Un trop bref séjour récent à Sancerre pour animer une table ronde organisée par le CNAOC et portant sur des sujets de fond (le réchauffement climatique, les maladies de la vigne et la réduction des intrants, avec leurs conséquences sur l’encépagement et d’autres règles des appellations) m’a donné l’occasion de demander aux responsables de cette région de m’organiser une dégustation de quelques vins du Centre Loire. Le préavis que j’ai pu donner étant court, je les remercie d’avoir su bien organiser cette dégustation qui a réuni 68 échantillons de l’ensemble des appellations de la région. Je rajoute que cette inter-profession, bien conduite par Benoit Roumet, a l’intelligence de produire un dossier de presse factuel et riche, entièrement libre du bla-bla polluant qui sévit trop souvent dans ce genre de document.
Sancerre vers cette époque : en tout cas cela ressemblait à ça vendredi dernier (photo Henri Moreau)
Voici les appellations de la région Centre Loire, par ordre alphabétique : Châteaumeillant (90 hectares : vins rouges et rosés de gamay ou pinot noir), Coteaux du Giennois (200 hectares : blancs de sauvignon ; rouges et rosés de pinot noir et gamay), Menetou Salon (550 hectares : blancs de sauvignon; rouges et rosés de pinot noir), Pouilly Fumé (1.320 hectares: blancs de sauvignon), Quincy (280 hectares: blancs de sauvignon), Reuilly (235 hectares: blancs de sauvignon, rouges et rosés de pinot noir, ainsi que «gris» de pinot gris), et enfin la plus grande et la plus connue, Sancerre (près de 3.000 hectares: blancs de sauvignon; rouges et rosés de pinot noir). Je sais bien que techniquement, les 30 hectares de Pouilly-sur-Loire en font partie aussi, mais il semble que le marché et les producteurs ont décidé d’un commun accord de laisser le chasselas aux Suisses ou aux Savoyards et il n’y avait aucun échantillon de cette appellation en voie (probable) de disparition.
La partie orientale du Val de Loire, là où le fleuve amorce son virage vers l’ouest, touche presque à la Bourgogne, ce qu’on voit à peu près sur la plus petite carte
Premier constat: cette région représente sur le plan géographique un point de rencontre entre vallée de la Loire et Bourgogne. Cela se confirme à la fois par son climat, plus nettement continental que les parties en aval sur la Loire, mais aussi par l’encépagement qui emprunte le gamay et pinot noir (et aussi, un tout petit peu, le pinot gris) à la Bourgogne, et le sauvignon blanc à la Loire. Rappelons que ce même sauvignon blanc existe aussi en Bourgogne, pas si loin de là, dans l’appellation Saint Bris, près de Chablis. Le cépage ne reconnaît pas les frontières que quelques imbéciles tentent de lui imposer par pur esprit de protectionnisme !
Autre image, plus estivale, du vignoble sancerrois où pentes et orientations varient pas mal (photo Bookine)
Deuxième constat: ces sept appellations connaissent des fortunes assez diverses, comme le reflètent leur tailles relatives. Sancerre mène clairement la danse régionale, avec plus du double de la surface de sa suivante, Pouilly Fumé. Si, historiquement, la proximité avec le fleuve a pu expliquer certains écarts de fortune, je pense qu’aujourd’hui, c’est surtout la facilité avec laquelle on prononce les mots qui joue un rôle prépondérant, sans parler de la qualité perçue des vins (vrai ou faux: j’ai bien dit «perçue»). Si on regarde les pourcentages des ventes réalisées à l’exportation, appellation par appellation il est clair que la taille et l’antériorité de l’appellation jouent un rôle, comme l’indique ce tableau :
appellation | date création | Superficie/ha | % export |
Sancerre | 1936 | 3000 | 57% |
Pouilly Fumé | 1937 | 1320 | 53% |
Menetou Salon | 1959 | 550 | 13% |
Quincy | 1936 | 300 | 14% |
Reuilly | 1937 | 235 | 15% |
Giennois | 1998 | 200 | 17% |
Châteaumeillant | 2010 | 90 | 2% |
Les deux plus grosses appellations sont, et de loin, celles qui exportent le plus. Menetou-Salon, qui les suit de loin, a un nom plus difficile à prononcer et une date de création plus récente. Je ne m’explique pas bien pourquoi Quincy est resté si petite et peu connue, mais il y a sûrement d’autres facteurs qui entrent en compte.
