Votre AOC, avec ou sans eau?

Notre ami Marc consacrait hier un joli billet aux vieilles vignes de carignan chilien.

Vous avez pu y lire que dans l’intérieur du Maule, on trouve encore de vieilles vignes non irriguées – une sorte d’exception dans un pays où le goutte à goutte règne en maître? Au point que certains vignerons ont décidé de dire au consommateur qu’ils ne l’utilisent pas: « Dry Farmed », peut-on lire sur l’étiquette de ces producteurs apparemment fiers de respecter le cycle naturel de la vigne, et ce, dans une région assez sèche pendant l’été.

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En France, le « dry farming » est encore la règle. Mais les lignes sont en train de bouger.

La semaine dernière, je visitais un vignoble au Plan de Dieu, près d’Orange, et j’y ai eu la surprise de constater que de grands domaines utilisaient l’irrigation.

Oui, en AOC. Et même, en AOC Côtes du Rhône Villages avec nom de zone.

Comment peut-on à la fois revendiquer une origine et un terroir (ah, le joli mot!) et en changer à ce point un des éléments fondamentaux – le climat, qui détermine le millésime?

Je vous renvoie à un billet précédent, sur le même sujet.

C’est à ce genre de thématique que je mesure à quel point nous, les journalistes, avons peu d’influence.

Il me semble pourtant oeuvrer, en la matière, pour la protection du consommateur; car quoi, on lui promet un vin issu d’un sol, d’un climat, de méthodes culturales déterminées. Et en définitive, cependant, tout se vaut, sous une même bannière, on retrouve des vins qui respectent le lieu; et d’autres, axés sur le productivisme. Je pensais pourtant qu’il y avait les vins sans indication de provenance, pour ça. Mais qui abandonnerait « son » AOP, ses droits acquis, s’il n’y est pas expressément obligé?

Verra-t-on bientôt en France aussi des mentions « viticulture sèche » sur les étiquettes?

Un chose est sûre, le jour où on obligera les producteurs à mentionner « vigne irriguée » ou« vin osmosé » sur l’étiquette, il fera plus sec qu’aujourd’hui. Parce qu’en France, on peut bien s’arranger avec notre fameux terroir, mais on ne le dit jamais à ce benêt de consommateur – il ne comprendrait pas. Qu’il achète les bouteilles, c’est tout ce qu’on lui demande!

Hervé Lalau

15 réflexions sur “Votre AOC, avec ou sans eau?

  1. D’accord avec votre opinion sur le climat et le terroir. Moi-même, je n’irrigue pas mes vignes.
    Mais finalement, l’intéressant est ce qui est dans la bouche.
    Il me manque votre avis sur la dégustation de ces vins issus de vignobles irrigués.

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    1. Dans vos terre du Domaine de Provensol, la présence de matériaux argileux est plus que fréquente, ce qui permet à vos vignes de ne pas souffrir des effets de la sécheresse. C’est d’ailleurs un paradoxe souligné par les visiteurs de nos régions rhodaniennes : les vignes situées dans les collines sont moins sensibles à la sécheresse que celles des plaines, alors que cela leur paraît contraire à l’idée un peu simpliste, doit-on le souligner, qu’ils se font de nos sous-sols. Allez, je répète ce que j’ai déjà écrit à plusieurs reprises : les minéraux argileux sont les banques du sous-sol ; ils renferment l’eau et le stock de tous les éléments chimiques dont la vigne a besoin. L’eau puisée par les radicelles sont en réalité des solutions qui transfèrent, par la sève montante, lesdits éléments aux tissus formant le cep (matériel foliaire, ligneux et les fruits). La sève descendante fournit de l’énergie aux parties souterraines de la plante ainsi qu’au mycelium associé par symbiose aux cellules du tissus radicellaire.

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  2. La plupart des vins de vignes irriguées que j’ai dégusté en Alentejo, au Portugal, étaient sans vice ni vertu. C’étaient des vignes de 5 ans, principalement des Tourigas, qui ne sont pas forcément bien adaptées à la sécheresse. Les vins n’avaient rien à voir avec les versions au fruit gourmand et croquant qu’on peut trouver dans le Douro.
    De plus, les vins étaient certainement réacidifés.
    Compte tenu du fait que de plus, l’irrigation n’a été possible que grâce à des subventions européennes, je me suis demandé pourquoi, alors que nous avons des excédents de vins en Europe, nous avons contribué à financer de nouveaux vignobles, qui produisent à présent des produits concurrents à nos vins. Car même moyens, au prix où ils sont produits, avec la garantie que constitue l’irrigation, ils prennent des marchés. Et qui plus est, ces vignobles sont gourmands en eau, ressource rare.
    Je trouve que nous marchons sur la tête!

