#Carignan Story # 299 : Nature, c’est aussi bon !

Alors que je me trouvais en milieu de semaine aux pieds des Albères, grâce à mon ami André Dominé qui m’avait attiré dans un guet-apens du côté de Saint-André, je ne savais vraiment pas que j’allais consacrer une de mes dernières chroniques sur le Carignan (oui, je sais, rectifiez ce « C » majuscule que l’on ne saurait voir…) en m’attardant sur un sujet quelque peu explosif, du moins chez les gens du vin, ceux qui s’érigent en spécialistes. D’ailleurs, s’il y en a qui pensent à ce stade que je vais ferrailler, ils peuvent changer de chaîne. Je n’ai nulle envie de polémiquer, juste l’impérieuse nécessité de remettre les pendules à l’heure. Avouons-le, j’ai toujours été intrigué par les tenants du vin nature sans comprendre réellement ce qui les motivait. Leur mode de vie n’était-il pas plus philosophique que pragmatique ? J’ai tenté d’y répondre et même il n’y a pas si longtemps, sans que cela déclenche les foudres de Zeus.

Photo©MichelSmith
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Enfin, nous y voilà ! Je suis sur le point de tout comprendre. Du moins je pense que je suis sur la bonne voie, sachant que j’y voyais déjà quelque chose depuis un bout de temps – je ne suis pas un rapide, vous savez, mais peut-être aussi avais-je peur de la réaction de mes camarades en plus de celle de personnes qui se disent «vignerons en vins natures» mais dont les vins sont tout juste bons à abreuver les caniveaux lesquels, comme chacun sait, meurent de soif ! Même dans les bistrots à vins dits spécialisés en vins nus de tous poils, le discours des naturistes convaincus est en train de changer: de jeunes vignerons sérieux et talentueux comprennent enfin le vrai sens de la tendance qui va vers des vins dits naturels. Je me suis donc exprimé sur ces vins-là il y a quelques jours après ma brève rencontre avec le sieur Antonin (voir le lien plus haut), mais une autre entrevue a fait de moi un journaliste un peu moins con sur le sujet. Sujet qui, n’en déplaise aux sceptiques, attire de plus en plus de jeunes dans les filets du vin. Alors je dis «Halte au feu !» et cessons de diaboliser ceux de nos vignerons qui cherchent d’autres voies, ceux qui ne veulent pas suivre les routes rassurantes de l’œnologie moderne.

Photo©MichelSmith
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Je sais, je m’attends à ce que certains m’érigent en traître officiel de la cause du vin. J’en connais qui se foutront de moi et de ma naïveté. Ou qui me reprocheront de tourner ma veste un peu vite. D’autres vont soutenir que je suis foutu, définitivement apte à l’enfermement pour un long séjour à l’asile des vieillards de mon choix. Mais je reste serein car réaliste, ayant conscience du peu de notoriété dont je dispose et, de ce fait, du peu de lecteurs aptes à se pencher, un dimanche, sur cet article et surtout en allant jusqu’au bout.

C’est pour cela que le sujet des vins dits natures (ou dits naturels) est en réalité un faux sujet, un vrai piège à cons dans ce sens où il expose des gars et des filles qui, sous l’étendard « nature » font tout et n’importe quoi. En gros, comme je le subodorais déjà, il y a parmi eux des bons et des mauvais, les bons vins et les autres comme disait un camarade journaliste bien avant moi.

