Tout amateur de vin qui se respecte sait que certains vins de Bourgogne sont des merveilles de finesse et de subtilité. De tels vins sont capables de m’émouvoir aux larmes. Ainsi que de trop nombreux amateurs à travers le monde. Je dis trop, non pas pour dénigrer les bons vins de Bourgogne, ni leurs amateurs, mais à cause de leur trop grande rareté, de la pénurie frustrante que cela engendre, et donc des prix qui les rendent hors de portée pour le commun des mortels. Chasser les bons bourgognes est trop souvent un sport réservé à une élite fortunée, certes oenophile, mais parfois aussi un peu snob. Le « name-dropping » est un corollaire malheureux de cette condition, comme dans d’autres régions d’ailleurs.
Voyons les bases de cette affaire. Deux cépages mythiques, pinot noir et chardonnay, puis un discours axé sur la spécificité de chacun des climats, ces parcelles nommées qui ornent souvent les étiquettes en plus des noms de villages en sont deux des piliers; ajoutez-y un climat semi-continental parfois à la limite et qui ne fait que rarement des cadeaux. La combinaison entre une surface globale réduite (27.000 hectares environ, dont seulement 12% classé en premiers ou grands crus), une multiplicité de petites appellations généralement divisées entre de nombreux propriétaires et ce climat qui donne souvent le hoquet aux rendements, tout cela engendre une pénurie presque structurelle.
Il faut dire aussi, sur le plan humain, qu’il y a en Bourgogne un nombre significatif de vignerons/vinificateurs qui travaillent avec un sens admirable d’abnégation et d’honnêteté. Et que tout n’est pas toujours rose pour eux, car le coût du terrain viticole, qui a pris un ascenseur rapide ces dernières années, rend très difficile une rentabilité à court terme pour des jeunes qui reprennent une affaire, comme pour quelqu’un de l’extérieur qui voudrait s’y installer et qui rencontre d’autres obstacles.
Cela dit, et malgré une situation économique globalement bien plus favorable pour le producteur bourguignon que pour ses collègues d’ailleurs, l’amateur qui ne sait pas choisir son vin de Bourgogne est trop souvent déçu par des vins maigres ou durs, sans un fruit raisonnablement mûr, aux tanins plus rustiques que puissants, avec des acidités décapantes, tout cela parfois plus ou moins masqué par un boisé si mal dosé que le vin en est écrasé. Une histoire pluriséculaire et un discours lénifiant sur la «magie du terroir» ne suffisent pas à rattraper un handicap prix qui place les mauvais bourgognes (et il y en a trop) sur ma liste des plus mauvais rapports qualité/prix au monde. Mais quand c’est bon, on est presque tenté d’oublier tout cela, bien qu’un tel mépris du consommateur (ou est-ce de l’ignorance?) soit entièrement condamnable.
Le « mystère » du terroir serait-il essentiellement climatologique ? Une vue du vignoble du Clos des Langres à l’automne (photo David Cobbold)
Pour l’amateur de pinot noir en Bourgogne, la zone mythique est indiscutablement la Côte de Nuits, qui s’étend de Fixin au nord à Corgoloin au sud. La majeure partie de cette zone est subdivisée en une série de villages dont les noms sonnent comme un appel à l’imprudence à toute personne qui s’intéresse à la chose vinique. Gevrey-Chambertin, Morey St. Denis, Chambolle Musigny, Vosne Romanée, Nuits St. Georges sont des noms qui font monter les prix et les ambitions. Mais quelques villages inclus dans cette zone, dont les surfaces se situent de part et d’autre de la D974 (ex N74), n’ont pas choisi au moment de la création des AOC d’avoir leur nom sur une étiquette. Ils sont donc regroupés sous la bannière commune de Côte de Nuits Villages. Il s’agit de Fixin et Brochon, au nord de la Côte de Nuits juste en dessous de Marsannay, et de Prémeaux-Prissey, Comblanchien et Corgoloin au sud, après Nuits St. Georges. Le cas de Fixin est un peu à part car ce village bénéficie aussi d’une appellation spécifique avec la présence de quelques premiers crus sur son aire. Tout cela ne pèse pas très lourd en termes de taille, car la surface de cette appellation, géographiquement divisée, est de 170 hectares seulement. Le vin rouge en constitue la production largement majoritaire, à hauteur de 95%.
