L’appellation Bordeaux montre la voie, y compris pour les cépages résistants

Nous avons tous entendu parler de reportages télé ou écrits mettant en cause l’usage excessif de produits phytosanitaires (pourquoi dit-on toujours pesticides dans ce cas, alors que les produits sont bien plus divers ?) dans le vignoble français et qui pointent particulièrement du doigt le Bordelais. J’ignore si le vignoble bordelais utilise davantage de produits « phyto » par hectare que les autres régions viticoles de France, mais  ce qui me semble logique est que l’humidité du climat atlantique, associé à des températures souvent élevés dans le sud-ouest, doit rendre plus délicat le passage à une viticulture libre de produits fongicides qu’ailleurs. Disons que la donne agricole n’est pas identique d’une région à une autre. Clairement il doit être plus facile d’être en bio dans le Languedoc qu’à Bordeaux, la plupart des années.

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Mais Bordeaux se devait de réagir collectivement à cette mise en cause médiatisée et il l’a fait de belle manière. Le 10 février, le syndicat des Bordeaux et Bordeaux Supérieur (appellations qui représentent plus de 50% de la surface viticole de la Gironde) a adopté cinq modifications agro-écologiques de ses cahiers des charges. Ces modifications sont :

1). l’interdiction de l’usage d’herbicides sur le contour des parcelles

2). l’interdiction de l’usage d’herbicides sur la totalité de la surface du sol

3). l’obligation d’enlever et de détruire les pieds morts

4). tout opérateur doit mesurer et connaître son Indice de Fréquence de Traitement (IFT). 

5). demande officielle de pouvoir cultiver et revendiquer en AOC d’autres cépages que ceux autorisés dans le cahier des charges, à hauteur de 5 % de la surface totale de l’exploitation et de 10 % de l’assemblage final.

cite-du-vin-bord-005Hervé Grandeau et Bernard Farges, que je n’ai jamais vu dans de telles tenues !

Si les 4 premières mesures semblent tomber sous le bon sens, le cinquième est, à mon avis, très intéressante et innovante et j’y reviendrai. Les trois premières modifications ont été adoptées à l’unanimité, mais les deux dernières ne l’ont été qu’à la majorité. Pour le 4ème, deux responsables du syndicat, Bernard Farges et Hervé Grandeau sont montés au créneau : «par les temps qui courent, il vaut mieux jouer la transparence et ne pas taire les choses» a dit Grandeau, le président de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux, tandis que Bernard Farges, le président du syndicat, dit : «Nous avons tout intérêt à montrer ce que nous faisons, car de toute façon notre consommation de pesticides va diminuer», et aussi «Il nous faut être intransigeants et irréprochables dans nos comportements sur nos parcelles, avec nos salariés et voisins» .

cepages-resistants-icv Mais c’est la dernière mesure qui me semble la plus intéressante, sans contester l’absolue nécessité des 4 autres. Cette remise en cause des pratiques figées des AOC est une bouffée d’air frais, et qui porte un double enjeu : la lutte contre les maladies avec la nécessité de diminuer les produits de traitement, mais aussi une nécessaire adaptation aux effets du réchauffement climatique. Que Bordeaux porte ce dossier au comité de l’INAO est une bonne chose car cette appellation à du poids. J’espère que d’autres soutiendront cette belle initiative ! Et Bordeaux ne vise pas du tout d’implanter des cépages rendus célèbres dans d’autres régions, ce qui est intelligent étant donné l’esprit protectionniste qui sévit ici ou là. Il s’agit bien de variétés résistantes et le témoignage d’un vigneron qui expérimente avec ces variétés me semble bien illustrer l’intérêt de la démarche.

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Les vignobles Ducourt couvrent 450 hectares, essentiellement dans la région Entre-deux-Mers et sont exploités en agriculture raisonnée depuis 2004. Les frères Jérémy (ci-dessus) et Jonathan Ducourt ont planté, en 2014, 3 hectares de variétés résistantes développés en Suisse (un des pays, avec l’Allemagne et l’Italie, le plus en pointe sur cette voie de recherche). Ce sont les pionniers de cette approche en Gironde, même si un domaine en Languedoc, le Domaine de la Colombette, est plus largement avancé avec 40 hectares de cépages de ce type. Jérémy Ducourt souligne l’avantage de ces variétés: «En trois ans, je n’ai eu à traiter que quatre fois mes parcelles de vignes résistantes. Soit une réduction de 80 % par rapport au témoin».

