce que pour se démarquer du Rhône, que, plutôt que de chercher à le copier, on intègre l’idée d’un vignoble où le Carignan et le Grenache, mais aussi le Cinsault et d’autres cépages autochtones, puissent contribuer à la qualité des vins d’une même appellation d’origine protégée. Mais c’est bien connu : en France on a du pétrole (de l’État), mais pas d’idées !

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  3. Bon anniversaire Hervé
    Je lirai ton papier plus tard mais je suis d’accord avec le fond de ce que dit Michel : rigueur dans l’origine géographique, plus de liberté et créativité ailleurs.

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  4. Je l’ai lu et bravo. C’est plein de subtilité et d’honnêteté. Mais je suis soit plus cynique, soit moins naïf que toi et j’ai bien peur que l’administration et les pesanteurs qui émanent du plus grand nombre et du moins-disant n’embourbent toute réforme un peu visionnaire.

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  5. Je relis et je m’aperçois avec horreur que j’ai oublié de te souhaiter un bon anniversaire. C’était le mien lundi et ça fait donc au moins deux béliers dans la bande. Avec ça on sera plus forts pour enfoncer les portes ouvertes ! 😉

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  6. Luc Charlier

    Avec tous ces béliers, ça doit sentir le bouc, chez les 5 du vin. Et notre ami Hervé qu habite au « quartier du Zodiac ». C’est pour quand il part faire de la « plongée » ou de l’immersion totale.

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  7. Christophe Libaud

    Décidément Monsieur Lalau vous piquez une fois encore mon insatiable curiosi »très », et, de jargon en acronyme je déguste avec plaisir vos écrits.
    Vous en appelez donc aux origines, aux fonds baptismaux, et questionnez la « qualité » pour laquelle les Capus, Le Roy, Gouges, Kuhnkoltz-Lordat, Briand, d’Angerville…, avaient grande révérence, n’évoquaient-ils pas le « noyau d’élite » dans leur « doctrine » fondatrice.
    Mais pour eux, la qualité était indéfectiblement liée au discernement, à l’originalité, à l’authenticité et faisait tout autant honneur aux usages de production qu’à la qualité du sol et des cépages. Ne parlait-on pas à l’époque de « vins fins » ?
    Cette qualité induite ne gommait pas l’hétérogénéité des hommes et des goûts, elle était pensée comme vecteur de promotion et de développement pour des terroirs et des hommes. Tout comme elle garantissait l’éthique si nécessaire au lendemain de la crise du phylloxera et son cortège de manipulations et fraudes.
    Alors, huit décennies ont passées et ces usages de production, cette qualité des sols et des cépages ont été bien bouleversés par des « itinéraires techniques » à la vigne comme au chai et la « typicité » s’en est venue dans un contexte de crise globale et de standardisation de la consommation.
    Les valeurs initiales de la doctrine fondatrice en sont aujourd’hui renversées et le manque de discernement « nuit gravement » au prestige d’antan.
    Quant au consommateur, cet embusqué-des-linéaires-de-la-GD à qui l’on prête beaucoup, mais qui hésite de plus en plus à se reconnaître sous ce vocable, il aimerait trouver le temps, d’en prendre, pour sortir de sa médiocre condition supposée et enfin trouver les preuves de sa qualité propre, hexogène, bref de sa différence qui lui-nous est si chère.
    Sur ce comme le chantait si bien Charles Trénet : allez remportons notre musique et retournons en enfer !

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  8. Ping : Terroir et territoire | Les 5 du Vin

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