Le rôle de l’architecture et du décor dans le vin : l’exemple de Bordeaux

Chai à barrique à Château Marquis d’Alesme, Margaux. La propriétaire a des origines partiellement asiatiques. Cette réalisation est en tous points remarquable par sa beauté et son sens du détail.

 

Un récent voyage dans le Médoc, pour accompagner une groupe d’amateurs de vin, m’a fait prendre conscience, une fois de plus, des extraordinaires investissements qui ont été réalisés depuis quelques années dans tous les éléments architecturaux, aussi bien fonctionnels que décoratifs, qui entourent le vin dans les régions plus ou moins fortunées du vin, à Bordeaux comme ailleurs. En une trentaine d’années, les paysages viticoles, au sens large du terme, ont été transformés, pas tant au niveau du vignoble, mais au niveau des chais et autres bâtiments de production. Cela a touché aussi bien les équipements que le décor, auquel on accorde à présent une importance considérable. Et cela est surtout vrai de l’esthétique, telle qu’elle est perçue par le visiteur, comme par le personnel qui y travaille.

Il est possible, et même probable, que travailler dans un beau lieu engendre un meilleur rapport au travail en question. Il est en tout cas certain que visiter un beau lieu engendre un tout autre rapport au produit qui en est issu que si le lieu de production ressemble à un taudis avec des déchets et des outils rouillés qui trainent partout, à moins de verser dans une forme de snobisme inversé que certains amateur de vins dits « naturels » aiment parfois promouvoir. Il y a, me semble-t-il, un juste milieu entre les excès « bling-bling » de certaines réalisations architecturales, à Bordeaux et ailleurs, et le laisser-aller qui a si longtemps caractérisé les lieux de production du vin. L’avènement d’un tourisme autour du vin qui draine, en France comme ailleurs, un nombre croissant de visiteurs dans les régions viticoles milite évidemment pour une accélération de ce phénomène.

Lieu de réception des vendanges au Château Marquis d’Alesme. Outre l’influence asiatique, il faut notre les panneau d’osier dans les caissons du plafond qui amortissent très efficacement le réverbérations sonores et améliorent ainsi le confort des personnes qui y travaillent.

 

Je sais bien qu’il est beaucoup plus facile de consentir des investissements importants aux aspects visuels et techniques d’un chai et de son environnement lorsque son vin se vend à 30 euros et plus (en prix de gros par bouteille) que quand le marché vous limite à un prix qui plafonne autour de 10 euros, voir moins. Car le coût de revient, frais commerciaux compris, d’un cru classé ou cru bourgeois du Médoc doivent déjà avoisiner les 10 euros, ce qui laisse des marges confortables dans certains cas, et très faibles dans d’autres.

Une partie du chai à barriques à Château Palmer, Margaux

 

Mais je pense que la vision esthétique n’est pas tributaire uniquement de l’argent. Il faut dans tous les cas une volonté de présenter son outil de production à un public, puis le talent de le faire dans un style qui risque d’impressionner, de plaire ou d’amuser le visiteur. Autrement dit, nul besoin d’une débauche d’extravagance dans le décor ou l’équipement pour être vu comme un producteur « sérieux». Il est très possible de faire dans la simplicité et la sobriété avec relativement peu de moyens.

cuve en béton noir à Château Gruaud Larose, Sant Julien

 

J’ai illustré cet article avec quelques exemples tirés de ce voyage dans le Médoc qui dénotent des niveaux d’investissement de niveaux très différents, mais qui m’ont chacun donné une impression de soin, de vision, et d’attention aux détails qui, après tout, sont aussi ce qui caractérise un bon producteur de vin. La plupart des réalisations proviennent de domaines qui vendent leurs vins au dessus de 20 euros la bouteille. Mais j’ai constaté la même chose ailleurs à Bordeaux et dans presque toutes les régions viticoles que j’ai visité. Je maintiens donc ma thèse: soigner l’apparence de son lieu de production, même avec des moyens bien plus modestes, aura toujours un impact favorable sur le visiteur,  amateur comme professionnel, y compris dans des propriétés plus modestes. Le vin, après tout, est un produit de luxe, c’est à dire superflu par rapport à nos besoins vitaux. L’esthétique y prime par rapport à la nécessité. Son environnement doit obéir aux mêmes principes.