Photo©MichelSmith
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Avant d’en venir à celui qui, mieux encore qu’Antonin, m’a présenté sa conception du vin nature tout en me servant de son Carignan, voilà ce que j’ai compris. Un vigneron nature n’est pas (ou peut être) un rigolo, un fainéant ou un illuminé. Ce peut être aussi aussi un gars ou une fille qui a fait des études viticoles, qui a voyagé et rencontré d’autres vignerons, même dits conventionnels, qui ne rechigne pas au travail de la vigne et accepte de tout faire, à commencer par la taille par temps de Tramontane réfrigérée. Ce peut être un type qui bichonne sa vigne et qui raisonne selon un cahier des charges en culture biologique certifiée, se recommandant ou pas des préceptes de la biodynamie, un vigneron qui laboure sa terre et nourrit bien sa plante, lui apportant tous les oligoéléments et les préparations destinés à l’aider dans son cycle végétatif, à la protéger, à la fortifier. Bref, un artisan honnête qui ose et qui n’a pas peur de sauver son vin en lui apportant un minimum de soufre si le besoin s’en fait sentir. Un paysan au vrai sens du terme, un type qui ne triche pas en ajoutant dans son moût tous les produits industriels préconisés par la plupart des œnologues. Un pro qui prend des risques, mais de manière calculée, pour ne pas mettre son vignoble et sa famille en péril.

En fait, si j’osais, je dirais que le vigneron qui travaille le plus naturellement possible doit pouvoir se passer de l’œnologue, un peu comme un gars qui gère sa vie au grand air, se nourrit sainement et fait un exercice physique quotidien n’aura pas besoin de voir son médecin traitant aussi souvent que d’autres. Il est vrai que le débat a été faussé dès le départ : dans l’esprit des journalistes du vin, moi le premier jusque ces dernières années, un vin nature devait être exempt de sulfites, point final. Eh bien non ! N’en déplaise aux pinailleurs de service, le soufre, en quantité raisonnée, est utilisé plus souvent qu’on ne le croit. Sauf, dans certains cas où les conditions sont réunies pour vinifier sur le fil, pour explorer le vin de manière différente afin de mettre à jour d’autres facettes, d’autres traits de son caractère en gardant à l’esprit que le vin est toujours dépendant de l’homme et qu’avec de beaux raisins beaucoup de choses sont possibles.

Photo©MichelSmith
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Et c’est ce que fait Stéphane Morin que je viens de rencontrer. Guère besoin d’aller plus loin dans l’explication car le credo de mon personnage de la semaine, à moins de l’avoir mal interprété, ressemble à l’essentiel de ce qui vient d’être écrit. Je dois toutefois préciser à ce stade que je n’avais pas été complètement emballé par une de ses cuvées Malophet il y a deux ans. Force est de croire que sa vision du Carignan s’est arrangée depuis avec cette dernière cuvée Les Petites Mains.

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Encore jeune, après un certain succès comme professionnel de la photographie, Stéphane Morin, musicien à ses heures, ne se voyait plus passer sa vie derrière un écran : il lui fallait le grand air et un travail d’artisan. Et c’est ainsi, en 2005, qu’après de nombreux stages formateurs chez les uns et les autres, y compris dans des domaines conventionnels, qu’il s’est décidé à monter son domaine de 12 ha dans une région qu’il connaît comme sa poche, à proximité de vignerons qu’il estime, comme Jean-François Nicq. Résumer ses vins n’est guère compliqué : tous en Vin de France, ils sont bons et peu alcoolisés ; ils s’appréhendent facilement et sont digestes de par leur acidité naturelle ; ils sont amicaux et vite accessibles. Stéphane n’est pas anti soufre, mais contre l’abus de soufre. Il est surtout adepte des levures indigènes et du travail du vin par gravité. Il ne filtre pas ses vins et il apporte des soins particuliers à sa terre.

