Bordeaux oui, mais « primeurs » non.

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Je ne déguste plus les centaines d’échantillons (trop précocement) préparés pour les Primeurs par des producteurs de Bordeaux depuis l’édition consacrée au millésime 2005. Cela fera donc bientôt 10 ans. La première de mes raisons est que je ne crois plus à l’intérêt de ce système de « prévente payée » pour le consommateur. La deuxième est que je ne crois plus en un lien fiable entre les échantillons présentées et les vins qui seront mis en bouteille 12 à 18 mois plus tard, après plusieurs tests et après avoir vu une propriétaire faire changer un échantillon de son vin quant elle voyait les visages des dégustateurs ayant tâté de la première version!  Enfin, j’ai constaté qu’un nombre croissant de châteaux refusait de soumettre leurs échantillons à la dégustation à l’aveugle, induisant pour nous les journalistes une tournée infernale, consommatrice de carburant et de temps, sans parler d’une mise en condition inévitable quand on doit aller dans le chai en question pour goûter l’échantillon et entendre les discours des responsables en même temps.

Je sais que je ne suis pas seul dans le domaine des doutes quant à la fiabilité de ce procédé. Mon collègue Bernard Burtschy, qui retourne chaque année déguster les vins après leur mise en bouteille, a dit sa grande déception devant les écarts entre les échantillons qu’il avait notés pour le millésimes 2012 et 2013, et les versions en bouteille de bon nombre des mêmes vins.

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Les Primeurs, cette année, ce devrait être du sport…

 

Maintenant, j’apprends que pour la future séance qui portera sur le millésime 2015 et qui aura lieu début avril, l’Union des Grands Crus a pris la décision de regrouper les dégustations des vins de ses membres en un seul endroit et sur deux journées, et de ne plus proposer les vins en dégustation à l’aveugle. Je ne trouve rien à redire quant à la première partie de cette décision, mais la deuxième partie, qui va retirer toute semblance d’objectivité à cet exercice déjà difficile, est une énorme erreur à mes yeux. Regrouper les vins dans un seul lieu, c’est du bon sens, à condition que le lieu soit assez grand, ce qui est probablement le cas pour le nouveau stade de Bordeaux qui a été choisi. La consommation inutile de carburant devra donc baisser. Mais priver ceux qui le veulent de la possibilité de déguster à l’aveugle est choquant !

Je crois que Michel Bettane a déjà dit qu’il n’irait pas dans ces conditions et Jancis Robinson dit ceci sur son site ;

« But the change I most resent is that the UGC will no longer sanction blind tasting. I’m sure there has been lobbying from the shrinking but much-appreciated majority who do not insist on our visiting them to taste at the château. They presumably think that we penalise wines tasted blind. But this proposed change robs us of a major aspect of these primeurs tastings. I have discussed it with Michel Bettane, who said he would no longer participate in the UGC tastings if blind tasting (which he requested originally, I believe) were no longer permitted. Presumably all this will drive more and more media tasters into the hands of the large négociants who organise primeurs tastings in parallel with the UGC ones. Is this really what the UGC wants, I wonder? Perhaps it is no coincidence that these changes, unlikely to be welcomed with open arms, are being proposed for a vintage about which there has been as much hype as the 2015? »

Je crois qu’elle a raison. Elle a également organisé un sondage parmi ses nombreux lecteurs pour savoir s’ils pensent qu’une dégustation à l’aveugle était plus crédible qu’une dégustation à découverte. 78% ont voté pour la dégustation à l’aveugle.

Avec un peu de chance, d’autres critiques vont aussi déserter cette farce des Bordeaux Primeurs et le soufflé va enfin tomber. On peut toujours rêver !

Je refuse, en revanche, de verser dans le « Bordeaux bashing » adopté par certains. Il y a beaucoup d’excellents vins à Bordeaux (d’accord, pas en 2013 !). Et il y a beaucoup d’excellents et honnêtes producteurs, dont certains font des vins qui représentent les meilleurs rapports qualité/prix en France. Mais ce cirque des Primeurs doit cesser ou bien changer radicalement si les producteurs concernés veulent garder un semblant de crédibilité.

David Cobbold

13 réflexions sur “Bordeaux oui, mais « primeurs » non.

  1. L’alliance des crus bourgeois refuse aussi la dégustation des primeurs à l’aveugle et cela est bien dommage.
    Quand la dégustation n’est pas anonyme on goûte d’abord l’étiquette. le cerveau est conditionné par l’information transmise par la vue, il est difficile d’en faire abstraction.

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  2. Oui Patrick, c’est bien le problème. Et l’effet est gradué en fonction de la renommée de la marque pour le dégustateur. Difficile, voire impossible, d’en faire abstraction et les résultats sont donc biaisés.

    Merci François, tu peux toujours le faire si tu estimes que le sujet en vaut la peine.

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    1. Boschman

      Tu sais que je t’aime toi 😋😋😋😋 si tu veux j’ai aussi écrit plein de choses à propos des vins nature 😋😋 il est gentil ce petit Hervé hein.

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  3. JAEGER JEAN-MICHEL

    Tout à fait d’accord. De plus le papier d’Eric Boschman posté par Hervé est parfaitement explicite dans ce sens. JMJ

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  4. Cette réglementation presque militaire de l’UGCB a quelque chose de ridicule. On sent qu’ils veulent que rien ne leur échappe. Imposer l’absence de dégustation aveugle pour moi c’est le pompon : les notes de primeurs n’ont dans mon esprit plus aucun crédit

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  5. Cher Monsieur Cobbold,
    Je ne vois pas la différence que ce soit à l’aveugle ou pas ? La majorité des échantillons ne représentent pas le vin définitif puisque souvent les ensembles ne sont pas faits, surtout rive droite. D’ailleurs, la part 1er vin/ second vin dépend souvent des notes de la presse ! Sans parler de ceux qui sont « fabriqués » par toutes sortes de techniques avouables (vinification intégrale) ou inavouables.
    Depuis 10 ans, je ne note plus les vins en primeur, j’attends qu’ils soient en bouteille. Même s’il n’est pas nouveau que certains crus font une mise spéciale destinée aux dégustateurs.
    Très sincèrement
    Franck Dubourdieu
    http://www.bordeauxclassicwine.fr

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