Maintenant, parlons de cette dégustation, qui donnera lieu à d’autres commentaires plus ou moins généraux. Je remercie les vignerons ayant accepté d’envoyer des échantillons avec si peu de préavis. Même si ce type de dégustation ne permet pas de donner une vision complète, et encore moins d’établir une quelconque hiérarchie dans la qualité, vu le nombre de vins représentant chaque appellation et chaque couleur (j’en donne les chiffres ci-dessous), avec 68 vins dégustés, je m’autoriserai quand même à faire quelques observations et à souligner mes vins préférés.
Les vins étaient jeunes, et parfois trop jeunes. Je m’explique: ils devaient tous être en vente actuellement: la majorité provenait des millésimes 2012 et 2013, mais avec pas mal de 2014 aussi, dont une forte proportion de Sancerre et de Quincy. La plupart de ces blancs de 2014 méritaient au moins 6 mois de plus d’élevage. La pression des marchés explique probablement une telle précipitation à mettre en vente des vins trop jeunes, car encore fermés et manquant d’affinage dans leurs textures comme dans leurs saveurs. Les millésimes 2012 et 2014 (avec un jugement de potentiel pour ce dernier à cause de sa jeunesse) m’ont parus au-dessus du 2013, dont la météo à rendu l’exercice difficile, je crois.
Les vins dégustés
Vins rouges : 1 Châteaumeillant, 1 Coteaux du Giennois, 3 Menetou-Salon, 5 Sancerre
Vins rosés : 2 Reuilly, 1 Menetou-Salon, 2 Sancerre (et un vin de table dont je parlerai)
Vins blancs : 4 Coteaux du Giennois, 4 Reuilly, 14 Quincy, 4 Menetou-Salon, 8 Pouilly-Fumé, 17 Sancerre
Mes vins préférés
Vins rouges
Menetou-Salon, Domaine Ermitage, Première Cuvée 2014
Menetou-Salon, Domaine Pellé, Les Cris 2012
Sancerre, M et E Roblin, Origine 2013
Sancerre, Domaine Henri Bourgeois, La Bourgeoise 2012
Vins rosés
Reuilly, Jean Tatin, Demoiselle Tatin 2014
Menetou-Salon, Domaine Ermitage, 2014
Vins blancs
Quincy, Jean Tatin, Succellus 2013
Quincy, Domaine Portier, Quincyte 2013
Quincy, Domaine de la Commanderie, Siam 2013
Quincy, Domaine Villalain, Grandes Vignes 2014
Menetou-Salon, Domaine Pellé, Le Carroir 2013
Menetou-Salon, Domaine Jean Teiller, Mademoiselle T 2013
Pouilly-Fumé, Château de Tracy, HD 2012
Pouilly-Fumé, Domaine Landrat Guyollot, Gemme de Feu 2012
Pouilly-Fumé, Serge Dagueneau et Fille, Tradition 2014
Sancerre, Domaine Laporte, Le Grand Rochoy 2012
Sancerre, Vincent Grall, 2014
Sancerre, Jean Reverdy et fils, La Reine Blanche 2014
Remarques sur ces résultats
D’abord le caveat habituel sur une dégustation, même à l’aveugle comme ici: ce n’est jamais qu’une photo instantanée, et qui ne montre qu’un fragment du paysage, vu la représentativité relative de cet échantillonnage. Seule une minorité des producteurs avaient proposé des échantillons. Mais on peut aussi constater que des producteurs dont j’ai déjà très bien dégusté des vins sont au rendez-vous. Je pense à Jean Tatin et au Domaine Portier à Reuilly et Quincy ; aux Domaines Pellé et Jean Teillier à Menetou-Salon ; au Château de Tracy à Pouilly et à Henri Bourgeois, au Domaine Laporte et à Vincent Grall à Sancerre.