Nous pouvons émettre le voeux que l’INAO accepte des expérimentations de ce type plus largement, et sans pénaliser les producteurs en exigeant l’exclusion des  résultats, s’ils sont bons, du système AOC en se cramponnant à cette notion absurde de « typicité » qui ne veut rien dire.

 

David

10 réflexions sur “L’appellation Bordeaux montre la voie, y compris pour les cépages résistants

  1. Marc

    Mais une fois de plus, comme notre médecine allopathique, on s’attaque aux effets et non pas aux causes…..
    Les abeilles disparaissent…..? ..pas grave, on va construire des drones pollinisateurs…

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  2. Très bonnes initiatives. En effet le 5ème point est surprenant, laissant espérer une possible évolution de l’INAO. Gageons que les multicasquettes de Bernard Farges rendront cette évolution officielle.
    En attendant, les vignes « naturellement résistantes » ne sont pas la panaçée, ce n’est pas une résistance 100% et les variétés ne sont pas encore équivalentes aux traditionnelles. C’est un grand pas pour la production mais en aucun cas elles ne pourront remplacer la nécessaire évolution de la viticulture vers une diminution, parfois arrêt total des produits phytosanitaires nocifs pour l’environnement.
    Pour plus de renseignements sur les vignes naturellement résistantes, vous pouvez visiter le site de l’association PIWI : https://www.piwifrance.com/

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  3. D’accord avec Nadine. Les cépages résistants ne constitue qu’une des voies, mais qu’il me semble plus qu’utile à explorer et je suis très surpris par le retard pris en France sur cette option qui, bien évidemment, ne pourra pas tout résoudre.

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  4. Juste une remarque d’un vigneron bio. Dans notre vallée du Rhône sud, nous bénéficions non seulement d’un climat sec mais aussi du fameux mistral qui a la bonne idée de se lever après chaque pluie… enfin presque chaque fois ce qui procure de temps en temps des déconvenues si « on n’est pas bien couvert ». Autour de Nyons et Valréas, il est fréquent de rencontrer des vignerons bio qui font seulement 7 ou 8 passages de traitement par an. Je parle bien entendu de moyenne. Quant à réduire les doses de traitement, toujours en bio, ça devient beaucoup plus technique, les « chefs » étant le plus souvent dans ce domaine les « biodynamie » qui associent au cuivre et au soufre différentes plantes préparées en tisanes, en décoction, en macération… Tout un nouveau monde à découvrir !

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  5. Jonathan Ducourt

    Bonjour à tous, merci pour cette mise en avant de nos essais de nouvelles variétés.
    Evidemment, ce n’est pas la seule piste que nous explorons pour réduire l’utilisation des produits en général sur nos vignobles. Il y a aussi le travail sur les couverts végétaux l’hiver pour arrêter les engrais organiques, la pulvérisation confinée pour recycler les produits et limiter les dérives, la plantations de haies, les échanges avec le voisinage les jours de traitements, le travail mécanique su sol à la place du désherbage… C’est tout un ensemble de mesures complémentaires pour avancer dans le bon sens.
    Reste que la plus efficace des mesures que l’on a testé, c’est quand même de planter des variétés tolérantes aux maladies car très vite la fréquence de traitements chute de manière considérable. Pour la qualité du vin issu de ces cépages, nous lançons cette année la commercialisation on verra comment c’est apprécié par nos clients. Nous on est très content de la qualité!
    En tout cas c’est un projet qui nous passionnent et c’est très encourageant de voir que notre syndicat de Bordeaux nous soutient!

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  6. Bonjour Jonathan et merci de ces précisions. Nous (en tout cas moi !) au 5 du Vin, on sera très heureux de déguster les résultats des premières vinifications de ces cépages et d’en rendre compte.

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