Rêves orientaux 

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Au moment d’écrire ces lignes, je me trouve bien à l’Est de l’Europe: pour être précis, en Turquie, pays dont l’appartenance à l’Europe ou bien à l’Asie fait débat, mais qui me semble bien plus ancré au Moyen Orient qu’à l’Europe, surtout en ce moment et malgré les efforts passés d’un Attaturk. La Turquie, pays tolérant bien qu’en majorité musulmane, produit bien du vin, mais on y assiste à un certain durcissement des diktats religieux et de leurs effets visibles (femmes voilées, etc).

Du coup, me vient à l’esprit le fait, indéniable et historique, que l’origine du vin se situe un peu plus à l’Est, vers le Caucase et donc en Géorgie ou en Arménie avant de se répandre dans ce qu’on appelle le Croissant Fertile et que touche aussi l’Est de la Turquie, à l’Anatolie. Je pense aussi aux relations compliquées entretenue entre la religion mahométane et le vin (devrais-je dire l’alcool ?), et enfin au fait que les plus beaux poèmes autour du vin nous viennent de la Perse déjà musulmane. Paradoxe? Peut-être, mais, d’un autre point de vue, source d’espoir aussi dans ces temps troublés par des excès en tous genres sur le plan des croyances et des politiques qui s’en suivent. Car les modes changent, même si, en ce moment, nous subissons une vague de forte régression sur ce plan !

Une lecture renouvelée et répétée d’un livre des poèmes d’Omar Khayyam est à l’origine et sera le sujet principal de cet article. Pour ceux ou celles qui ne le connaissent pas encore, Omar Khayyam était un astronome et un poète, mais aussi un grand buveur de vin, mort en Perse pendant la première moitié du 13ème siècle. Cela peut surprendre, du moins en ce qui concerne la troisième activité citée, car oui, la Perse de cette époque était musulmane. Mais Khayyam ne connaissait pas le wahhabisme et ne respectait que très moyennement les édits du Coran, comme nous allons le voir. Cela n’a pas été sans lui créer quelques ennuis avec les autorités de l’époque, j’imagine.

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Comme je disais, j’ai transité par Istanbul et, pendant un changement d’avion, j’eus le temps de boire un verre de vin turc dans la Trattoria Milano (sic) de l’aéroport. Je pensais que cela pouvait constituer une entrée en matière pour mon article, même s’il faut un peu d’imagination pour considérer qu’un vin turc moderne ressemble d’une manière quelconque aux vins consommés en abondance par Omar Khayam, mais il faut bien faire avec les moyens du bord, parfois. L’offre de vins au verre dans ce bistrot d’aéroport était, il faut le souligner, bien supérieure à celle qu’on peut trouver dans un aéroport français. Il y a effectivement de quoi avoir honte de l’offre de vins à consommer sur place qui sont proposés au voyageur dans les aéroports en France ! Dans ce bistrot italo-turc, donc, on trouve, au verre, 4 vins blancs (dont un turc, mais aucun français), et une douzaine de vins rouges, dont 9 turcs. J’ai également noté que les autres vins rouges à la carte venaient du Chile, d’Argentine et d’Italie, mais aucun de France. J’ai toujours pensé que voyager et observer devrait rendre plus humble les producteurs et amateurs de vins français, en leur permettant de se rendre bien compte que les vins de notre pays ne sont nullement incontournables dans beaucoup (je n’ai pas dit tous) de points de vente dans ce monde.

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Le vin turc que j’ai choisi assemblait deux cépages locaux : le Boguzkere et l’Okugozu, qui sont deux variétés d’Anatolie. Il portait aussi sur son étiquette (voir photo) la marque KAR : le nom du producteur probablement, mais je n’ai pas réussit à en trouver des informations. A part ce vin-là, tous les vins turcs à la carte venaient de deux producteurs : Sarafin et DLC.  Ce verre de vin fut servi trop chaud, à 25°C certainement, car la bouteille n’était pas stockée dans une chambre froide. Un glaçon fourni sur demande et glissé dans le verre a réglé ce problème, mais le verre était assez grand, de bonne qualité et la quantité servie plutôt généreuse. Ce vin était bon, sans plus, avec une impression de chaleur, des tannins fins et une acidité correcte, probablement un peu ajustée. Très honnête et agréable à boire, dans un style proche de certains vins du Rhône Sud, ou d’Espagne.