David Cobbold

 

 

5 réflexions sur “Le rôle de l’architecture et du décor dans le vin : l’exemple de Bordeaux

  1. Charlier Luc

    Très intéressant papier, David. Tout en comprenant parfaitement ta démarche – tu es un esthète avant tout et le dandisme (qui possède un côté très positif à mes yeux) t’es chevillé au corps de Britannique – je ne la partage pour une fois pas du tout. Et ta définition du « luxe », qui en vaut bien une autre, n’est pas la mienne non plus.
    L’argent mis dans les fioritures aurait dû, selon moi, revenir aux salariés de ces exploitations et à la filière en général. Mais ceci est une affaire de vision de société. Et je te concède qu’un cadre de vie et de travail un peu plus agréable que ce qu’on observe parfois ne fait pas de mal. Continue néanmoins à nous montrer de belles photos: tu formes le lien qui unit les happy few et la populace d’en-bas.

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  2. georgestruc

    Il existe au moins deux, sinon trois niveaux de perception de ce qui se fait en matière d’aménagement. De plus, l’esthétisme est une notion qu’il est difficile de ranger dans un cadre précis…
    Le minimum d’investissement, dans un chai de vinification, concerne l’hygiène vinaire et l’organisation d’un lieu qui est, doit-on le rappeler, dévolu au travail ; le visiteur doit effectivement ressentir que le vinificateur est sérieux (pas de manches qui trainent, de seaux contenant un fond en train de se voiler de mère de vinaigre, des taches partout, bref tout ce qui relève du bordel, organisé ou inorganisé. C’est un niveau qui ressort à une incontestable exigence professionnelle, que le domaine soit fortuné ou pas.
    Le deuxième niveau est lié à ce que j’appellerai la « façade » : montrer que l’on est très à l’aise et que la notoriété du domaine justifie, en quelque sorte, les investissements réalisés pour impressionner le « public », vaste arène dans laquelle tournent des personnes de tous bords . Très bien, cela fait travailler des architectes de renom, ainsi que des corps de métier qui, sans ce genre de commandes, risqueraient de disparaître. Presque une forme de mécénat…Cette démarche permet également de donner une forme de justification au prix de la bouteille demandé au caveau…et la boucle est bouclée. Là, je suis d’accord avec Luc, on tombe dans un travers où règne, non pas l’orgueil, mais la vanité, donc le gaspillage. Je déteste…
    Troisième niveau : le culte de l’esthétisme ; domaine que peu savent atteindre avec des moyens financiers limités. Il y faut de la finesse, du goût, le refus systématique de paraître mais l’objectif de laisser deviner, d’émouvoir sans ostentation. Ayant vécu 45 ans à Lyon et proche du monde des soyeux, j’ai appris à saisir, dans de nombreux cas d’espèces, mais prenons celui, très commun, des arts décoratifs appliqués au décor des pièces à vivre, combien il est important de fournir au visiteur, le plus discrètement possible, les clefs qui lui permettent de décrypter les intentions du maître des lieux, ses élans, sa vision du monde, son souhait de les partager… Dans cette ville, le luxe doit toujours être discret. C’est une règle d’or. On pourra reprocher à cette attitude son côté élitiste, étant donné que tous ne vont pas pouvoir y accéder, y compris sur le plan culturel et intellectuel. Certes, mais l’esthétisme peut aisément faire son nid dans des thèmes plus accessibles : la végétation des abords d’un domaine viticole, le confort du lieu d’accueil, l’ornementation des espaces de réception, la perception des paysages, les cheminements, le discours, l’information…
    Quoiqu’il en soit, merci à David d’avoir abordé un sujet délicat mais oh combien intéressant.

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  3. Je vous remercie tous les deux de vos commentaires.
    Georges, je n’ai pas dans ce papier abordé le thème de la végétation et de l’aménagement paysager, mais cet aspect a été très largement travaillé par les domaines que j’ai visité lors de ce voyage de trois jours. On s’en douterait d’ailleurs vu le niveau d’investissement et de soin appliqué aux bâtiments. Palmer, Marquis d’Alesme, Gruaud Larose, Lafon Rochet ou, plus modestement, Clauzet, en sont cinq bons exemples.

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  4. David, est-ce que M. Juppé a fait la visite des châteaux aussi ? J’avais pronostiqué Trump 1 an avant son élection, et avait vu Juppé président et Macron comme « Premier ». Après l’actuel, ballon d’essai qui précède les législatives, les juppéistes vont déserter « les Républicains » et le maire de Bordeaux ira à Matignon. Je ne me serai pas trompé de script, simplement de distribution des rôles!
    Par contre, je n’avais pas prévu que la brillante Mme Boutin râlerait car « La 2 » à préféré l’investiture présidentielle à la messe. Elle voudrait aussi des presbytères partout dans le Médoc et le Libournais, plutôt que des crus classés. L’Angélus a toutes ses chances!

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