Non au Chardonnay dans le Muscadet !

Comme le rappelle le site de l’INAO, toute modification proposée dans un cahier des charges d’une appellation d’origine fait l’objet d’une procédure d’opposition. En clair, cela permet à ceux qui s’y opposeraient de faire valoir leurs arguments.

Les changements proposés dans le cahier des charges du Muscadet, qui prévoient notamment l’entrée du Chardonnay dans l’encépagement, n’échappent pas à la règle. On en trouvera ici le texte: https://extranet.inao.gouv.fr/fichier/CDC-Muscadet-PNO.pdf.

Avec l’avertissement ci-joint: «Pendant ce délai, toute personne ayant un intérêt légitime peut émettre une opposition motivée sur les modifications proposées du cahier des charges de l’appellation d’origine contrôlée «Muscadet» en écrivant à l’Institut national de l’origine et de la qualité, à l’adresse suivante: 16, rue du Clon, 49000 Angers».

Comme consommateur, je me crois légitime à m’opposer à ce changement, au nom de la protection du consommateur, justement.

Une question d’identité

Muscadet est le nom local du cépage melon de Bourgogne (abrévié en Melon tout court, pour ne pas froisser les Bourguignons… qui ne l’utilisent plus).

Muscadet est le mot utilisé pour désigner cette variété dans le Pays Nantais depuis le 17ème siècle, et c’est ce seul cépage qui a donné le nom à l’appellation en 1936. Personne n’aurait eu l’idée de l’appeler «Melon de Nantes», parce que ce n’est pas son nom usuel.

On est là devant un des cas (pas si répandus en France, finalement) où il y a identité entre le cépage et le produit. Où il y a un lien manifeste entre le vin et son terroir – le cépage étant un élément déterminant de ce terroir, tel que révélé par l’histoire (pourquoi a-t-on choisi de le planter ici, et non ailleurs, et pourquoi a-t-on décidé de le vinifier seul?); un lien incarné par le nom de l’appellation.

Avec l’introduction du chardonnay, même à titre accessoire, ni ce lien historique au terroir, ni cette identité n’existent plus, et le consommateur, qui penserait de bonne foi acheter un 100% muscadet (alias melon) en achetant un Muscadet AOC, risque d’être trompé.

Par ailleurs, même si le chardonnay est limité à 10% de l’encépagement mesuré dans la totalité des parcelles d’un domaine, comme c’est proposé, qui empêchera les élaborateurs de dépasser ce pourcentage dans une cuvée? Voire d’élaborer des cuvées 100% chardonnay, toujours sous le nom de Muscadet ?

Changer de style?

Au fait, que cherche-t-on avec cet ajout de chardonnay ? A faire des vins plus gras, plus aromatiques, plus massifs… et moins Muscadet? Tout en en gardant le nom, bien sûr, pour de raisons de commercialisation…

Pourquoi ceux qui ont planté du Chardonnay dans la région ne continueraient-ils pas à en faire des IGP Val-de-Loire, plutôt que d’introduire la confusion dans ce qui avait le mérite d’être simple?

Il semble qu’il s’agisse d’une demande de quelques gros faiseurs, qui souhaiteraient ainsi offrir un nouveau style à la distribution. Et élargir au passage la base de leurs approvisionnements.

Mais l’INAO a-t-il la vocation d’entériner ce type de desiderata, d’épouser la cause des moins-disants d’une AOC, ou bien, au contraire, de protéger l’identité des productions? Quitte à dégraisser le mammouth, pour redonner leur lustre aux AOC, plutôt que d’en faire une sorte de socle, une base, une norme minimale qui ne garantit plus ni supplément d’âme, ni supplément de qualité. A quoi servent les autres dénominations, Vin de France, IGP, si ne n’est à abriter les vins qui ne se revendiquent pas d’un strict lien au terroir?

Question subsidiaire: pourquoi ce changement est-il envisagé pour le seul Muscadet générique, et non pour les autres Muscadets de la pyramide hiérarchique? Est-il moins grave de dénaturer le générique que les autres, alors que lui,  justement, porte le seul nom du cépage? La multiplication des mentions au sein de ce vignoble (Muscadet, Muscadet-Coteaux-de-la-Loire, Muscadet Sèvre & Maine, Côtes-de-Granlieu, crus communaux…), n’est-elle pas déjà assez porteuse de confusion?

Amis du Muscadet, expliquez-moi si mon raisonnement ne tient pas, si j’ai loupé un épisode… Vous êtes-vous, vous aussi, opposés à ces changements qui sont déjà présentés comme actés dans la presse, alors que la période d’opposition court encore?

Et vous, amis journalistes, mes collègues, qu’en pensez-vous?

Pour plagier la Champagne, je pense qu’il ne devrait-être de Muscadet… que de Muscadet!

Imaginerait-on de faire du Picpoul de Pinet avec autre chose que du Piquepoul? Du Cabernet d’Anjou avec autre chose que du Cabernet? Du Muscat de Rivesaltes avec autre chose que du Muscat?

Hervé Lalau

19 réflexions sur “Non au Chardonnay dans le Muscadet !