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Revenons à notre cher Omar.  Dans mon petit livre, qui comporte 148 quatrains, près de la moitié mentionne le vin, ou l’acte de boire, ou les outils de la boisson, ou bien l’ivresse. Avec l’amour, l’amitié et la désobéissance aux dogmes religieux, c’est un de ses thèmes préférés.

Khayyam était de ceux qui ne rechignent pas devant l’excès. Jugez plutôt :

Il vaut mieux s’abstenir de tout, sauf de boire,

Et le vin est meilleur quand les beautés qui en sont ivres vous le versent….

Rien ne vaut d’être un ivrogne, un celender, un vagabond,

Rien n’est meilleur que de boire toute la nuit.

NB: « celender » était le nom d’un ordre de derviches en Perse.

 

Mais il pouvait aussi être très philosophe, dans un registre que je qualifierais de stoïco-épicurien, comme ici :

Boire du vin et étreindre la beauté

Vaut mieux que l’hypocrisie du devoir ;

Si l’amoureux et l’ivrogne sont voués à l’Enfer,

Personne, alors, ne verra la face du Ciel.

 

L’amitié, comme l’amour, joua aussi un rôle essentiel dans ses poèmes, et certainement dans sa vie, et il ne craignait manifestement pas les « fous de Dieu ».

 

Au printemps, sur la berge d’un fleuve ou sur le bord d’un champ,

Avec quelques compagnons et une compagne belle comme une houri,

Apportez la coupe…ceux qui boivent la boisson du matin

Sont indépendants de la mosquée et libres de la synagogue.

 

On se croirait presque devant le tableau de Manet intitulé «Le Déjeuner sur l’Herbe», sauf qu’il n’y a nulle trace de bouteille ni de verre dans cette peinture !

Il est évident que carpe diem aurait été la pierre angulaire de sa vie, comme transparaît dans de nombreux autres quatrains, par exemple :

 

Je tombais du sommeil et la Sagesse me dit :

«Jamais, dans le sommeil, la rose du bonheur n’a fleuri pour personne.

Pourquoi t’abandonner à ce frère de la mort ?

Bois du vin ! Tu as des siècles pour dormir».

 

Ou dans celui-ci, qui comporte aussi un bon message pour nos élus (et à nous, électeurs):

 

On dit que le jardin d’Eden enchante les houris ;

Je dis que le jus de la grappe est seul délectable.

Tiens t’en à l’argent comptant et renonce à un gain promis,

Car le bruit des tambours, frère, n’est beau que de très loin.

 

Parfois il verse aussi dans le désespoir. Il voyait peut-être alors le «black dog» bien connu de Winston Churchill, par exemple.

 

Donne-moi du vin, remède de mon cœur blessé,

Bon compagnon de ceux qu’a fatigués l’amour ;

Mon esprit aime mieux l’ivresse et ses mensonges

Que la voûte des cieux, fond du crâne du monde.

 

La lucidité aussi, et, pour finir, un esprit zen :

 

Suppose que tu n‘existes pas, et sois libre.

 

A méditer, tout cela….

 

David Cobbold

 

 

 

 

 

 

 

 

 

16 réflexions sur “Rêves orientaux 

  1. Les plus ancienne traces de la viticulture sont 6100 AV J Chr en Armenie. Au pied de la montagne Ararat. Wine maker :
    Hovakim Sagatelyan of Trinity Vineyards in Armenia makes a series of wines with this particular signature 6100. He still works with pre-pheloxera vines.

