#Carignan Story # 290 : dégustations anciennes

Qui se souvient de l’Union des Crus Signés, une association fondée à la fin des années 90 par la fougueuse (cliché) Claude Vialade, aujourd’hui négociante et propriétaire viticole dans les Corbières ? Ce n’était pas tout à fait, comme on le croyait à l’époque, un syndicat-bis en bisbille avec le syndicat officiel noyauté par une écrasante majorité issue des coopératives alors encore nombreuses et très influentes, mais plus une association regroupant des domaines qui souhaitaient se distinguer de la masse, donner une autre image de leur Corbières. En lisant ce qu’en disait le cher Dupont, du Point, vous aurez un aperçu de la situation.

Moi même, je suivais de très près ce mouvement qui à mes yeux se rapprochait de l’Union des Crus Classés de Bordeaux. Mais passons puisque l’heure n’est plus à la polémique. Toujours est-il que les Crus Signés, qui ont depuis disparu de la circulation, en tout cas sur la Toile, avaient de l’ambition à revendre. Certains de ses membres y défendaient mordicus le brave cépage Carignan sur le thème « il fait partie de l’identité Corbières », refrain aujourd’hui cher à mon cœur. Et pour le prouver, ils avaient organisé dans l’été 1998 une dégustation qui se voulait aveuglante et à l’aveugle autour du Carignan. C’était quelque part du côté du magique village de Lagrasse.

Du côté de Fabrezan. Photo©MichelSmith
À quelques pas de là, Fabrezan. Photo©MichelSmith

N’écoutant que mon béguin naissant pour le cépage, sachant depuis belle lurette que la Corbières était le berceau du mal aimé Carignan, je m’étais empressé de me rendre à cette invitation. S’il n’y avait pas tous les grands et bons domaines des Corbières, quelques uns, en tant que membres, faisaient goûter des vin très majoritairement Carignan. C’était le cas par exemple d’un Château Pech Latt 1990 (70 % Carignan) dont je notais l’aptitude à se mesurer à un lièvre à la royale. Le même domaine présentait un 1976 (80 % Carignan) pour moitié vinifié en macération carbonique et élevé 20 mois en foudres qui se révélait moyen, acide et bien trop sec en finale. Une macération carbonique 1982 du Château Saint-Auriol (95 % Carignan), pourtant élevé 8 mois en cuves, manquait de netteté et de précision, semblant avoir besoin de béquilles tant il paraissait chancelant. Un autre 1982, le Château Pech Latt, avec 80 % de Carignan en partie égrappé et en partie vinifié en carbonique, avait beaucoup plus de tenue et de longueur en bouche. Tout comme ce 1990 Château de Lastours Fûts de chêne (80 % Carignan) : il me plaisait bien, mais pas au point d’être en extase…

La nouvelle cave de Lastours, en 2010. Photo©MichelSmith
La nouvelle cave de Lastours, en 2010. Photo©MichelSmith

Même mon brave Château Cascadais 1997, un pur Carignan destiné à être assemblé, est passé entre les mailles de mon filet me paraîssant quelconque alors qu’il faisait probablement la gueule en refusant de se livrer. Philippe Courrian lui même ne le voyait qu’en vin d’assemblage. Il a un peu changé depuis… comme on peut le constater ici. C’était le cas aussi à l’époque du Château La Baronne, dont les vins ne passaient pas trop à mon palais, mais qui depuis ont nettement progressé avec notamment de très vieilles vignes d’une parcelle vinifiée à part dont j’ai déjà vanté les mérites ici et là. Ma meilleure note devait aller à la cuvée Simone Descamps 1986 du Château de Lastours. Cent pour cent égrappée, elle ne précisait pas son encépagement se réfugiant sous un mystérieux « majorité de Carignan », mais ces dernières années on peut raisonnablement penser que le Carignan y est présent à 50 %. À l’époque, le vin présentait non seulement une belle robe, mais il avait de la garigue au nez, de la profondeur, de la densité et du minéral en bouche. J’avais aussi très bien noté un tout jeune Château Baronis 1997 à majorité Carignan que j’avais trouvé fin, profond, riche gras et long en bouche. Un domaine ignoré depuis (marque de négoce ?) et oublié dans le livre sur les Corbières que j’avais publié deux années avant.