  1. patrick axelroud

    Tout a fait d’accord.A ce train là, pour d’obscures raisons, à terme, il n’y aurait plus que du chardonnay dans tous les vignobles. Non au nivellement que l’on voit s’esquisser dans tous les domaines de l’activité humaine.

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  2. Joseph LE NIR

    Monsieur Lalau, 100 % d’accord avec vous.
    Je m’exprime en tant que consommateur de Muscadet, breton d’origine j’en ai découvert les saveurs dans le chai de mon père il y a plus de cinquante cinq ans et je n’ai jamais abandonné la défense de ce vin largement et injustement méprisé.
    Egalement en tant qu’ancien vendeur de vins du Pays Nantais.

    Dans la même tentation d’aller vers des styles de vins plus consensuels on a eu également des tentatives d’introduction du Merlot du côté de Bourgueil…Tentatives fort heureusement repoussées.

    On peut hélas depuis plusieurs décennies souligner le rôle néfaste de la plupart des opérateurs du négoce en Nantais. Ce ne sont plus les mêmes aujourd’hui mais les tentations n’ont pas changé.

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  3. Jim Budd

    C’est évident que INAO a déposé son bilan en ce qui concerne la typicité, la tradition etc… Maintenant, c’est la puissance politique et commerciale qui compte. Olivier Cousin avait raison.

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  4. saintphilbert

    Précision importante : les 10% de Chardonnay, cela ne concerne que l’appellation régionale « Muscadet » (les bouteilles qu’on trouve tout en bas de rayon dans les supermarchés). C’est à dire que « Muscadet de Sèvre et Maine », « Muscadet des coteaux de la Loire » et à plus forte raison les dénomination géographiques complémentaires (Clisson, Gorges…) ne sont pas concernés : ils restent 100% melon de bourgogne obligatoire.

    Et bien sûr pour l’AOC régionale « Muscadet » les 10% ce n’est pas une obligation : juste une possibilité.

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  5. saintphilbert

    Je pense qu’on est à peu près d’accord sur l’inutilité de la mise en place d’un cépage accessoire en AOC Muscadet (et même si l’assemblage Chardonnay-Melon : le Chardet des frères Couillaud est un joli succès commercial) mais une question me turlupine :

    Par curiosité, pourquoi réagissez-vous au Chardonnay comme cépage accessoire dans l’AOC régionale Muscadet alors que je n’ai entendu personne râler sur les cépages accessoires Chardonnay et Sauvignon dans l’AOC Anjou blanc, sur les cépages accessoires Colombard et Ugni dans l’AOC Bordeaux Blanc ou même le Pinot blanc comme cépage principal (et même pas « accessoire ») dans l’AOC Bourgogne…

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  6. Jim Budd

    ‘Par curiosité’ – OK j’ai pas verifier mais je pense dépuis la creation de Anjou Blanc (14.11.1936) etc il y a toujours le possibilité d’avoir un peu de Chardonnay/Sauvignon Blanc en Anjou Blanc.

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  7. Éclairage porté par Romain Petiteau,
    vigneron en Muscadet Sèvre et Maine (www.tourlaudiere.com) :
    (copié-collé depuis ma page Facebook)
    « La finalité vendue aux vignerons est de pouvoir obtenir des financement a la replantation en aop. Ce qui demande obligatoirement un changement de cépage.
    Le Melon Gris variant pigmentaire pourrait être éligible mais n a pas encore été assaini de viroses. Le but réel de l implantation du chardonnay en aop est de contrer la baisse des surfaces de melon qui menace les appros des grandes maisons de négoce.
    Les surfaces en igp deviendront de fait aop et remettrons en cause les efforts de restructurations obtenus dans la douleur pour bcp de petits proprietaires recoltants ou non.
    Pour information un hectolitre de Muscadet sur Lie déclassé en vin de France car invendu en tant que tel fin décembre de l année suivant la recolte se négocie a 50 euro en conventionnel.
    C est plus de 50 % inférieur au coût de reviens en conventionnel. Augmenter les surfaces aop alimente donc la pression sur les producteurs.
    Par ailleurs un très grand nombre de producteurs sont aujourd’hui assignes au tribunal d instance de Nantes.
    Les ventes que même l aop n ont pus garantir comme couvrant les frais de production et de subsistance des producteurs concernés ne sont pas exonérées de cette Cotisation Volontaire Obligatoire.
    Quoi d étonnant dans un vignobles oú les industriels ont toujours pris soins de commercialiser des vins spécialement médiocres les années oú les cours s améliorent… »

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  8. Merci Dominique, ceci éclaire le problème sous un jour nouveau! C’est donc juste une histoire d’aides aux replantations. Mais comment diable l’INAO peut-il suivre de tels raisonnements!
    Car nous en sommes déjà un pas plus loin, après que l’INAO ait donné son aval!

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  9. Adeline Brousse-Collette

    Il n’est et ne doit être de muscadet que de melon ! Et que du pays nantais ! Du chardonnay, j’en trouve dans le monde entier… Quelle bêtise cela serait de dénaturer un produit unique, quelles qu’en soient les raisons ! Tu as raison, Hervé… Comme d’hab.

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  10. Ping : Sauver le soldat Camembert, le vrai – Les 5 du Vin

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