Photo©MichelSmith
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Syrah et Grenache, surtout, le Canigou pour veilleur, un sol de granite en décomposition pour la plus grosse part du domaine, il n’a que peu de Carignan à sa disposition : à peine 70 ares. La plupart de ses cuvées dépassent rarement les 12° car il préfère vendanger ses vins tôt, misant plus sur un savant dosage de l’acidité pour éviter les lourdeurs souvent communes à cette région. Adepte de la vinification en semi-carbonique, son Carignan 2014 (environ 15 €), Les Petites Mains, a été vinifié en cuve bois avec une macération ne dépassant pas deux semaines. Fin au nez, touches de laurier, léger mais précis et dense, à l’image de ses autres vins, c’est un rouge qui commence à bien se goûter sur la franchise et la fraîcheur. Je le vois sur un cul de veau à l’angevine ou une côtes de porc fermière accompagnée de légumes craquants, à l’image de ce plat simplissime goûté il y a peu aux Indigènes, un bistrot très nature, à Perpignan, où le plat du jour ne dépasse jamais les 10 euros !

Michel Smith

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7 réflexions sur “#Carignan Story # 299 : Nature, c’est aussi bon !

  1. Marc LEDAN

    Cher Michel, je vous écris pour vous rassurer, il y a au moins un lecteur du dimanche qui déguste votre plume « généreuse » jusqu’à la dernière goûte.
    Trêve de plaisanteries, je suis totalement d’accord avec votre approche à propos des vins dit « natures ». Limiter notre vision de ceux ci sur le seul critère de l’emploi ou non de SO2 (même à très faible dose) est totalement absurde. Ceux qui clament haut et fort les louanges de ces vins que parce qu’ils sont exempts de sulfites (ajoutés) n’ont rien compris à l’ensemble de la démarche du vigneron et n’ont rien compris non plus à la (parfois) nécessaire utilité de l’anhydride sulfureux en dose « homéopathique » pour amener à bon port tout le travail réalisé en amont. Comme vous l’exprimez, il y a des moments de grâce où toutes les conditions sont réunies pour vinifier sur le fil et se passer totalement de SO2. Ceci ne peut être vrai pour toutes les cuvées et pour tous les millésimes. Le Grand Vin Nature est toujours un exploit et la roulette russe n’y a pas sa place.
    A votre bonne santé!

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  2. Un des précurseurs est certainement Thierry Allemand à Cornas, auteur de superbes vins. Il faut l’entendre expliquer pourquoi certains « récipients » (vous avez le choix du matériau, du volume et du contenu) se prêtent à un élevage sans sulfite et pourquoi parfois il faut protéger un peu. Ne nous méprenons pas, j’utilise à dessein le mot « récipient » mais c’est une antonomase. Or, Thierry a TOUT connu lors de ses années chez Robert Michel, un vigneron très pragmatique, qui croyait à l’exemple et à l’observation et n’était pas outillé plus que cela. Il y avait même les « barriques du notaire », des pièces qu’un tabellion local faisait élever TRES longtemps, spécialement pour lui, et qui finissaient … avancées. Plutôt que pratiquer la guéguerre des « sans soufre » et des autres, ce qui ne sert les intérêts que de quelques plumitifs en mal de reconnaissance, n’ayant d’autre moyen pour exister (philosophiquement) et pour subsister (économiquement), écoutons les collègues ayant une expérience du terrain (« hands on » disent les Anglo-saxons). Le plus bel exemple près de chez moi est offert par les vins de la famille Barral (ma compagne est saint-ponaise, pas loin de là): souvent des délices, qu’il faut payer par une proportion variable de bouteilles parties en quenouille jusqu’à l’évier. On livre le caviar en camion frigorifique et on le conserve à 4°C. Certains vins exigent la même chose. A vous de juger.

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  3. Cher Michel,
    Merci pour cette chronique, lue tranquillement le lundi!
    Mais que signifie « une de mes dernières chroniques sur le Carignan »?
    Vous n’avez pas l’intention de vous arrêter là j’espère?
    Très amicalement,
    Florence

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    1. Rhôôô!
      Pour une fois que je suis vraiment fan d’une chronique…
      Mais j’imagine que, comme Daniel Cohn-Bendit, vous avez d’autres intérêts dans la vie et envie de profiter de votre temps libre.
      Bon, j’attends avec impatience vos « rechutes », vous en ferez bien de temps à autre 🙂

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