L’absence de nom de village célèbre, et encore plus de Grand Cru, constitue a priori un avantage pour le consommateur à la recherche de bourgognes rouges plus abordables que la moyenne. Une récente dégustation d’une soixantaine de vins de cette appellation m’a donné l’occasion de tester cette hypothèse, puis quelques visites à des vignerons dont j’ai apprécié particulièrement les vins m’a fourni un aperçu de leur approches en me permettant de creuser un peu plus dans leurs gammes qui, comme presque toujours en Bourgogne, s’étendent bien au delà d’une seule appellation.
La dégustation avait lieu, à l’aveugle, le 12 novembre au Clos de Langres, qui appartient du Domaine d’Ardhuy
J’ai dégusté en compagnie de mon collègue Sébastien Durand-Viel. Nous avons commencé par quelques blancs, des millésimes 2014 (7 vins), 2013 (11 vins) et 2012 (1 vin). Puis une longue série de 47 rouges, la majorité venant des millésimes 2014 et 2013.
Mes vins blancs préférés en Côtes de Nuits Villages
Desertaux-Ferrand 2014
Vif et intense, aux arômes herbacés agréables, puis beurré et épicé. Belle finesse de texture, vin long et frais mais l’ensemble est tendre et déjà fondu.
Ambroise 2014
Semble prometteur avec une belle matière mais difficile à juger à ce stade car trouble et avec une forte présence de CO2 (échantillon tiré de cuve)
Fournerol 2012
Nez intense et bien équilibré. Bon fruit. Vin harmonieux ayant une belle allonge.
Mes vins rouges préférés en Côtes de Nuits Villages
Dupaquier 2014
Un très joli fruité aux contours précis autour de la cerise amère. Un vin séduisant qui, dans son profil, m’a fait penser à un bon cru du Beaujolais par sa combinaison particulière entre fruit et structure.
Chauvenot-Chopin 2014
Vin plus sombre en couleur et plus charnu dans sa matière que la plupart. La grande maturité du fruit y est pour quelque chose. Très bon, car équilibré.
Ambroise 2014
Un très beau nez qui donne tout l’éclat que j’aime au pinot noir. Ce vin est aussi long que charnu. Un des meilleurs de toute la série. (16 euros).
Philippe Livera 2013
Robe relativement intense. Bon fruit et matière en harmonie. Je me disais en le dégustant qu’il serait une bonne affaire autour de 10 euros, mais nous sommes en Bourgogne et cela vaudrait probalement un bon 5 euros de plus !
Naudin-Ferrand 2013
Une vraie gourmandise de pinot noir au nez, d’une très belle pureté. Au palais, le niveau d’acidité du vin m’a un peu dérangé, mais c’est fin et d’une grande élégance.
Dubois 2013
Le nez est assez intense. Au palais, bonne structure, un fruité mûr et une impression d’honnêteté et de clarté.
Petitot 2013
Robe de moyenne intensité, nez de fraises et cerises. Vin frais et délicat, avec une pointe d’amertume pas déplaisante en finale.
Desertaux Ferrand 2013
Le nez est important, en partie par la place prise par l’élevage, encore très présent. Mais le jus est fin et l’ensemble a du style.
Dufouleur Frères 2013
Robe sombre. Le nez de ce vin montre aussi un peu trop son élevage sous bois, mais la qualité du fruit est là, la longueur bonne et l’ensemble est plaisant.
D’Ardhuy 2013
Ce vin vise clairement un style de garde moyenne, car il sera sûrement meilleur dans deux ou trois ans. Un peu raide pour le moment, campé sur une bonne structure où tannins et acidités sont bien en évidence, mais entouré d’une très bonne qualité de fruit.
