Pardon si ce titre a déjà été utilisé chez nous ou ailleurs, mais Pâques, le printemps, les horaires d’été, cette somme d’incidences fait qu’invariablement l’agneau est comme qui dirait de saison. Avec le mien, qui n’était pas de Sisteron mais du Roussillon, je voulais à tout prix un rouge de garrigue qui évoque le thym frais ou le serpolet dont raffolent les jeunes ovins gambadeurs. Un cliché de plus trottinant dans ma tête, mais quoiqu’il en soit, j’adore les unions de pays. Tout cela, c’est à cause de Marie-Louise Banyols, notre Marie-Louise, qui en sommelière inspirée, n’avait de cesse de me tanner sur ce sujet alors que je fréquentais le samedi sa cantine du bonheur, à Céret, et que j’en profitais pour me rendre au marché de cette bonne sous-préfecture, probablement la plus au Sud de l’Hexagone. «Mariages régionaux, mariages garantis», assenait-elle en substance quand on daignait l’écouter. «À condition que cela fonctionne», devais-je lui marmonner en retour. Bien sûr, j’aurais dû me jeter sur le Roussillon corner de ma cave puisque mon agneau était, de sa naissance à son abattoir, Catalan du Roussillon.
C’est vraiment un pur hasard si je suis tombé, en rangeant, sur cette cuvée Capitelles du Château Mourgues du Grès, un des meilleurs domaines de son appellation, Costières de Nîmes. Ce mariage agneau pyrénéen/rouge gardois, j’y croyais dur comme fer et en plus, j’ai toujours aimé le travail des Collard, à la fois dans l’accueil que ces vignerons réservent à leurs visiteurs, mais aussi dans la vraie personnalité qu’expriment leurs vins. Et puis, j’ai souvent pensé que les fameuses capitelles (cabanes en pierres sèches) avaient été construites dans la nature plus pour adoucir le confort des bergers qui accompagnaient les troupeaux, que pour les vignerons, bien que les hommes de la vigne devaient eux aussi les trouver fort utiles en cas d’orage, par exemple. De toutes les façons, et c’est ce que j’aime croire, vignerons et bergers devaient s’entendre à merveille puisque jusque dans les années 50/60, époque où tout a changé dans nos campagnes, les moutons des Cévennes de l’Aubrac, de la Margeride, du Larzac ou du Rouergue pratiquaient volontiers en hiver la transhumance en passant par les vignes encore enherbées du Languedoc.
Toujours est-il que me voilà donc bien perplexe lorsque que je tente de confronter mon agneau roussillonnais et mon rouge presque provençal. Si, en promenant son nez au dessus du verre, on a bien le sentiment d’un vol printanier au dessus de la garrigue, où qu’elle soit, ce sont surtout les tannins qui marquent le vin. Ils paraissent un peu fermes et anguleux malgré l’âge – ce Capitelles est du millésime 2004 – et ils ont à vrai dire un peu de mal à communier avec mon tendre agneau pourtant docile et, je me répète, catalan. Le vin est bon, l’agneau aussi, mais le mariage n’y est pas alors qu’il me paraissait évident. « J’aurais dû faire ci, ajouter ça, insister sur la cuisson du gras, insister sur le thym, mettre une pointe d’ail… » Il y a des moments où l’on se dit que l’on devrait tous avoir un sommelier chez soi pour suggérer au bon moment le mariage juste ! Le Costières est un vin formidable, mais il lui faudrait plutôt un ragoût de mouton pour le goûter à table. Or, mes belles premières côtes d’agneau sont simplement poêlées.
