Roussillon week (5): Rancios secs, commentaires et accords

Nous voilà au bout de la semaine spéciale vins mutés du Roussillon. On pourrait encore en parler pendant longtemps, on y reviendra très certainement.

Quant à moi, aimant particulièrement les accords, je vous propose deux séries d’alliances. On ne sait pas toujours quoi boire avec ce type de vins. Pour les VDN, pensez aux fromages, j’en ai déjà souvent parlé, ça marche, même très bien. Les Rancios secs sont  un peu plus difficiles à marier, mais remplissent un rôle incomparable dans quelques mariages souvent compliqués.

Présentation et accords

Marie-Louise vous a déjà mis l’eau à la bouche avec ses recettes catalanes et ses accords. J’en développe certains, j’en propose d’autres, histoire de croiser nos deux ‘papiers’ pour faire du Rancio un vin qui accompagne avec maestria bon nombre de repas. J’ai opté, d’une part, pour des accords maritimes et fumés pour le côté iodé du Rancio; et d’autre part, pour des fromages, pour le caractère grillé du Rancio. Nous avons aussi en commun deux ou trois cuvées, interprétées selon nos angles respectifs.

L’Ancêtre 2007 Rancio Sec Côtes Catalanes Domaine Fontanel

Son opalescente robe ambre roux attire l’œil, le nez a envie d’y plonger et ne se prive pas. Il en faut plusieurs, des plongeons, pour vraiment l’apprécier dans toute sa complexité. On hésite tout d’abord entre iode et caramel, puis entre fenugrec et liqueur de poire, ensuite viennent le poivre cubèbe et la réglisse, et puis, et puis, …Il est temps de le porter à la bouche. Celle-ci ne sait pas si elle détecte un relief tannique, mais relief il y a. Il offre une accroche délicate qui gratouille les papilles. Mise ‘à vif’ qui les met en condition pour repérer sans hésiter le caramel au beurre salé, ce goût d’algue sèche bien particulier, la salinité des embruns qui intensifie celle du caramel, un rien de salpêtre et de terre humide qui nous ramène au rivage. La longueur exprime en fraîcheur les notes fruitées épicées aux accents maritimes.

Avec les makizushi au thon et au saumon

Le Rancio regarde dubitatif l’alignement des makizushi. Son oxydatif caractère semble prendre ombrage d’un tel rangement. Jusqu’à l’instant où l’algue vient titiller le salin de son minéral. Le riz qu’il croyait étouffant se complet de sa fraîcheur sapide, duo frais aux inattendues envolées sucrées avec un croquant des plus intéressants. Arrivent le thon et le saumon, aïe attention au choc ? Pas du tout ! Le caramel iodé, les épices, leur font comme une panure de sésame. Le concombre se confit dans le goût de liqueur poivrée. Le gras du Catalan retrouve en fin bouche, l’agape japonaise avalée, le goût iodé des poissons gras, ça c’est encore plus sympa !

Avec un Banon fermier au lait cru

Ce délicieux fromage de chèvre au caractère affirmé se passionne pour le Rancio sec avec qui il se trouve d’emblée beaucoup d’affinités minérales. Elles évoluent vers le floral, les fruits secs, puis les épices. Mais, c’est avant tout un mariage qui déménage et impose sa force à chaque passage dans l’espace palatin qu’il aime décorer de poivre, de moka, d’un pavé minéral un peu rugueux.

Rancio sec Vin issu de raisins surmûris Domaine des Schistes

Ambre légèrement cuivré, un nez de foin chaud de soleil, de pain grillé nappé de miel de lavande, de racine de gentiane avec son accent terreux, de pâte d’anchois aux câpres, de gelée de rose, il y a de quoi respirer, voire se shooter…La bouche en écho offre le même déroulement aromatique, mais y ajoute une grosse pincée de sel et un élan vif au goût de citron confit avec l’amertume de l’écorce qui booste l’ensemble des fragrances. Un Rancio puissant qui reste en bouche longtemps. C’est la gentiane mâtinée d’un rien d’iris, léger parfum de poudre de riz, qui nous accompagne avec élégance mais fermeté.

Avec le flétan fumé

Ce poisson à la chair assez sèche se retrouve remplumé par le Rancio des Schistes. Une union qui apporte de la rondeur et diminue le caractère salin du poisson. Après ce rééquilibrage organoleptique, nos papilles peuvent sans obstacle apprécier les développements des notes iodées nuancées de traits de café et de fleurs sèches, c’est étonnant !