Deux vins à part
J’ai mentionné un vin (rosé) produit sous la désignation « vin de table ». Il s’agit d’un cépage récemment sauvé de disparition et qui a été autorisé en plantation à titre expérimental, je crois (ou bien au titre de la sauvegarde de la bio-diversité, je ne sais plus!). Ce cépage s’appelle le genouillet et le Domaine Villalain, de Quincy et de Reuilly, a envoyé un échantillon de son millésime 2014. Je ne fus pas surpris d’apprendre qu’un des ses ancêtres est le gouais blanc, cette variété à la multiple descendance mais dont les vins peuvent aisément ressembler à de l’acide de batterie. Ce n’était pas franchement le cas pour ce vin, aux odeurs inhabituelles de paille et de sciure, avec une belle vivacité mais peu de fruit. Une curiosité, du moins pour l’instant.
Le pinot gris peut produire , sous l’appellation Reuilly, des vins qualifiés de rosés, mais dits « gris de gris » et en réalité blancs à peine tachés. J’ai beaucoup aimé celui de Jean Tatin, même si je le considère plutôt comme un blanc. Le nez est très aromatique et la texture suave. Equilibre et longueur sont excellents, avec juste une pointe de tannicité à la fin qui trahit un travail de macération, peut-être.
Les défauts de certains vins
Un vin bouchonné, quelques vins trop soufrés et un bon nombre de blancs mis en bouteille trop jeunes. En mettant ces vins blancs sur le marché si rapidement, on a tendance à les simplifier. Et, du moins dans le cas des Sancerre, il n’y a pas d’excuse du côté de la rentabilité. Après, il y a des questions de style. En ce qui concerne les vins de sauvignon blanc, je n’aime pas les odeurs agressives de buis ou, pire, de pipi de chat. Je crois que les deux proviennent d’une forte présence de molécules de la famille des thiols. On rencontre cela plus facilement lorsque les raisins ne sont pas assez mûrs. Peut-être aussi quand l’élevage n’a pas encore calmé ce type d’odeur primaire (un avis d’expert serait le bienvenue sur ce sujet technique).
J’ai aussi l’impression que Sancerre vit un peu sur sa renommée. Cela semble être les cas si on regarde la proportion de vins que j’ai appréciés par rapport au nombre d’échantillons dégustés (même si ça n’est pas très fiable statistiquement)…
Je n’ai pas les prix de ces vins, mais le rapport qualité/prix d’un Menetou-Salon, par exemple, est sans doute plus favorable, en moyenne, que celui d’un Sancerre.
Ping : Réflexions sur les vins de Centre Loire | Wine Planet
Vive BENOÎT !
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Je suis d’accord Michel – Benoît does an excellent job. Administratively, Pouilly-sur-Loire is in Burgundy as the Loire is frontier between the two French regions – Centre and Bourgogne. The southern part of the Coteaux de Giennois is also in Bourgogne.
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Bonjour, petite correction à propos du rouge de chez Pellé en Menetou Salon : il s’agit de « Les Cris » (cf ici : http://www.henry-pelle.com/menetou-salon-les-cris-rouge_p_33_id_13.html)
Sinon merci pour ce compte rendu instructif pour moi qui apprécie tout particulièrement cette région viticole.
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Les « Cris » ou les « Crès » dans le Sud ne seraient-ils pas le signe de la présence d’une roche calcaire ? Autre chose peut-être ?
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Bonjour
Pour information l’auteur de la photo de Sancerre piochée sur WP est Moreau.henri

il suffit de cliquer sur la photo dans Wikipédia pour voir les données techniques, et donc l’auteur.
à bientôt
Matthieu
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J’ai corrigé, ce matin, quelques noms de cuvées ou de producteurs qui étaient mal transcrits sur les fiches que j’ai reçues après la dégustation…ou que j’ai mal lues.
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