Pas d’autre choix que celui d’ouvrir une autre bouteille. J’avais un vin un peu jeune, un 2013, de mon copain Luc Lapeyre sous la main. Profitons-en pour voir. Je vous ai déjà parlé du vigneron, de sa verve, de sa rondeur, de son carignan et de son adresse postale qui porte le nom de l’instigateur du soulèvement vigneron dans les Midi des années 1900, un certain Marcellin Albert, mais je n’ai encore rien dit me semble-t-il de sa cuvée l’Amourier (mûrier in french) dont il m’avait laissé un exemplaire lors d’une de nos dernières agapes. D’ordinaire, l’Amourier est majoritairement composée de Syrah, sauf que cette fois-ci cette cuvée porte le sous-titre Autrement. Avant d’aller plus loin, je consulte le vin : rondeurs toutes fruitées, accent sudiste indéniable, croquant, épices, une forme de légèreté, nous partons volontiers sur un grenache/carignan de belle facture adapté à l’été qui viendra se glisser bientôt sous nos draps. Son comportement en bouche est des plus simples et, oh miracle, il marche mieux sur mon agneau pascal que le vin précédent. Quand je dis il marche, en réalité, il glisse à merveille et s’accorde délicatement aux essences de thym frais qui accompagnent le plat.
Oui, je sais, c’eût été encore mieux si mon agneau avait été grillé au-dessus d’une braise de sarments de vigne. Et pour certain, le mariage eût été encore plus convaincant s’il s’agissait d’un gigot de Pauillac accompagné d’un mouton 1985… J’aurais même pu, moi qui en connais quelques uns, tenter un bon rosé de Bandol. J’aurais pu aussi vous parler de la mort de Paul Pontallier (Margaux), de celle de Jacques Couly (Couly-Dutheil), du départ de Jean-Pierre (Coffe), ou de bien d’autres choses encore, tout cela en moins d’une semaine post-pascale. Mais une fois de temps en temps, le dilemme causé par les associations mets et vins doit ressurgir comme ça chez moi, sans prévenir. On croit que ça va marcher, puis tout se casse la gueule car c’est le vin ou le produit qu’il rencontre qui décide, deux caractères, deux personnages. Dans cette confrontation, je ne suis qu’un pion. Et quand je vous dis que le vin est une personne, vous pouvez me croire.
Michel Smith
(Photos Brigitte Clément et Michel Smith)
A ma connaissance, Michel, la seule race d’agneau typiquement roussillonnaise est la rouge du Roussillon; or, sur l’étiquette de ton Xaï, ce n’a pas l’air d’en être. T’aurait-on abusé?
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Attention Hervé, je ne parle pas de races d’agneau, mais d’un agneau (de race Lacaune ou autre) élevé sous la mère (important) et dans les pâturages. Quant au « rouge du Roussillon », ce sera pour cet été, s’il en reste, car c’est une délicieuse variété d’abricot ! Mais je soupçonne une bonne blague et j’en appelle à l’ami Léon pour en rajouter. Car de mon côté j’ai quelques Lacunes…
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Non, ce n’est pas une blague. Regarde ici:
http://www.races-montagnes.com/fr/races/raiole/rouge-du-roussillon.php
Mais si c’est du Lacaune, ton agneau n’a rien de Catalan…
Mais les agneaux ont-ils une nationalité?
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Ah si ! Il est né en Catalogne et mange Catalan, ça suffit pour avoir la nationalité ! 😉 Le droit du sol, ça existe !
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Merci de votre profond explications sur l’ agneau et le vin. Il es évident pourquoi le 2004 n’ allait pas parfaitement avec les côte simplement poêllées. Je pourrais m’ imaginer cette fluidité du vin de 2004 qui en fait ne corresponde pas a la texture de l’ agneau . Bien écrit , cette fluidité a besoin un ragoût ou la texture est presque comme de la gélatine et provoque la même sensations. Ici , vous êtes en train de poêlée , ce que signifie , nous allons avoir un légère croûte autour , pourtant la texture reste souple à l’ intérieure. Toutes texture , poêlée, grillées donne toujours une légère sensation sèchent dans la bouche , et je comprend d ailleurs pourquoi le choix étais changer contre un vin vin avec plus d’ ampleur, dite jeunesse . Votre plats de cuisine je le classe dans un style, Force et Robuste , des sensation assez prononcé, franc, mais pas de complexité , terrestre, puissant , goût mature. Ce qui correspond mieux au vin jeune. L’ accompagnement des côte aussi est important , Grillée sur la braise, OK, a part le parfum, mais la texture reste plus au moins pareille pour la viande ; Beaucoup de gens oublie , que la préparation, donc la texture final joue un grand rôle dans la dégustation.