 

Avec le Munster

Une douceur de caramel se développe rapidement et met l’accord sous le signe de la gourmandise. Une fraîcheur bucolique vient équilibrer les velléités mielleuses. Les fleurs des prairies s’unissent aux algues pour élaborer un bouquet floral et aromatique où la dentelle amère et finement travaillée du Rancio sublime encore plus les parfums. Symbiose d’où naissent des senteurs mêlées de mélisse et de genévrier, de réglisse et de romarin, les fragrances de schiste délité se poivrent et offrent nos perceptions un substrat raffiné qui laisse en final une impression iodée.

Al Padri Rancio Vin de Pays de la Côte Vermeille L’Etoile

Ambre brun aux reflets verts, un nez très grillé de croûte de pain un peu brûlée, de fève de cacao torréfiée, de chocolat noir, de noix et de noisette rôties, avec des accents à la fois d’iode et de terre humide. Bouche surprenante qui donne l’impression d’avaler une gorgée d’eau salée, suivi par l’acidité d’un jus de citron, une entrée en matière vigoureuse. Les papilles un peu décontenancées retrouvent vite leurs esprits pour découvrir ce que le nez leur avait dit, un ensemble d’arômes qui tournent autour de la torréfaction. Un style de Rancio un peu différent qui se prête à d’autres accords.

Avec le tartare à l’huître et salade d’algues

Une recette de viande rouge iodée qu’on pratique en Belgique depuis de nombreuses années. Ça marche certes avec un whisky tourbé qui n’est pas vraiment loin des Rancio secs dans son approche grillée végétale. Le Rancio de la Cave de l’Etoile avec ses arômes torréfiés s’amuse avec la viande qu’il épice, rend plus goûteuse, affine, pour qu’elle soit encore plus réceptive à l’iode de l’huître. On relève le mélange de tabasco, d’un rien de basilic, pour avec le vin trouver l’accord à la fois superbe et original. Tout fonctionne, le Rancio fait merveille, remuant la viande pour en tirer tous les sucs et un subtil parfum de gelée de rose et pâte de coing.

Pour la salade, Al Padri offre d’élégante impressions japonaises, estampes aux parfums iodés légèrement caramélisés et poivrés.

Avec un Comté de 28 mois

Une impression forte et puissante fait décoller vers un nirvana inéluctable les papilles impressionnées par tant d’expressivité. Défilés de noix sèches, de noisettes et d’amandes grillées, de pâte de pistache, de moka, ensemble de parfums terrestres rafraîchis d’embruns iodés. Finale très longue et délicate.

Ce que le Comté affiné procure au Rancio, c’est une impression de ralenti qui décrypte la « bande son » des arômes, impression cinétique…

Macabeu Rancio sec Côtes Catalanes Domaine de Rancy

Ambré clair aux reflets verts, un nez qui mêle garrigue et algue marine, cacao et tige de livèche, épices orientales et nuances minérales, puis encore farine de sarrasin, pignons de pin grillés, cacao et chocolat amer, sans oublier le rancio, parfum particulier qui oscille entre la noix et l’anchois au sel. La bouche fraîche se rafraîchit encore de notes iodées et de quinquina. Le petit rêche, impression tannique, apporte du relief. Sapide et salé, ce Rancio est d’une grande élégance et d’une longueur époustouflante qui nous parle de notes de caramel salé, de noix, de noisette et d’amande salées.

Avec le saumon fumé

Une belle entrée en matière qui fait se rejoindre la terre et la mer. Le salé du saumon s’iode. Puis une poignée de fruits secs dégringole et se transforme en pâtes en noix et noisettes grillées, avec l’inattendu souffle frais des écorces de citron (même sans asperger le poisson de jus de citron) qui, de plus, ajoutent une fine amertume. Cette dernière sublime l’onctuosité du saumon. En fait une délicatesse au goût de réglisse et de caramel salé. Puis intervient le fenugrec qui semble venir d’au-delà de l’océan pour offrir à l’ébat un présent venu d’orient.

Avec le Reblochon

Le Rancio sec emballe le fromage, l’éclabousse d’embruns iodé, y plante ses fruits secs et confits. Le fromage, bonhomme, se laisse faire avec plaisir, puis évapore la brume maritime d’un coup de torréfaction. Les crèmes en fondent et se couvrent de citron meringué, vient le poivre qui les entraîne jusqu’à la grève danser le merengue.

MÉMOIRE (d’automnes) Vin de Pays de la Côte Vermeille Domaine de la Tour Vieille

Il a la couleur du tabac mouillé, luisant comme de l’ambre brun à la transparence verdâtre. Le nez torréfié rappelle le charme qui brûle dans l’âtre, les noix grignotées autour du feu, le sel des embruns, la pierre qui chauffe, le caramel des après-midis d’automne, le thé lapsang souchong dégusté à petites gorgées. Le charme se rompt en bouche. Les papilles s’attendaient à cocooner, les voilà surprises par la vivacité, la sècheresse du caractère et la force de l’esprit. Provocant, cet hidalgo les violente d’épices, d’iode et de réglisse, glisse sur elle pour mieux les emprisonner dans la gangue subtile de sa complexité. En un instant, les voilà soumises à ce bel amant.