Desertaux-Ferrand 2012
Le nez est richement expressif. Très beau vin, aux tannins significatifs mais très bien intégrés. Aussi un vin à garder quelques années.
Le beau chai à barriques moderne construit par Bertrand Ambroise (photo David Cobbold)
A la suite de cette dégustation, nous avons pu visiter les domaines dont nous avions, Sébastien et moi, particulièrement apprécié les vins. Nous n’étions pas d’accord sur tous les vins (heureusement), mais nous étions d’accord sur les vins d’Ambroise, d’Ardhuy, de Dubois, et de Naudin-Ferrand. Sébastien a aussi tenu à visiter Chevalier (basé à Ladoix) et le Domaine de l’Arlot. J’aurai bien voulu visiter Desertaux Ferrand, dont j’ai sorti plusieurs vins, mais le temps manquait.
Cette semaine, je vous parlerai d’un de ces domaines. Le deux autres attendront tranquillement la semaine prochaine.
Maison Ambroise
La désignation de «maison» vient de la structure de cette affaire familiale qui comporte une petite part de négoce (3% du volume des ventes). Ce domaine mérite amplement d’être mieux connue en France. S’il ne l’est pas, c’est sans doute parce que 90% de la production de ses 22 hectares sont exportés. Son activité a démarré en 1987 quand Bertrand Ambroise, venu de son Paris natal, a épousé une fille du pays et a décidé de s’occuper sérieusement du vignoble familial, qu’il a ensuite agrandi, notamment avec des parcelles à Saint Romain et au Clos Vougeot. Son fils et sa fille travaillent maintenant avec lui sur le domaine où tout est cultivé en bio. Son approche fait aussi la part belle à de l’expérimentation, avec une grande ouverture d’esprit. Il est un des rares en Bourgogne (avec Daniel Rion à Nuits et Girardin à Meursault, notamment) à fermer ses bouteilles par capsule à vis, du moins pour une partie de la gamme, et ce depuis 10 ans déjà. Il utilise de plus en plus de grands contenants en bois pour ses fermentations et élevages : 400 et 600 litres ou même des foudres. Il a aussi expérimenté l’osmose inverse.
Des bons vins de Bourgogne pas chers existent, comme ces coteaux bourguignons de la Maison Ambroise qui sont vendus entre 6 et 7 euros au domaine (capsule à vis à droite), bouteilles posées sur de très belles dalles de pierre locale rose. Je crois qu’il s’agit de la carrière de Prémeaux.
Les vins de Maison Ambroise
J’ai beaucoup aimé les deux vins blancs entrée de gamme. Le premier est un Coteaux Bourguignons plein de fruit et de fraîcheur et essentiellement élevé en cuve. Le second est un Bourgogne blanc issu d’un coteau calcaire: il est plus vif et salivant, avec une belle netteté. En rouge, le Hautes Côtes de Nuits est délicieusement fruité et le Côte de Nuits Villages a confirmé la bonne impression que j’avais de lui à l’aveugle la veille. Ces vins méritent le détour.
David Cobbold
Merci pour ce rapport qui sort de l’ordinaire. Plus que jamais, il faut dire qu’en Bourgogne, il y a effectivement des noms moins connus qui font de bon à très bon. Et là, plein de nouveaux à découvrir : merci !
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A l’aveugle et dans le brouillard, vous aviez mis toutes les précautions de votre côté pour l’anonymat des échantillons ;-))
Bonjour de Belgique
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Après la fumée de Waterloo, le brouillard de la Côte
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Je ne crois pas qu’il failles y voir une quelconque malice, ce sont des sportifs joyeux, éméchés et invités sur le plateau d’une presse si ce n’est hostile, au moins hautaine à leur égard. Il n’y a pas que le monde policé du journalisme, il y a la vraie vie aussi et à l’Équipe on viens de s’en rendre compte. D&r;ouqsailleurs on s’en fout.
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