Notre goût est une combinaison différentes facteurs: l’ oeil, le nez et la bouche et notre propre comportement ce jour là.
Avec le goût nous souhaiterons d’ écrire ce que se passe dans la bouche, donc texture , la sensation tactile est très important.
Beaucoup de gens oublie ça. C’ est l’ intensité du plat et son profile qui compte.
Beaucoup de gens pense , que » Si le plat s fait ça, le vins devrais faire le contraire pour compléter . Le vin , ne devrais jamais un excuses pour améliorer un plats . Les deux doivent être déjà en harmonie et c’ est pourquoi ils marchent ensemble.
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Merci Mike de ces précisions…
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Depuis que je porte – officiellement – un double titre de noblesse (un peu comme les Saxe-Cobourg): le VC (vieux con) que je me suis décerné moi-même à la lecture de Berthomeau (quand j’étais plus jeune) et le VC (vrai con) que la star incontestée du vignoble catalan m’a accordé publiquement, je me sens investi d’une responsabilité si lourde que j’hésite encore à porter un jugement. Je croyais parler à peu près le français; oh, avec des fautes bien sûr. Je m’aperçois que le terme de « con » signifie dans votre langue, génies que vous êtes tous: « quelqu’un qui ne pense pas comme vous, ne serait-ce que sur un sujet déterminé ». Le rouge est bien un abricot, peu sucré, au noyau assez grand et à la pulpe peu fournie, très savoureux mais dont la vogue est en baisse (hélas). Il s’en cultive plus au Japon que dans les P.O. « Nos » appellations de viande ne sont qu’un moyen pour le plus gros abatteur du département, magnat du jeu à XIII qui plus est, de s’assurer un quasi-monopole sur ces viandes: il y a un veau (la rosée des Pyr et le Vedell), un agneau (le Xai) et un cochon (Tirabuxo). Reconnaissons que leur qualité gustative est élevée. Elle n’impose aucune race spécifique. Notons qu’acheter de « l’Aubrac » ne garantit plus grand chose non plus, c’est également devenu une marque, même si la race en elle-même est typée et existe bel et bien. Donc, afin que tu n’évoques pas en vain le nom de Lev Davidovitch, Michel, et afin que le Père Hervé puisse s’en aller en paix, comme les ouailles de Barbarin, sans être inquiété outre mesure, le seul agneau qui me plût, en cette année Bosch qui ne nous fait pas oublier Van Eyck, est l’Agnus Dei.
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Quant à Lacaune – j’y étais il y a dix jours – outre le berceau de jolis agneaux, de charcuteries (porc) de grande qualité, d’ardoises de couverture magnifiques et de châtaignes de qualité, c’est aussi le lieu d’un haut fait d’armes de la milice de Vichy, commémoré par une sobre plaque entre l’office du tourisme (représentant l’état français) et l’église de l’Assomption (représentant l’église de France) de cette ville. Une raffle a permis d’envoyer un contingent important de Juifs qui avaient été assignés à résidence là (des « familles non désirables » comme on disait) vers le camp de la mort d’Auschwitz. Il y avait des femmes et des enfants de moins de cinq ans parmi eux. Aucun n’est revenu. Ma compagne est née à 30 km de là mais j’ignorais jusqu’à présent cet épisode et elle aussi. Des amis,très chers ont failli y perdre toute leur famille mais celle-ci a pu prendre le maquis à temps (au roc de Montalet). L’aieul de ma compagne, quant à lui, était ouvier de jour et résistant la nuit, au même endroit, mais il était chrétien de confession, lui. Il a tout de même été dénoncé par un villageois et on a incendié sa maison. La ruine existe encore, intacte. Pour l’instant, je vois Lacaune d’un oeil différent, malgré l’excellente cuisine de Claude Calas (et sa belle carte de vin). En montant sur le Pic de Montalet (> 1200 m d’altitude) la vue est magnifique, tant vers le Tarn que vers l’Hérault et l’Aveyron, malgré l’horreur du parc éolien EDF.
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