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  3. On se fout totalement de savoir si les vignes sont irriguées ou pas, à condition qu’il y ait assez d’eau dans le coin pour les besoins bien plus vitaux que le vin. Le résultat compte avant tout, et peut-être aussi, accessoirement et pour ceux que cela peut intéresser, l’honnêteté dans la procédure et dans la description qui en est faite. Après tout, on raconte tant de sornettes improbables et invérifiables sur un goût, supposé « minéral », et qui serait issu d’une nature de roche située parfois à des mètres de l’emplacement des racines. Et tout cela sans que l’on sache si il y a, oui ou non, transfert d’ingrédients perceptible au goût et issus de cette roche dans le vin fini (ce qui est hautement improbable et totalement invérifiable, mais tellement « romantique »). C’est surtout l’eau et la chaleur qui font le raisin. Le vin est plus complexe mais issu d’une transformation radicale de cette matière première. L’équilibre du produit fini est difficile et complexe, mais si un ajout d’eau dans les vignes permet un meilleur équilibre dans le vin, et si cette eau est disponible, cela serait un peu stupide de le refuser ou de le stigmatiser.

    Ce débat me semble donc stérile et trompeur sur le fond.

    Et je croyais qu’on allait parler de riesling aujourd’hui.

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    1. Lalau Hervé

      Toi tu t’en fous, David, pas moi. Tu parles de tromperie: mais c’est justement le consommateur qui est trompé quand on lui dit qu’un vin est le fruit d’un terroir (très sec, dit-on, pour le Plan ce Dieu) et qu’on le « rectifie » pour éviter les aléas de la production et gommer le millésime. C’est contraire à l’esprit des AOC – au moins, tel que ses pères l’ont conçue.
      Je le répète, si l’on veut faire un autre type de vin, avec de l’irrigation, qu’on le fasse, mais pas sous un nom d’AOC.
      Ce type de vins ne te dérange pas, David; c’est ton droit; mais qu’on les fasse en IGP ou en VSIG! Ces catégories sont là pour ça!
      Quand à la disponibilité de l’eau, tu te trompes: elle n’est pas toujours disponible, le plus souvent, on va la chercher, et parfois très loin. En Alentejo, on a fait un barrage, des retenues, et d’ailleurs, tu as payé tous ces aménagements comme moi, comme Européen. Bien sûr, ce barrage n’est pas sans effet, tu t’en doutes, sur le fleuve, son estuaire, les habitants en aval…
      C’est facile de dire qu’il n’y a que le résultat qui compte. Dans le résultat, il faut aussi tenir compte des dégâts collatéraux: créer de toute pièce de vignobles dans des zones où il n’y en a jamais eu parce que c’était trop sec, en quoi ça peut bien servir la planète et l’humanité? Nous faire co-financer des aménagements dispendieux pour que les nouveaux producteurs viennent concurrencer à vil prix nos propres vignerons, en quoi est-ce juste?

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  4. Vaste sujet que celui de l’irrigation. Tout dépend de ce qui est recherché en pratiquant cette technique. Pour établir un jeune plantier et faciliter l’obtention d’un certaine robustesse, il est clair qu’une irrigation ménagée peut avoir des effets extrêmement favorables pendant un, deux ou trois ans. Par la suite, il convient d’arrêter, étant donné que le système racinaire est fainéant et ne sera pas obligé de plonger son système en profondeur si on continue à lui livrer l’indispensable liquide très près du sol. C’est une première chose. Ensuite, vient une question cruciale : l’irrigation possède-t-elle pour objectif de produire plus de charge ou de lutter contre les conséquences de coups de chaleur excessifs ? Dans le premier cas, je suis d’accord, ces vendanges ne devraient en aucun cas entrer dans la gamme des AOP. Dans le second, la chose est plus discutable, surtout si l’irrigation n’est pas utilisée de façon systématique ; il faudrait simplement se poser la question de savoir si de tels vignobles irrigués avaient à l’origine une vocation viticole…ou pas…Comment trancher ? Où poser la limite ?
    Histoire du maïs dans le sud-ouest : les services de l’état ont subventionné la réalisation de forages qui ont foudroyé la nappe du Coniacien et ils l’ont fait pour être certain que les aides octroyées à la plantation de ce maïs allaient effectivement permettre l’obtention d’une récolte abondante !!
    En plein accord avec Hervé : la notion d’AOC/AOP ne peut s’accommoder avec la pratique intensive d’une technique destinée à modifier profondément le produit final. Avec les effets du changement climatique, qui ont bon dos, c’est un pb de plus en plus fréquemment abordé par les vignerons. L’exemple que vous mentionnez, au Portugal, relève de faits dignes de figurer dans le royaume du roi Ubu.
    Merci, David, pour votre constance dans une vision de l’élaboration très romantique du raisin :  » de l’eau et de la chaleur » ; on fait appel à la fée Clochette, un coup de baguette magique et on obtient un bon raisin qui va faire un bon vin. Elle s’y connait, la fée Clochette, en hydroponie. Je vous taquine ; ne le prenez pas mal, ce serait dommage.

