Où va le Cava?

Succèdant aux 301 (!) carignans de l’ami Michel, notre nouvelle contributrice dominicale, Marie-Louise Banyols, a choisi d’aborder pendant quelques semaines un sujet qu’elle connaît bien: le Cava. En guise d’introduction, voici un aperçu de la situation dans cette appellation…

Il se trouve que j’habite à Sant-Sadurni d’Anoia, le berceau du Cava. Je ne résiste pas à l’envie de vous en parler, tant je me suis attachée à cet endroit et à la passion qui y anime certains vignerons. Je vous conseille d’ailleurs fortement les week-ends œnologiques dans la région , mais il vaut mieux les organiser vous-même. Vous atterrissez à Barcelone et 45km plus tard, vous y êtes. Vous ne le regretterez pas, amateurs de vins, d’architecture et gourmets, le village vaut le détour. La visite de la cave de Codorniu, œuvre de l’architecte Puig i Cadafalch, est obligatoire, avec ses 26 kilomètres de caves souterraines; tout comme celle de Freixenet, Torelló, Raventós i Blanc et Gramona.

En outre, une promenade dans le centre ville vous permettra de contempler d’intéressants exemples d’architecture «moderniste» comme les maisons de Lluís M. Güell ou les entrepôts de Santacana Roig, de Domènech Boada. Vous profiterez au passage de l’excellente chocolaterie Simon Coll, sans oublier la calçotada de novembre à avril.

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La cave de Freixenet (Photo Onar Vikingstad)

Un peu d’histoire

Mais revenons au Cava. C’est en 1872, que Josep Raventós, pionnier et créateur du Cava, a converti San Sadurni (12.600 habitants) en capitale indiscutable du cava. La ville abrite plus de 200 domaines au profil bien différent, dont les plus célèbres, Freixenet, Codorniu, Gramona, Juve & Camps…, mais aussi des domaines familiaux de taille moyenne, et des plus petits, produisant ce qu’on pourrait appeler des cavas « de garage » ; il est donc difficile de comprendre ce secteur et de lui trouver une cohérence.

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Une ancienne publicité pour le « Champagne » Cordorniu (Photo (c) H. Lalau)

C’est après la guerre civile, dans les années 40, que le boum du Cava se produisit réellement et durablement. L’Espagne – comme la France – maintiendra la tradition de la seconde fermentation en bouteilles tandis que l’Allemagne et l’Italie opteront plus généralement pour la méthode charmat. C’est en 1959 qu’apparaît le mot «Cava» qui remplacera peu à peu, jusqu’à devenir officiel en 1966, les mots désormais interdits de «champán» en espagnol ou «xampany» en catalan.

Les années 60 marquèrent le développement de l’industrie du cava. Puis arriva la crise… Le monde des AOC souffre partout de moments de saturation et d’immobilisme, en Espagne aussi – il suffit de voir le nombre de jeunes viticulteurs talentueux qui n’envisagent même plus d’entrer dans la DO qui correspond à leur implantation !

Incertitude

La DOP Cava n’échappe pas à cette situation, Ton Mata (Recaredo) me confiait récemment que «le Penedès et le Cava en particulier, est en train de vivre des grands moments d’incertitude; personne ne sait exactement comment vont évoluer les choses dans le futur !».

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Un ciel bien sombre sur le Cava? (Photo H. Lalau)

La profession est agitée par de nombreux débats, les petits et moyens producteurs ont de plus en plus de mal à coexister avec les groupes qui privilégient la quantité plutôt que la qualité. Tous les domaines ne partagent pas la même ambition pour le Cava, et il semble impossible d’élaborer une stratégie collective. Les marchés sont dominés par les grands opérateurs «historiques», Codorniu et Freixenet, Jaume Serra… qui se sont généralement positionnés en grande distribution grâce à des prix très agressifs. Les caves moyennes et petites quant à elles, veulent se différencier et essaient de s’implanter sur un marché plus traditionnel et valorisant pour des vins de qualité.

Dans ce contexte, voici presque 2 ans, 15 domaines sont sortis de la DO Cava et ont créé une mention particulière au sein de la DO Penedès, Clàssic Penedès. J’y reviendrai dimanche prochain…

Rien ne vaut un bon exemple…

Pour illustrer mon propos sur les domaines familiaux de taille moyenne, je vous parlerai d’une bouteille, que nous avons ouverte samedi dernier, pour mon anniversaire.

Le Cava Castellroig de Sabaté i Cocar reserva Familiar 2009

Pour ceux qui s’imaginent que le Cava n’est qu’une pale copie du champagne, bon marché, de plus, j’ai quelques bouteilles en réserve qui devraient les convaincre du contraire. Evidemment, il faut accepter de les payer le même prix qu’un bon Champagne – un peu plus de 37€ pour celle-ci, mais croyez-moi, vous ne le regretterez pas.

castellroig reserva-familiar

C’est un cava surprenant; son créateur Marcel Sabaté, le définit comme un «vi de terrers», autrement dit, un vin de terroirs marqué par ses origines (Boja, Calma, Torró & Rigolet), vignobles appartenant à la famille. C’est un Xarel·lo 100% de très vieilles vignes, provenant de ces 4 terroirs. Elevage de 36 mois.

