Vins naturels : aux chiottes les intrants !

Élégant comme titre, n’est-ce pas ? Évidemment, j’aurais pu dire «À bas les intrants !», ou mieux encore «Basta les intrants !», mais comme je suis d’humeur irrévérencieuse et que je suis mon propre rédac-chef, je me lâche.

D’abord qu’entends-je par «intrants» ? Si je consulte mon Larousse en ligne, je constate qu’à l’énoncé de ce mot, il fait tilt et m’adresse un message d’erreur. Idem du côté de son frangin british, le Harrap’s. Voyons donc du côté de chez god Google… Là ça marche un peu mieux car il convoque son assistant Wiki qui me propose une « ébauche », laquelle m’explique que cela concerne différents produits apportés aux terres et aux cultures : engrais, amendements, produits phyto, activateurs ou retardateurs, semences et plants… Bref, des additifs plus que louches.

Photo : DR

Ce machin, pardon ce mot qui est en train sournoisement de s’immiscer dans notre belle langue serait-il devenu un barbarisme de plus, un truc d’un nouveau genre, un mot à la mode pour remplacer le mot additif? Il est vrai qu’il est utilisé en long, en large et en travers, à tout bout de champ, si vous préférez, par mes chers petits camarades naturistes (ou naturophiles) du vin, à commencer par mon ami Antonin Iommi-Amunategui, auteur d’un nouveau petit (23 pages) livre rouge au titre manifestement polémique, Manifeste pour le Vin Naturel, publié aux Éditions de l’Épure. Ce même personnage, clone basque du Dujardin cinématographique à l’allure de grand échalas échevelé, organisateur d’un salon de vins très «naturels», dirige un blog assez déjanté: No Wine Is Innocent, hébergé par le web media L’Obs/Rue 89. Un site qui, soit dit en passant, ne rechigne pas sur la pub intrante comme celle de Citroën ou de Pierre & Vacances. Mais bon, faut bien vivre…

Photo©MichelSmith
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Invité à venir prêcher la bonne parole du vin dit «naturel» dans les murs hideux de la bibliothèque municipale du vieux Perpignan, le chevalier Antonin nous a gratifié d’une causerie d’une heure sur le sujet suivie d’une dégustation au Comptoir des Crus, la cave dirigée par Jean-Pierre Rudelle. Sans me priver d’intervenir de temps à autres, vous vous en doutez, j’ai bien écouté le discours pour enfin comprendre ce que je savais déjà, à savoir que le vin naturel est plus un concept philosophico-écolo-mélanchono qui, certes, prends racines dans les grandes villes, mais semble s’étendre désormais jusque dans les profondeurs de nos campagnes, là où il y a des pigeons, mais aussi des buveurs assermentés et des vignerons-résistants armés de certitudes bien ancrées du genre (j’arrange à ma manière) : laissons la vigne pousser et le raisin venir sans rien rajouter de ce qui pourrait déranger son cycle naturel et encore moins dans la transformation de son jus en vin. Gare aux méchants qui parlent encore de «vins bobo pour amateurs bobo», j’apprends que le mouvement s’universalise à la vitesse grand « V » et qu’il serait stupide de l’ignorer et de le villipander.

Loin de moi de telles idées, mais… Bien entendu, les adeptes de ce mouvement qui fait tâche – enfin, qui s’agrandit de jour en jour – vont me haïr et me cracher dessus en me faisant sentir que je n’ai rien compris au film. Pourtant, de mon côté, en vieux routard-roublard que je suis vite devenu l’âge aidant, je dois préciser que je n’ai rien contre les tenants du vin sans intrants. Il m’arrive d’en boire très souvent.

Comme le laisse entendre Antonin, le vin évolue, les goûts aussi et tout ce que demandent ces braves filles et garçons, c’est qu’on les laisse boire en paix et découvrir à leur guise tous ces goûts nouveaux qui peuvent parfois déplaire aux grincheux, mais qui révèlent aux autres des aspects insoupçonnés de la plus hygiénique des boissons. «J’insiste sur le mot naturel, martèle Antonin, pour dire que ces (ses) vignerons, eux, ne trichent pas. En allant vers eux, on a une garantie de transparence. Les vins sont sans artifices. C’est souvent la manifestation bancale et polémique du vin idéal. Le vin naturel fait parler du vin et c’est l’essentiel ».

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Et mon Antonin de faire comprendre qu’il est ravi de la tournure médiatique et polémique que déclenche ce mouvement, car il expose «une agriculture artisanale, autonome et saine qui offre un modèle économique alternatif, viable, durable», insistant aussi au passage sur la «conception plus libre et l’indépendance volontaire de ses acteurs, du vigneron au consommateur en passant par le caviste ou le restaurateur».