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

Que conclure de cette dégustation sortie du passé ? Mon vin préféré titrait 14° d’alcool tandis que les autres tournaient autour de 12°. Déjà, les protagonistes de l’époque réfléchissaient sur la bonne maturité du Carignan. Question de générations, les jeunes voulaient du très mûr, les anciens du pas trop mûr.

Pour ma part, au regard de mes notes, je devais être plus sévère à cette époque que je ne le suis désormais. Je me souviens aussi que nous nous sommes presque empoignés à l’issue de la dégustation entre les tenants de la macération carbonique, symbole d’un glorieux passé de vins de coopératives surtout, et les partisans d’une vinification raisins égrappés. Aux yeux de ces derniers, jeunes pour la plupart, la rafle du Carignan était à leurs yeux un danger public, jamais vraiment assez mûre, et de ce fait bien trop amère, pour faire du bon vin. Je me situais entre les deux, persuadé que j’étais qu’une bonne macération carbonique avait des vertus non négligeables sur des raisins menés à point.

L’autre débat que je lançais portais sur la capacité qu’avait le vin de Carignan à pouvoir bien se tenir dans le temps. Les plus jeunes doutaient de cette capacité et ne la voyaient pas dépasser 10 ans, tandis que leurs aînés misaient sur des gardes quasi faramineuses. J’en déduisais hâtivement que le Carignan était fait pour une clientèle plus traditionnaliste, pour les amateurs de goûts anciens, pour les amants du vieux vin. Mais en sous-main je poussais mes interlocuteurs à travailler sur des versions plus modernes. Je leur disais en substance : « Osez chercher pour obtenir des vins plus purs, plus frais, plus fruités, plus élégants ».

Philippe Courrian dans ses vieux Carignans. Photo©MichelSmith
Philippe Courrian dans ses vieux Carignans. Photo©MichelSmith

Il y avait en cette fin de millénaire des personnes qui avaient très bien analysé la situation, comme Hervé Leferrer du Domaine du Grand Crès, présent au titre d’observateur dans cette dégustation puisque ce vigneron formé en Bourgogne où il fut régisseur de La Romanée Conti refusait le Carignan dans son encépagement. « Ce cépage a fait la richesse des vignerons dans les zones de grosses productions, en plaine. S’il fallait faire un choix, j’arracherais le maximum pour ne garder que ceux qui sont dans les zones géologiques reconnues comme étant au sommet de la pyramide ». Philippe Courrian (voir plus haut), disait quant à lui : «On peut encore en arracher. En avoir 30 % dans un domaine comme le mien, ça suffit» ! Personnellement, je me drapais déjà dans cette idée fixe qui est la mienne : ce cépage fait partie intégrante des Corbières, laissons lui donc la liberté d’exister dans les vins, quelque soit sa proportion.

Michel Smith

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4 réflexions sur “#Carignan Story # 290 : dégustations anciennes

  1. vincentpousson

    Camarade, deux remarques.
    La première d’ordre réglementaire: le stupide décret d’appellation Corbières interdit un assemblage comportant plus de 50% de carignan. C’était vrai à l’époque, ça l’est toujours, et je vois difficilement les pontes locaux de l’INAO en démordre.
    La seconde, celle qui touche au terroir. Il y a pas mal d’exemples, comme celui de Philippe Courrian, la partie basse de son domaine, des graves principalement, donnent des carignans de faible qualité, meilleurs que ceux que décrivait Hervé Leferrer, mais pas géniaux quand même. Dans ces cas-là, on est content de trouver des « améliorateurs », plus tout-terrains…

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  2. Saines remarques Vincent. J’ajouterais simplement que le terme « cépages améliorateurs » me hérisse le poil. Dans bien des cas où le grenache et le carignan avaient leurs mots à dire, des syrahs bas de gamme et des mouvèdres mal placés n’ont rien amélioré du tout. Le bois de chêne lui aussi, comme ailleurs, n’a pas arrangé les choses. Cela dit, il est vrai qu’il m’arrive d’encenser en dégustation « aveugle » de belles cuvées marquées par l’un ou l’autre de ces cépages « nouveaux » et désormais « intégrés ». Parfois mêmes des corbières « élevés en fûts de chêne » !

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