Wayford, une bulle et une histoire exemplaire du Sud-Ouest… anglais

 

Je me trouvais dans le Sud-Ouest ce weekend; dans le Sud-Ouest… de l’Angleterre. Et j’ai dégusté, en arrivant, un « sparkling wine » de bonne facture, assez fin, aux saveurs délicatement fruitées, sans grande intensité mais très plaisant et bien fait. Le vin est de plus bien présenté dans un habillage sobre avec une étiquette claire. Le Wayford Winery 2014 est issu à 100% de Pinot Noir et provient d’un vignoble situé à quelques kilomètres du village qu’habite ma mère. Renseignement pris, ce vignoble était en vendanges le samedi 7 et le dimanche 8 octobre et j’ai décidé d’aller voir tout cela sur place.

L’année 2016 a vu la fondation d’un nombre record de wineries dans ce pays qui a eu le malheur de voter cette stupidité qu’on appelle « le Brexit » l’année dernière. C’est un autre sujet mais c’en est un qui a le don de m’agacer profondément, vu les tonnes de mensonges proférées à l’occasion par le «exiteurs ». Qu’on les rassemble avec les Catalans indépendantistes, par exemple !

Mais revenons à nos moutons : 64 entreprises de production de vin ont vu le jour en 2016 en Angleterre et au Pays de Galles, ce qui constitue une augmentation de 73% sur les chiffres de 2015 (source : l’administration fiscale et douanière britannique). Ceci est à rajouter au chiffre cumulé d’environ 500 producteurs de raisins à vin et une base viticole de plus de 2.000 hectares plantés à fin 2015. La production totale de vin dans ces deux parties de la Grande-Bretagne dépasse maintenant 5 millions de bouteilles, dont la grande majorité est faite de vin blanc et surtout de bulles élaborées selon la méthode dite « traditionnelle ». Le vignoble moyen d’un producteur est donc de petite taille, autour de 4 hectares, même si quelques rares producteurs comme Denbies et Nyetimber font office de géants avec une centaine d’hectares chacun. Et je rappelle que le Champenois Taittinger à récemment acquis et planté, avec son importateur britannique, une soixantaine d’hectares dans le Kent (sud-est).

Le vignoble que j’ai visité ce weekend, Wayford, est lui situé bien plus à l’Ouest, dans le Somerset. Il illustre bien ces petits producteurs naissants qui émaillant de plus en plus tous les coins du Sud du pays. Son vignoble couvre 1,7 hectare, les raisins sont pressés et vinifiés ailleurs, et l’initiative vient d’un groupe d’amateurs enthousiastes, en l’occurence tous membres du Rotary Club de Crewkerne, et dont un des membres fondateurs est un agriculteur du coin qui a fourni le terrain. Il est probable que les 4 membres fondateurs (ils sont aujourd’hui une vingtaine de familles à partager, bénévolement, les travaux de la vigne, ce qui doit en faire le plus petit domaine coopératif du monde viticole !) ne se doutaient pas des efforts nécessaires à leur entreprise. Mais, depuis la plantation en 2007 de 4.000 pieds de pinot noir sur une pente orientée plein sud dans la vallée de l’Axe (à l’ouest de Yeovil), les membres de ces familles, pour une bonne partie retraités, se sont retroussés les manches chaque année et les 1.200 bouteilles de leur premier millésime mise en vente, le 2014, sont maintenant presque épuisées. Bientôt le 2015, avec des quantités heureusement en croissance, va atteindre les magasins et bistrots de la région. Ils me disent qu’il est encore meilleur mais je ne l’ai pas dégusté.

Même en sachant ce qu’on va y trouver, on est presque surpris de découvrir un coteau couvert de vignes dans ce vert paysage aux bocages, au détour d’une de ces tortueuses routes de campagne enfoncées entre talus, prairies et bois, et dont l’étroitesse vous oblige à chercher un recoin pour pouvoir croiser un véhicule qui arrive en face. Le samedi matin de ma visite, les feuilles de vigne commençaient à jaunir ou à rougir par endroits et les vendangeurs, peu nombreux mais concentrés, s’activaient sous un ciel gris. Familles et amis doivent signer une décharge avant d’attaquer avec ciseaux et petits bacs en plastique qui seront chargés sur une remorque pour une heure de route jusqu’au pressoir. Le vignoble est totalement enherbé et tondu une fois l’an. Je n’ai vu aucune trace de produits désherbants et le seul équipement semble être une tondeuse tirée par un vieux tracteur. Tout le reste se fait à la main. A la différence de quelques autres vignobles dans le sud-ouest, Wayford a échappé au gel du printemps 2017 et j’ai vu pas mal de raisins, en apparence très sains, sur les vignes.