Cet aspect des choses est flagrant pour les habitués des réseaux sociaux. Comme moi, ils constatent la nature presque insurrectionnelle, parfois belliqueuse, bordélique et sauvage qu’ont certains partisans de cette nouvelle conception du vin, de cette contre-culture, devrais-je dire pour rejoindre Antonin, lorsqu’ils se mettent en avant. L’orateur balaie au passage avec conviction tous les clichés que déclenchent les vins naturels auprès des critiques, qu’ils soient journalistes, professionnels ou amateurs.

Ainsi, il tempère sur le soufre en s’appuyant sur les recommandations de l’Association des Vins Naturels : « Il ne faut pas se focaliser que sur les sulfites car ceux-ci sont tolérés même s’ils ne sont pas souhaités. En revanche, nous ne cédons rien sur l’emploi des levures naturelles qui, elles, sont les seules garantes d’une transformation naturelle de jus de raisin en vin. En cela nous sommes contres les grigris de l’oenologie tout en sachant que le vin réclame soins et attentions ».

Photo©MichelSmith
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Enfin, Antonin admet volontiers et va jusqu’à déplorer que l’utilisation du qualificatif «naturel» sur une étiquette ne soit pas légale: « Je serais pour l’officialiser afin de foutre un peu plus la merde », dit-il pour avouer dans la foulée que sa réflexion «est peut-être utopique». Oui, tout cela ne serait-il pas un peu utopique ? Comme pouvaient l’être l’ensemble des réflexions des soixante-huitards à une époque où ils prônaient l’amour et pas la guerre ?

Oscar Wilde, ce cher Oscar, disait bien qu’une « carte du monde sur laquelle ne figure pas le pays d’Utopie ne mérite pas le moindre coup d’œil ». Et croyez-moi, c’est bien pour cela que je suis allé voir celui qui mène l’insurrection contre les intrants qui seraient trop nombreux à ses yeux à être encore utilisés dans la conception d’un vin, fut-il bio ou biodynamique. En plus du doute que j’affiche souvent lorsque je me trouve en présence d’un vin dit «naturel», je reste donc sagement figé, comme Antonin, dans cette utopie un rien naïve, bien décidé à accompagner de ma curiosité tout ce qui se fait dans ce registre du « nature ».

Tout en demeurant sceptique. Car je suis à l’écoute, convaincu qu’aucun de ces nombreux vins « bizarres » goûtés ces vingt dernières années se revendiquant peu ou prou de ce mouvement n’a été en mesure de m’impressionner au point de m’émouvoir jusqu’aux larmes. Se pourrait-il cependant que je sois à ce point insensible à la beauté des choses ? Je ne le crois pas.

Michel Smith

19 réflexions sur “Vins naturels : aux chiottes les intrants !

    1. Comme me le disait Florian Beck-Hartweg, cet argument est un peu bancal, tant le pourcentage de vins « sympathiques à boire » est in fine plus favorable aux vins dits nature, car la production conventionnelle comporte un énorme pourcentage de vins indignes et à vil prix.

      Après je ne défends ni n’accuse ni les producteurs « nature », ni « bio », ni « conventionnel » si ceux-ci sont raisonnables dans l’utilisation des additifs.

      Très beau texte de Michel par ailleurs (comme d’habitude pourrait-on dire)

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    1. La fainéantise s’accomode si bien d’une viticulture très chimique. Je déteste les déviations aromatiques de certains vins de producteurs « nature » que je connais, mais dans les (vrais) vignerons nature, j’en connais beaucoup plus des acharnés du travail en vigne que le contraire. Mais il est vrai que j’ai 2 exemples en tête de vignerons qui sont chantés en louange par les « naturistes » et qui en vigne, en plus d’être fainéants, ne sont même pas en phase totale avec « pas d’intrants ».

      Bref, tout ça pour dire que c’est dommage de cliver sur ce point.