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  2. Très bien David cette évocation d’Omar, j’y avais songé aussi, possédant depuis longtemps l’un de ses recueils de poésies dont quelques-unes bacchiques. Amours et libations un thème récurent et interconfessionnel.
    Marco

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  3. Moi, avec tout le respect que j’ai pour les Turcs en général, et les Turcs démocrates en particulier, je n’ai pas envie du tout que la Turquie intègre l’Europe. C’est d’abord une question de géographie (l’Asie Mineure… est en Asie, et elle représente 85% du territoire turc, sans compter le Nord de Chypre qu’elle occupe au mépris du droit), et une question d’héritage et de valeurs communes. Ceux de nos politiciens qui voudraient pousser à cette adhésion malgré l’avis de la majorité des peuples en Europe ne doivent pas s’étonner si l’idée européenne bat de l’aile.

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  4. Charlier L

    Petite question « ouverte » (je n’ai pas encore de réponse moi-même à cette interrogation): au niveau du statut économique et de l’impact sur l’Europe, existe-t-il une différence significative entre la Grèce d’aujourd’hui et la Turquie contemporaine? Je ne parle pas des traditions ni de l’impact culturel.

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  5. Michel, pour répondre à ta question, je dirais d’abord que je mange moins que Jim ! J’y suis passé deux fois, une fois à l’heure du déjeuner, une autre, au retour à l’heure du petit déjeuner. Au déjeuner, avec le verre de vin rouge, ce fut une salade dite « milanese », je crois. Banal. Au petit déjeuner, avec un café turc j’ai mangé une spécialité turc qui s’appelle Menemen et qui sont des oeufs brouillés avec de la tomate. Délicieux. Dans le vol de retour, vers 9 heures du matin, j’ai prix un quart d’un vin blanc turc, ce qui a manifestement un peu surpris mes voisins, mais il faut dire que j’étais debout depuis 1h30 du matin. Je n’essayais même pas d’imiter Omar Khayyam.

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  6. La question de Luc mérite une réponse d’un connaisseur de la chose économique, ce que je ne suis pas. La Turquie est évidemment bien plus grande que la Grèce et son poids économique est donc, logiquement, plus fort. Sur le plan symbolique et culturel, par contre, le poids de la Grèce est bien plus fort, du moins pour les Européens.

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  7. Sois jaloux en voyant la rose qui s’effeuille ;
    Elle sourit et dit à celui qui la cueille
    Déchirant le cordon de ma ceinture, enfin,
    Je répands mes trésors d’amour sur le jardin !

    غياث الدين ابو الفتح عمر بن ابراهيم خيام نيشابوري

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  8. Je m’en doutais bien, dans les deux cas. Comment se fait-il que tu a été le seul à parler de cette poésie ? C’est quand-même le sujet central de l’article, non ? Question sans réponse, sans doute……

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    1. David, le chantre du « lateral thinking » te répond que ceci est, au départ, un blog sur le vin. Je suis, moi, très heureux des digressions mais « on » les a parfois sévèrement critiquées. Pour te répondre sur ce poète en particulier, il me semble que nous avons tous ou bien lu la même chose (c’est mon cas) ou bien rien lu du tout. Sa forme est particulière et il s’agit tjs de traductions. Et c’est un mode de pensée … ancien et une manière d’écrire … ancienne aussi. Et on ne connaît jamais aucun autre poète persan de cette époque (sauf de très grands spécialistes). C’est un peu comme pour Sappho, sauf que là, certains (comme moi) ont effectivement lu son oeuvre dans le texte en tentant malhabilement de la traduire. Enfin, idem pour le Kamasutra. Je pense que les amoureux du plaisir (de la table ou du lit) se régalent en petit comité de ces ouvrages, ou s’en amusent (c’est un peu niais, non?), mais ne commentent pas au grand jour. Enfin, la gourmandise éhontée ou le sexe torride proposés par d’autres médias (visuels notamment) ont un peu évincé les quatrains, les sonnets, les madrigaux. Video killed the radio star.
      Donc, il y a bien une réponse à ton interrogation et elle vient bizarrement d’un commentateur rustre et diversement apprécié!

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