Sauvageons suisses

Rien n’est immuable, pas même la viticulture suisse.

Pourtant, vue de l’extérieur la Suisse semble aussi inébranlable que ses montagnes. C’est une vue un peu courte car tout y bouge, mais sans faire de vague sur les nombreux lacs. En voici un exemple frappant : l’association «Junge Schweiz – Neue Winzer» («Jeune Suisse – Nouveaux Vignerons»).

Fondée en 2010, celle-ci réunit une trentaine de vigneronnes et de vignerons de moins de 40 ans. De création zurichoise, au départ, elle était purement alémanique; mais progressivement, elle a accueilli des membres de toute la Suisse. Ils se réunissent une fois par mois et dégustent ensemble les vins de chacun. De plus, ils organisent régulièrement des événements autour du vin et participent à des salons professionnels. Les seuls mots d’ordre sont curiosité et ouverture d’esprit. Chacun d’eux aiment explorer d’autres chemins, d’autres voies, du coup, leurs vins n’entrent pas dans le schéma classique attendu au pays du rösti.

Nous avons eu le plaisir, Daniel Marcil et moi, de rencontrer huit d’entre eux lors du dernier grand Swiss Wine Tasting de Mémoire & Friends à Zurich, fin de l’année dernière. Pour l’anecdote, leur participation était annoncée dans la catégorie «Die Jungen Wilden », ce que les organisateurs ont traduit par «Jeunes Sauvages», était-ce un clin d’œil provocateur ou simplement une traduction aléatoire de type Googlelienne ? Il n’en fallait pas plus pour nous attirer, voire nous attiser.

Frais et dispo, à la première heure, nous avons attaqué notre marathon de dégustations directement par cette meute … En fait, nous y avons surtout découvert une bande de copains/copines prenant un grand plaisir à parler de leurs bébés (vins, bien sûr) et à nous les faire joyeusement déguster. Fait important à signaler, la très grande majorité de ceux-ci nous a conquis, il n’y avait rien à jeter, bien au contraire. Nous avons perçu chez chacun une approche originale et novatrice, totalement libérée des carcans que la tradition impose ; ce qui n’est pas peu dire en Suisse.

On vous en offre ici une belle petite brochette…

MATHIAS BECHTEL à Eglisau (ZH)

Pinot Noir 2017 Zurich AOC

Grenat clair, le nez fruité poivré avec des nuances florales de violette et de jasmin. La bouche propose ce petit caractère rustique que j’affectionne, tanins légèrement rugueux, note boisé patinée, épices douces, mais contrebalancé par un juteux frais et généreux.

Les Pinot noir poussent en coteaux sur les pentes raides des hauteurs d’Eglisau, petit village situé sur la rive nord et abrupte du Rhin, non loin de la frontière allemande. Élevage en barriques usagées.

Mathias Bechtel, originaire des Grisons, a fait son écolage à Changins, puis a rejoint la cave Pircher à Eglisau, histoire d’acquérir un supplément d’expérience avant de s’établir en 2015 à son compte dans la cave du Hangartner dans la même commune. Il s’est pris d’affection pour le Pinot Noir durant son séjour chez Pircher. Depuis, Mathias se passionne pour le cépage qui pour lui peut s’exprimer de moultes façons. www.bechte-weine.ch

ANNE-CLAIRE SCHOTT à Twann, lac de Bienne

Au départ, il n’était pas dans l’intention d’Anne-Claire Schott de devenir vigneronne, même si sa famille vivait de la vigne depuis le grand-père. Se définissant elle-même comme un « oiseau voyageur » elle n’aurait jamais imaginé revenir s’enraciner dans son village de Twann, sur les rives du lac de Bienne. Après le lycée, elle a fait des études de sociologie et d’histoire de l’art. Et c’est probablement sa passion pour l’art qui l’a amenée à changer sa vision de la viticulture. Ayant par la suite complété sa formation à Changins, elle obtient son diplôme d’œnologie et rejoint l’exploitation familiale. Aujourd’hui, c’est elle qui est aux commandes, ce qui lui a permis d’insuffler une toute nouvelle approche au domaine et ainsi de le convertir en biodynamie.