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  1. Une fois de plus, on « scinde » le vin en catégories. Pourquoi pas? Toute analyse permet de se poser des questions, et parfois d’y répondre. Mais, rapidement, cela se dichotomise avec OPPOSITION entre les deux bras, et l’agressivité qui l’accompagne.
    Moi aussi, j’essaie d’utiliser aussi peu de choses que possible « autour » du vin. Mais je n’élève pas cette attitude en doctrine ni en religion, encore moins en argument de propagande. Et j’aime « contrôler » les choses, notamment la température. Il y a des voix qui s’élèvent contre les groupes de froid. J’y vois une raison logique: cela consomme de l’énergie et pourrait polluer l’atmosphère en cas de fuite du réfrigérant. Mais pour le reste?
    En poussant le raisonnement plus loin; pourquoi encore faire des analyses de laboratoire?
    Il est surprenant de voir que ceux qui vocifèrent le plus sont souvent étrangers au monde du vin lui-même et, n’ayons pas peur des mots, n’y connaissent RIEN. Cela ne leur enlève pas le droit du CONSOMMATEUR d’avoir son avis, qui vaut autant (plus?) que celui des acteurs intervenants dans la production et la vente (de la main d’oeuvre agricole jusqu’au directeur de revue spécialisée).
    Pour répondre à ECW, je ne pense pas que la fainéantise joue un rôle dans le non-interventionnisme (ou alors de manière tellement anecdotique), c’est plus une manière d’envisager le monde, d’être, de se conduire. Ce n’est pas ma conception mais je respecte ce désir; par contre, je ne voudrais pas qu’on me l’impose.

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  2. Une digression comme David a déjà eu l’occasion de signaler qu’elles caractérisent le cheminement de mon esprit vieillissant.
    La fainéantise devient pour certains une vertu. Il faudrait encore la définir. Est-ce la « loi du moindre effort » mais en s’imposant quand même une obligation de résultat ? Ou est-ce réellement : faire le « programme minimum », quoiqu’il advienne ? Je ne suis pas adepte de la première proposition, mais elle s’adapte à des gens plus habiles, plus intelligents, plus rapides que moi, qui réussissent tout avec aisance dès le premier essai. Il y en a et je les admire, sans aucune jalousie. Mon meilleur ami est un de ces «bien doués», mais il n’en fait JAMAIS mention lui-même.
    La deuxième proposition me dérange. Pour tout dire, je la trouve moralement indéfendable. Mais elle se répand.
    Enfin, sans expliquer pourquoi, l’effort me paraît admirable, dans tous les domaines. Je me considère personnellement comme un petit besogneux et en tire une certaine vanité.
    Sur le blog d’Hervé Lalau, un intervenant écrivait : «Alors même si je suis au bureau 7j sur 7, je le proclame : vive les faignants, les réveurs, les artistes, ces gens qui refusent le monde tel qu’il est et inventent des échappées libres».
    Je le cite (copié/collé) sans modifier la phrase ni l’amputer de son contexte, comme le font certains. Et je m’inscris évidemment en FAUX.
    Je ne corrige pas non plus la ponctuation, les fautes d’accent et « tolère » le mot faignant, variante admise de feignant. Il faut… moins d’effort phonétique pour prononcer la diphtongue que les deux syllabes « …né-ant… ».

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  3. vincentpousson

    C’est effectivement, Michel, quelque chose que j’ai dit maintes fois, c’est souvent plus une histoire de foi (politique) que de goût, de chapelles avec ce qu’il faut de credos (manifeste dans la religion communiste) et même d’excommunications.
    Pour en revenir à ce que tu as écrit, il y a une chose, notamment, qui me dérange profondément dans le propos d’Antonin, c’est cette généralisation, « le vin nature », « les vignerons nature », comme si tout cela était un bloc homogène, cohérent, aussi compact et monolithique q’une réunion du Comité Central du parti à la « grande époque ». La réalité est bien sûr toute autre, autrement plus naturelle, humaine. Il existe de super vins ‘nature’, et d’infâmes, des vignerons ‘nature’ sincères’ et de petits malins qui surfent sur la vague avec plus ou moins d’honnêteté. Cette généralisation, finalement, elle me ramène à celle de ce sommelier du Taillevent la semaine dernière qui, chez Laurent Gotti, jetait tous les vins ‘nature’ à l’évier (lien ci-dessous), je trouve ça benêt, et un peu malsain. Comme à chaque fois qu’on raisonne en noir et blanc, de façon simpliste.
    http://www.allaboutburgundy.fr/2015/09/28/pierre-bérot-on-ne-peut-pas-être-épanoui-chez-taillevent-sans-être-vraiment-fou-de-bourgogne/

