Contre étiquette, l’envers du décor

bar Envers du Décor

L’Envers du Décor est le nom d’un célèbre et excellent bistrot à vin, situé à Saint Emilion et propriété de François de Ligneris, pour qui j’ai beaucoup d’affection. Mais cela n’est pas du tout le sujet de ma chronique d’aujourd’hui !

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La contre-étiquette est de plus en plus utilisée sur des bouteilles de vin, et contient de plus en plus de mots et de signes. C’est un outil de communication et d’information qui peut être très utile, voire nécessaire. Pour une bonne partie, comme dans l’exemple ci-dessus, venu des USA, il est fortement chargé de mentions légales. Mais est-il toujours bien utilisé par les producteurs ?

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Je veux d’abord souligner l’écart, parfois frappant et redoutable, entre la vérité telle que nous le percevons et le discours des producteurs de vin et leurs diverses antennes « communicantes ». Ce qui a déclenché mon envie d’évoquer cette distorsion entre réalité et discours a été notre dégustation d’un vin d’Ardèche, mis en parallèle avec le texte imprimé sur son contre-étiquette. Un collègue a perçu exactement la même chose dans cette instance, alors il s’agit peut-être d’autre chose qu’une simple lubie personnelle. Cela aurait très bien pu arriver avec un vin d’ailleurs : là n’est pas la question, car je n’ai rien contre les vins d’Ardèche en particulier.

Commençons par les commentaires de dégustation tels qu’ils apparaissent sur la contre-étiquette de ce vin, nommé Chatus, Monnaie d’Or 2012. Le chatus est une variété rouge, rare et plutôt tannique, ancienne car mentionnée par Olivier de Serres et qu’on trouve dans l’Ardèche, mais aussi dans le Piémont sous le nom de Neiret.  Je prends encore mes précautions en soulignant que  ceci n’est pas une critique de cette variété, mais juste du lien défectueux entre ce vin (honnête, par ailleurs) et sa contre-étiquette.

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Le commentaire imprimé sur la contre-étiquette :

« arômes de cassis, de pâte de coing, de figues sèches et de réglisse » Et c’est tout, car rien n’est dit sur les impressions tactiles ou gustatives en bouche du vin : tout semble se passer au pif ou bien en rétro-olfaction.

Mon commentaire sur le même vin (uniquement olfactif) :

« arômes de terre humide et de sous-bois, notes de fruits rouges frais et cuits avec un léger accent boisé et animal. »

Je sais bien que l’appréciation des arômes est une affaire individuelle, mais quand-même !

Mieux encore, cette même contre-étiquette conseille de servir le vin à 20° et d’ouvrir la bouteille 6 heures avant le service ! Servir n’importe quel vin rouge à une telle température me semble une aberration qui a pour résultats principaux de déséquilibrer les sensations vers l’alcool et de détruire la finesse des saveurs. Conseiller au consommateurs d’ouvrir un vin 6 heures avant le service, surtout pour un vin qui ne sera jamais (je pense) mis sur une table en grande cérémonie, ne relève pas d’un sens aigu du réalisme. Ce vin est vendu autour de 8 euros, donc je doute que beaucoup de consommateurs aillent le préparer à la dégustation 6 heures avant. Il faut être plus terre à terre dans les usages !

Quand aux conseils d’accompagnement pour ce vin, la contre-étiquette brasse large : « ce vin charpenté accompagne à merveille daube de sanglier, cuisine provençale et fromages typés ». Pas facile à trouver, le sanglier, dans nos villes ou la plupart des habitants de ce pays vivent ! La cuisine provençale est assez diversifiée, faisant un usage important de légumes et, proche de la méditerranée, elle est souvent très poissonneuse. De quels mets parle-t-on exactement ? Quant aux fromages « typés », je ne sais pas trop ce que cela voudrait dire. Supposons qu’il s’agit de fromages aux goûts forts. Dans ce cas, le consommateur curieux pourra courir chez son fromager chercher un camembert, un époisses, un roquefort ou un banon, par exemple. Avec chacun des ces fromages, l’accord avec le vin en question, qui est plutôt tannique, serait catastrophique !

Quittons ce mauvais exemple pour regarder d’autres options. Il y a plusieurs catégories parmi les contre-étiquettes. D’abord la minimaliste. Dans celle-ci on trouve bon nombre de vins dépourvus de tout contre-étiquette.  Cette option est surtout réservée aux producteurs qui s’en foutent parce qu’ils vendent leurs vins à des gens qui les achètent pour leur étiquette faciale, ou bien qui ne savent pas lire.

La catégorie qui est sûrement la plus remplie est celle du « bla-bla enflé », dite aussi « pompe-à-vélo ». Ce type de texte va chanter les louages de la « noblesse du terroir », du « grand raffinement » ou de la « finale magistrale » du vin en question (tous ces exemples sont réels).