Notez que figurent sur l’étiquette le millésime et la date de dégorgement.

La production est limitée à quelque 6.000 bouteilles, selon le millésime (actuellement, le dernier à la vente est le 2010).

La robe est lumineuse et transparente, la bulle est d’une extrême finesse, des arômes multiples de fruits secs et d’épices. Elégance et fraîcheur sont les deux qualificatifs qui viennent immédiatement à l’esprit. En bouche, il se montre complexe, très belle maturité, avec des notes crémeuses, force et concision, finesse du trait et sapidité,une  fine acidité venant équilibrer le tout. La finale est complexe et tout en longueur. Il se gardera des années encore.

Température idéale de consommation: 8 à 9º.

C’est un vin très facile à marier, avec des mets aux saveurs iodées, fruits de mer crus ou cuits, crustacés froids et chauds (homard, langouste), poissons crus et marinés et/ou carpaccio, ou encore un poisson noble, à chair ferme, de mer ou d’eau douce, une viande blanche (volaille, veau, ris de veau). Dans oublier la cuisine orientale et épicée (curry, cuisine thaï, indienne).

Marie-Louise Banyols

13 réflexions sur “Où va le Cava?

  1. Passionné de Cava, je vais suivre avec gourmandise vos commentaires et les passer à quelques amis !
    Je viens, sans aller sur place, hélas, de m’adonner à une dégustation de nombreux cavas « brut nature » (en évitant tant que faire se peut chardonnay et pinot noir…), c’est à dire non dosés, afin qu’ils soient plus « près du vin », plusieurs d’entre eux étaient remarquables et j’espère, en suivant vos conseils, visiter cette région en 2016.
    Pourriez-vous nous préciser le dosage du Cava Castelroig de Sabaté ?

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  2. Marie-Louise Banyols

    Vous avez raison beaucoup de cavas sont remarquables, mais il est un peu plus difficile de les trouver en France.
    Quant à celui que je vous ai proposé, il n’est pas dosé. Marcel, le vigneron ne dose aucun de ses cavas, c’est un Brut Nature.

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  3. Le dosage est un sujet complexe. Il me semble évident que c’est plus facile de produire des vins équilibrés sans dosage dans un climat comme celui de la Catalogne qu’en Champagne. Dans ce dernier cas, je trouve que la plupart (il y a des exceptions) des vins non-dosés sont un peu courts en bouche avec des finales très abruptes. Ils fonctionnent sur la mode de la réduction et manquent d’ampleur dans leur saveurs, restant sur le seul axe de la fraîcheur, ce qui résulte, souvent, en des vins monolithiques un peu simples. De surcroît ils ne s’améliorent pas en vieillissant. Mais le juste dosage est évidemment d’une importance capitale, comme la matière utilisée pour cette étape et le temps donné à son assimilation avant expédition.

    Marie-Louise, je serai intéressé d’en savoir plus sur les origines de la production de Cava. Est-ce suite à un voyage en Champagne (ou ailleurs), de senor Raventos ?

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  4. vincentpousson

    Si je puis me permettre, Marie-Louise, je crois que le problème du cava est assez spécifique d’une certaine viticulture de masse espagnole , souvent catalane*, tombée dans la ‘culture’ du « quand y’en a plus, y’en a encore ». On a produit, on produit ici en quantité industrielle (plus encore qu’en Champagne ou en Italie) des merdes immondes, fortement bidouillées ensuite, qu’il faut bien essayer ensuite de vendre. C’est que nous voyons arriver ces jours-ci, comme tous les ans, dans les supermarchés de Barcelone, des bouteilles entre 1,50 et 2€ TTC. Plus que de l’agressivité commerciale, c’est la grande braderie! On brade les prix et aussi l’image de ces cavas qui n’avaient pas besoin de ça. Car en amont, poussé par l’appât du gain, de l’argent facile (le fameux cortoplacismo encore plus catastrophique à la vigne qu’en ville), on a tout fait à l’envers (tu vois, je suis même d’accord avec Peñin et les autres…). Au lieu d’identifier des terroirs, une origine, on a construit des usines à mousseux. On n’a pas cherché à tirer vers le haut, à profiter des locomotives, à la façon champenoise, au contraire. Et comme on est un peu balourd à côté du génie commercial italien, on en est là, en bas du rayon, pas loin du carrelage. Dommage.

    * Le Penedès se débat dans les mêmes maux.

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  5. mauss

    Quand on lit Marie-Louise et ensuite Vincent, on comprend alors à quel point avoir l’avis de pro de cette pointure, c’est simplement essentiel pour ceux qui ne connaissent pas grand chose ou même rien sur cette si vaste appellation, un peu comme pour les frisante italiens « prosecco » qui sont les rois du marché allemand.

    Merci à vous !

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