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  4. C’est drôle que Luc aborde le problème du contrôle de la température, c’est un thème que je voudrais qu’on traite dans un prochain article d’In Vino Veritas.
    Je vois de plus en plus de vignerons qui revendiquent l’absence de contrôle des températures et ça me choque – surtout pour des vignerons du Sud. Je me demande aussi comment ils peuvent gérer la malo.
    Ce n’est pas une question d’intrant, c’est une question de technologie. La volonté de contrôler le processus d’élaboration du vin est-elle foncièrement mauvaise? Quid des choix d’élevage, alors? Choisir une amphore plutôt qu’une autre, ou plutôt qu’un foudre, un fût ou une cuve inox, n’est -ce pas déjà une intervention, donc un biais? Et quid du choix des cépages, isolés ou en complantation? Une question que Pline, déjà, posait au temps des Romains…
    Et si l’idée est de revenir aux « bonnes pratiques » d’antan, il faudrait aussi se poser la question de savoir si les vins d’antan nous plairaient encore. Mais ce ne sont là que quelques idées en vrac, qui méritent plus de réflexion, pour un article beaucoup plus fouillé.

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    1. A tous les stades du chemin qui conduit de la vigne au vin existent des interventions humaine qui sont destinées à « guider » la nature, ce que vient de souligner Hervé. On peut alors se poser légitimement la question de savoir ce que renferme la notion de vin « nature »…Le choix du porte-greffe, du greffon, de la conduite de la vigne, de la taille, de la date des vendanges, de la durée de la vinification, du nombre de remontages, de l’élevage, etc., transforment obligatoirement le vigneron en pilote qui agit sur des commandes. Et il ne peut se défendre de faire ainsi.
      La dégustation de ce genre de vins peut réserver d’heureuses surprises, mais un aussi grand nombre de mauvaises. Les pourcentages des unes et des autres n’ont rien à envier à ceux applicables à la catégorie des vins que l’on pourrait nommer « conventionnels ».

      Le froid, évoqué par Hervé : si mon père, il y 60 ans, avait disposé du froid afin de maitriser certaines fermentations qui « s’emballaient », il aurait béni le ciel. Que de fois il a juré -le Seigneur a entendu à ce sujet un nombre considérable de jurons qui lui étaient destinés- et pesté contre ces phénomènes qui obligeaient à soutirer quelques hectolitres afin que la cuve de déborde pas… A cette époque de faible disponibilité de moyens technologiques, les problèmes étaient très nombreux. Le froid a apporté des améliorations considérables dans nos caves ; pourquoi lui refuser le statut de « méthode », plus adapté que celui de « technique », mot que certains rejettent ? Combien de nos vins prestigieux devraient-ils disparaitre du paysage si on enlevait aujourd’hui l’usage du froid dans les caves ?

      L’effort, Luc, est effectivement admirable. Et récolter les fruits des efforts que l’on consent dans le cadre de la réalisation d’un projet, du plus banal au plus élaboré, procure la plus intense des satisfactions. A propos de la fainéantise : j’ai eu à diriger un doctorant que la plupart de mes confrères traitaient de fainéant ; en réalité, il faisait preuve d’une extraordinaire capacité à gérer son temps. Un faux fainéant en quelque sorte…Dans le vignoble du Rhône méridional, je connais un vrai fainéant, mais cependant très habile ; ses vignes (je tairais dans quelle AOP) sont constituées de chênes verts, de genêts et de quelques souches dispersées au milieu de cette forêt naine ; lorsqu’il effectue une prétaille avec son tracteur, il ratiboise tout au même niveau. C’est à voir ! Le hic, c’est que cette vigne, réputée conduite en biodynamie, ce dont le vin qui en est issu se réclame, produit tout de même 35 hectolitres à l’hectare. Cherchez l’erreur…

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  5. O. Pascal

    Le vin naturel . Sans soufre , ok , sans soufre … Sans levures industrielle , bon , ok . Sans intrants , d’accord . Mais une vigne taillée par l’homme est elle naturelle ? Autant opter pour la méthode Fukuoka et la permaculture . Bien , bien … mais le cultivar sélectionné par l’homme depuis des siècles est il bien naturel ? Peut être un vitis quelconque ( voir Galet et ses vignes américaines ) serait mieux car non pollué par la main de l’homme . Mieux : un vitis non vinifié , sans intrants , sans intervention humaine serait il plus naturel ? Bien sur fermenté par hasard dans un trou dans le sol . Le néant seul serait il naturel ? Quid de l’influence des planétes ? et des exoplanétes ? et des trous noirs .
    Bon j’arrête , je suis au fond du trou , noir .

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  6. JJSalvat

    A propos du « manifeste pour le vin naturel », voici un extrait et une citation provenant d’Olivier Cousin:

    « moi j’ai 350 hectos de vinaigre dans la cave. On ne gagne pas à tous les coups…Les intrants existent pour rendre ça facile et lucratif; nous on marche sur un fil. »

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