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Mais quelques producteurs honnêtes, et j’espère qu’ils seront de plus en plus nombreux, adoptent une approche purement factuelle et informative. Je trouve l’étiquette ci-dessus d’un vin de Loire (Château de Fesles, Bonnezeaux) exemplaire. J’en ai aussi rencontré plusieurs lors de mon récent voyage en Champagne. Ceux-ci se contentent d’indiquer sur leurs contre-étiquettes les origines parcellaires ou communales des raisins, de mentionner éventuellement l’approche culturelle dans leur vignoble, de nommer le ou les cépages et leur proportions, de préciser la durée de mise en cave ou la date du tirage et de dégorgement du vin, etc. La seule critique qu’on pourrait émettre à ce méthode « carte de visite » est qu’il s’adresse exclusivement à des professionnels ou à des amateurs avertis qui savent déduire de ces informations techniques ce qu’il convient de déduire, sans préjuger de leur avis sur le vin en question. Il s’agit de l’information pure et précise.

vin de merde


levrette

fine grapes

Boire tue

J’aime bien aussi une dernière catégorie, rare mais avec de beaux exemples que je montre ci-dessus, qui relève de l’humour ou de la dérision. Elle existe souvent dans un contexte particulier, et souvent en réaction à des législations perçues comme excessives, ou bien à des excès de la catégorie « bla-bla enflé » déjà mentionnée.

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Donc il faut se battre, non seulement contre les cougars (autre nom du mountain lion, ou puma), mais aussi contre une mauvaise communication sur les contre-étiquettes.

 

David

10 réflexions sur “Contre étiquette, l’envers du décor

  1. Il y a-t-il vraiment quelque chose de valable à écrire au dos d’une bouteille? On passe des généralités excessives (la majorité) à des indications techniques qui passent au-dessus de la tête du consommateur. Il n’y a pas de vraies recettes, mais un choix de communication, on peut indiquer le ou les cépages, si le vin est sucré ou pas – ce qui manque pour le Bonnezeaux. Mais tout est aléatoire, comme les possibilités d’accords ou les T° de service. En fait, il faudrait écrire un roman avec en tête de chaque paragraphe à quel type de conso il s’adresse. Ou trouver une formule qui décrive en quelques mots simples. Le vin, ce n’est pas donné à tout le monde!
    Marco

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  2. Je sais que c’est une exercice très difficile. Je serai pour une partie factuelle (incluant le sucre) et une partie descriptive, cette dernière partie pour situer le style du vin (tannique ou fruité, vif ou riche, etc).

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  3. Dans la définition des mentions « non-obligatoires » pour l’étiquetage, il est écrit que celles-ci doivent être justes. La communication peut-elle être sans mensonge? La fiche technique reste l’information la plus demandée par le consommateur. Mais il ne faudrait pas priver le vigneron de ce petit espace de communication. Certains en font un bon usage, la preuve dans cet article.

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  4. D’accord avec toi David. Une information reste essentielle à mes yeux, comme tu le décris. Et même si cette description peut paraître technique au commun des mortels, elle permet simplement d’informer, donc d’éduquer. Il est bon à mon avis qu’un buveur non averti en apprenne sur les cépages et les sols ayant donné naissance à un Jurançon, par exemple. Y compris sur les méthodes culturales, de vinification et d’élevage du vigneron metteur en bouteilles. Cela traduit aussi une forme de respect que tout producteur doit au consommateur.

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  5. Pour que les choses évoluent, un peu…. sur le sujet (en France) il faudrait que les producteurs de vin acceptent que le mot marketing n’est pas une injure et qu’ils acceptent de se limiter à ne faire que ce qu’on leur demande de faire càd un bon vin.
    Vendre est un (autre) métier et savoir communiquer aussi. Voilà 15 ans que j’observe ceci en tant que « marketing man » évoluant dans le monde du vin. Les progrès sont insignifiants. c’est d’autant plus étonnant, que le monde du vin s’est ouvert à l’international depuis de très nombreuses années et que les producteurs anglo-saxons, eux, ont compris l’importance de la chose. Certes, les réglementation ne sont pas partout les mêmes. Il n’empêche: est-ce une raison pour continuer à inonder les contre-étiquettes d’infos non adaptées?
    En attendant, j’observe, je collecte en vue de créer une étude visant à mesurer de façon rationnelle l’impact de l’étiquette (+ contre-étiquette) sur l’achat, par type de vin et par type de canal, par usage, par sexe, par pays,… le travail est immense et progresse. En attendant, vous pouvez toujours trouver de l’inspiration sur http://www.pinterest.com/stratecom, une collection de 7000 packagings répartis par catégories. En attendant la suite dans les prochains mois… A votre santé!

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