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  5. Laissant tomber les AOC et essayons juste de faire de bons vins. Toute cette histoire de « typicité » me gonfle finalement. On peut irriguer ou pas, ce n’a aucune importance, du moment ou c’est bien fait, c’est à dire raisonnablement en fonction des conditions et des objectifs. Les règles des AOC sont basées sur des situations du passé. Il faut bouger le cadre maintenant. Les vins qui donnent de l’émotion au dégustateur peuvent provenir de toutes les régions et cépages, mais sont toujours faits avec exigence et passion. Les techniques….pffff

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  6. Si j’osais: Waterloo, morne PLEINE, sans faute d’orthographe, je parle de l’eau de l’immense citerne qu’il faut pour pouvoir arroser. Si j’en avais la possibilité (technique), je n’hésiterais pas une seule seconde … avec modération.

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    1. Lalau hervé

      Je suppose qu’on te le permettrait en Roussillon; mais n’est-ce pas une nouvelle discrimination entre ceux qui peuvent se le payer et les autres?
      Les AOP ne sont-elles pas un patrimoine commun?

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  7. La possibilité technique existe et permet à ceux qui en profitent d’avoir une production honnête et régulière. Comme le débat sur la chaptalisation dans les années 70/80, ce sont les excès des uns et des autres qui viennent tout gâcher. Il ne faut pas se bloquer face au progrès, mais toujours penser qu’avant d’avoir du vin, donc des fruits, nous avons une plante. Je ne suis pas contre d’indiquer la moindre pratique dur une étiquette, ou contre-étiquette, pour autant que l’on dispose de la place. Si l’on vous lit bien, Hervé et David, vous avez tous les deux raison. Je crois que si l’on fait attention, si l’on ne sombre pas dans l’excès, la typique du « terroir » (entre guillemets pour ne pas heurter David) restera. Enfin, l’avenir nous le dira et, quoique l’on pense, le vin doit avancer, évoluer.

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    1. Maldonne sur le mot « technique ». Comment apportes-tu des milliers de litres d’eau à 12 km du village le plus proche, dans une zone sans cours d’eau, à 300 m d’altitude et avec des charretières qui laissent à peine passer un quad? Technique ne veut pas dire « autorisé par des technocrates à la con ».

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  8. La confusion spontanée est illustrative. Pour moi, « technique » évoque la possibilité matérielle, pratique, tangible de faire quelque chose ou pas, sa « faisabilité ». Je suis un Germain. Pour Michel et Hervé, « la possibilité technique » signifie: « est-ce qu’il y a un règlement, un fonctionnaire, mieux encore, un Préfet, qui m’y autorise ? »

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    1. Quand je parle technique, il n’y a pas d’ambiguité. La réglementation implique que ce système mis en place par la décision seule de la majorité des vignerons d’une appellation permet de progresser, de voir l’avenir. C’est aux vignerons de décider. Ça les regarde, pas nous… du moment que leurs vins ne cessent de progresser et de les permettre de vivre décemment.

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  9. Chez nous dans le « Willamette Valley, Oregon » c’est pas necessaire d’irriguer les vignes mûrs, car nous recevons 1016 mm de la pluie en moyenne par an (presque tout dans l’hiver). Pour cette raison, un ami vigneron et moi, nous avons établi une organisation en 2004 qui s’appelle « Deep Roots Coalition » – et nos deux concepts principals sont 1) de préserver de l’eau et 2) de produire des vins qui sont plus authentiques et qui représent mieux leurs terroirs et le millésime. Et je dois avouer qu’il est certainement possible pour un dégustateur de différencier des vins produit des vignobles irrigués comparé à des vins sans irrigation. En Oregon c’est pas exigé de ne pas irriguer, mais de plus en plus vignerons ont découvert qu’on peut produire un vin de plus haute qualité sans irrigation. Les AOC d’Europe étaient correct en exigeant ces règles. Voici le lien FaceBook de notre organisation: https://www.facebook.com/Deep-Roots-Coalition-125656974183606/?ref=aymt_homepage_panel

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