Avec le Camembert

Un Normand égaré dans les P.-O. On lui avait raconté plein de choses à propos de ce Rancio à la peau ambrée. Sec mais suave, fier mais généreux, austère mais accueillant, de quoi faire hésiter ce dodu fromage au goût aillé. Le Camembert, bon garçon, imagine pourtant leur complicité, ail et iode, torréfaction mutuelle, caractère fort et tempérament capiteux, c’est un choc nord sud. La rencontre de deux âmes fortes qui trouvent rapidement un terrain d’entente, voire une complicité. Accord énergique qui mêle charnu crémeux et fraîcheur maritime, unit les fruits secs, accorde les textures pour en faire un velouté langoureux, souligne le fromage d’un trait amer de réglisse, arrondit le vin d’un coup de lait chaud. Du coup, une saveur presque sucrée envahit notre palais, comme si les excès de l’un et de l’autre s’étaient neutralisés pour ne garder que la quintessence, la subtilité. Le pied quoi !

Rancio sec Côtes Catalanes Domaine de l’Ou

Doré cuivré, un nez de chocolat au lait au thé matcha, de caramel aux algues, d’anchoïade à la menthe, d’oursin au miel de genêt, bref une série de duos terre mer. La bouche, bien salée, bien acidulée, met bien en exergue les arômes sentis, y ajoute du grillé, du poivre, beaucoup de poivre, et puis d’autres épices, muscade, cumin, réglisse avec une pointe d’anis. Une légère tannicité offre un relief tout aussi léger. Un Rancio raffiné.

 

Avec la truite fumée

Amusant cette amitié d’un vin aux allures marines pour un poisson de rivière. Le Rancio gomme le salin de la truite, accepte avec bonheur le goût de fumé, est ravi de l’onctuosité de sa chair qui vient arrondir la sienne. La subtilité du Catalan fait ressortir les arômes délicats de la truite. Une alliance qui offre un développement épicé des plus délicats aux longueurs infinies de poivre cubèbe, de fenugrec et de muscade.

Voilà quelques pistes d’accords inattendus.

 

La semaine vins mutés du Roussillon se termine… déjà. Nous espérons que les différentes approches vous ont donné envie d’en savoir plus, de déguster ces trésors, d’aller s’y balader.

À une prochaine au pied du Canigou…

 

Ciao

Marco

6 réflexions sur “Roussillon week (5): Rancios secs, commentaires et accords

  1. Olivier Savard

    Wow Marco quel bel article! Étant moi-même un grand amateur de tout de qui rancio, oxydatif, xérès, vin jaune, etc.. je suis vraiment content d’avoir découvert votre blogue!!
    Un des livres préférés de ma bibliothèque étant « Les plus grand Crus du monde » de David, je faisais une recherche il y a quelques mois quand je suis arrivé ici.
    C’est la première fois que je commente, mais cet article sur le rancio est trop délicieux pour rester muet!! Merci pour cette série sur ces vins sous-appréciés. Merci à votre capitaine Hervé et à tous les 5, vous produisez selon moi le meilleur contenu présentement sur le web et j’en suis très reconnaissant 🙂

    Olivier Savard

    Aimé par 2 personnes

  2. Nadine Franjus

    Très bon article, la description des accords est précise, didactique. On te suit Marc, moi j’ai l’impression de goûter avec toi. Merci, c’était délicieux. Seule, je n’aurai pas tenter de tels accords. Je suis un peu perplexe sur le tartare à l’huitre mais je crois que c’est la texture qui me retient. Trop mou avec un rien de visqueux. Il me faudrait un croquant avec.
    Par contre, je veux tenter le reblochon et danser le merengue!!!
    Intéressant cette semaine thématique. Merci les 5.

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  3. Nous essayons, nous aimons, et nous faisons ce qui nous plait tout en tachant de respecter les avis (raisonnables) et les différences de goût. Merci aux lecteurs de leur fidélité et de leurs commentaires qui engendrent souvent des discussions intéressantes. Et merci aussi à tous les bons vignerons sans lesquels nous n’aurons pas grande chose à dire.
    Hervé, tu n’aurais pas une petite blague pour clore cette belle semaine ?

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  4. Ping : Le lundi 8 novembre, c’est Be Ranci, à Perpignan – Les 5 du Vin

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