Que penser de tout cela ? Mais que du bien, selon moi! Il n’est pas question, du moins pour l’instant, d’une concurrence sérieuse à d’autres vins effervescents. Avec deux milliers d’hectares à peine en production, les bulles anglaises ne risquent pas d’arriver en masse en France pour couper l’herbe sous les pieds des bulles françaises, par exemple. Le nombre de bouteilles produites ne pèse pas lourd face aux bulles d’ailleurs : Champagne, Crémants, Cava ou Prosecco, chacune de ces désignations produisent plus de 10 fois la production totale de l’Angleterre. Et ces vins anglais ne sont pas bradés non plus. Le Pinot Noir 2014 de Wayford Winery se vend au détail au prix de 25 livres sterling la bouteille (soit 28 euros), et des producteurs plus connus comme Nyetimber vendent leur cuvée non-millésimée autour de 40 euros, ce qui les positionne quasiment au même niveau de prix qu’une grande marque de Champagne.

Ces vins, pris dans leur ensemble, aident à satisfaire la soif légendaire des Britanniques pour les bulles en particulier et pour le vin en général, tout en augmentant la connaissance du vin par la curiosité qu’ils sollicitent. Et des domaines comme Wayford constituent aussi un beau témoignage de la logique d’une action collaborative, sans grande ressources, mais dans un pays qui n’est pas trop freiné par des règles qui inhibent des initiatives entrepreneuriales de toutes les tailles et formes, y compris dans l’agriculture.

David Cobbold

12 réflexions sur “Wayford, une bulle et une histoire exemplaire du Sud-Ouest… anglais

  1. Hervé LALAU

    Le sparkling anglais semble progresser beaucoup plus vite que le mousseux belge, et en volume, et en qualité moyenne (nonobstant quelques exceptions comme le Clos des Agaisses). Climatiquement, les deux pays sont assez comparables.C’est peut-être une question de taille de marché intérieur.
    Quid du l’Ouest français – pourrait-on élaborer de beaux mousseux en Normandie ou en Bretagne? Sans doute que oui.

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  2. Il y a des vignes en Normandie et du cidre élaboré selon la méthode traditionnelle. Ce qui donne pas mal de combinaisons. Pour les vignes http://www.arpents-du-soleil.com/
    Je suis curieuse de savoir quelle dénomination cet effervescent anglais peut-il afficher? Il me semble lire sur l’étiquette « Somerset » ce qui le situerait comme une IGP. Les mentions obligatoires sont-elles les mêmes qu’en Europe?

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    1. A ma connaissance, Somerset n’est pas une AOC ni une IGP, donc je ne suis pas sûr que la mention soit réservée; mais curieusement (car l’Angleterre est quand même une vaste région, potentiellement) English Wine est une AOP (GPO, en anglais). Et je n’ai pas vu Wayford dans la liste des domaines ayant reçu ce statut.
      Brexit ou pas Brexit, cela montre tout de même que les normes des AOC en Europe sont assez divergentes…
      Plus d’info http://www.ukva.org.uk/pdo-pgi-wine-list/

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    2. Il n’y a pas de mentions obligatoires en Angleterre pour les vins, du moins dans l’acception AOC, IGP etc. La Grande Bretagne a effectivement un pied dedans et un pied dehors en ce qui concerne l’Europe ! Les associations régionales de producteurs créent des mentions pour donner une idée de l’origine géographique. Dans ce cas il s’agit bien du comté de Somerset.

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      1. C’est vrai que l’information principale donnée par l’AOC et l’IGP est sur l’origine. Comme nous le savons, pour les IGP, c’est seulement une partie de la production qui est concernée par l’origine.
        Le tout fonctionnant sur la déclaration du producteur.
        Il ne faut pas s’étonner que les appellations perdent de la valeur du point de vue de la qualité!!!
        A l’origine (si je peux me permettre d’utiliser ce mot ici), les AOC s’inscrivaient dans une pyramide qualitative avec quelques exceptions tout en haut et du déjà bon en bas.
        Aujourd’hui, il y a du bon partout et pas de règle pour les exceptions. Qu’elles soient dans la dérive des vins-dits-nature, la typicité des vins industriels ou dans la complexité d’un terroir.
        Franchement, faut pas être néo-consommateur de vin aujourd’hui, ou alors faut prendre des cours avant de pouvoir choisir un vin.
        Où sont les vrais repères?
        Faut-il créer un label rouge du vin?

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  3. Rien à voir avec tout ce qui précède, mais une pensée pour Jean Rochefort, qui vient de disparaître, et qui était un amoureux du vin. Voici ce qu’il en disait en 2015 au Figaro: «Amateur de vin, je l’ai été sans jamais abuser. Mais aujourd’hui, la Faculté me l’a interdit: je ne le supporte plus. C’est fini, comme les rares érections! Toutes ces petites joies enlevées nourrissent le désir de mourir.»

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