Sa grande fierté s’est concrétisée dans une nouvelle collection intitulée « Aroma der Landschaft ». C’est une vision très conceptuelle du terroir puisque pour celle-ci elle n’a sélectionné que les vignes qui poussent le long des murs de pierre.  Il y règne un microclimat réellement particulier et les raisins ont une maturité plus précoce. Six cépages sont concernés par cette approche et sont tous vinifiés ensemble en œuf béton ; le résultat est d’une grande complexité.

Sa démarche jette un pont entre l’art, l’histoire et la viticulture ; cela lui procure une force créatrice instinctive au service de vins uniques. A ce sujet, nous lui laissons la parole : « Pour moi, la création d’un vin peut être comparée à la création d’une image. Toutes deux montrent des visions différentes de notre culture. Il n’y a pas deux fois le même vin, ni deux fois la même œuvre d’art« .

BLANC Orange 2018 Bielersee AOC

Petite précision quant à l’intitulé qui semble brouiller les pistes, BLANC est le nom de la cuvée et Orange est sa couleur. Ce vin ne se déguste pas, il se visite. Il nous offre une étourdissante fusion mariant le collage au pointillisme ; comme une plongée au cœur d’un millefeuille de pétales superposés, au fond duquel scintillent une myriade de petits éclats éphémères rappelant ceux qui dansent sur le lac de Bienne au soleil couchant. L’instant d’après, les rôles basculent, c’est le vin qui nous visite. Par la subtile magie de ses arômes, de tendres réminiscences d’une lointaine enfance remontent alors à la mémoire : le pain grillé sur la fonte brûlante du vieux poêle à bois, le beurre frais qui se liquéfie à son contact, les pâtes de noisettes et d’arachides goulument tartinées, la marmelade d’agrumes et le sourire de grand-mère. Ce vin orange nature n’est pas un extraterrestre mais plutôt un ultra-terrien, sa finale nous dépose doucement sur un filet presque tannique, comme un rappel de la pierre d’où il est né.

Assemblage à la cueillette de Chasselas, Pinot Noir, Pinot Gris, Chardonnay, Sylvaner, Sauvignon  www.schottweine.ch

ÉTIENNE JAVET à Lugnorre (FR)

aime terre Pinot noir de la Chamba 2017 Vully AOC

Rubis clair, il s’offre fruité, notes aériennes de griotte à la violette, de groseille à la menthe et de fraise au poivre. La bouche bien nette fait d’emblée saliver, sapidité encore intensifiée par l’impression saline. Les baies croquent et libèrent leur jus gourmand.

Élevage en barriques.

Or du temps Blanc de Chasselas 2018 Vully AOC

Jaune intense, il flatte le nez par ses senteurs de fruits confits où se reconnaissent autant les agrumes que les fruits blancs. Une corbeille riche et bien épicée. La bouche suit le mouvement et dessine les arabesques fruitées sur la texture au léger relief tannique. Aux citron, mandarine, poire et coin auxquels s’ajoute le trait amer de la noix verte et une pincée de sel. Un vin à la fois minéral et élégant.

Le Chasselas macère 4 mois en barriques à la fois neuves et de 1 à 3 vins.

Étienne après un long parcours scolaire, études linguistiques, apprentissage de la viticulture, école d’ingénieur et autres, a repris le domaine familial de 5 ha en parallèle avec sa vie estudiantine. Il a été le premier de la famille à faire du vin, première en bouteille en 2002. Culture en biodynamie sur les rives du Lac de Morat.  www.javet.ch

MATHILDE ROUX à Fully


Mathilde Roux est originaire du sud des Côtes de Rhône et plus précisément de Gigondas. Sa passion vinicole remonte à très loin, la piqure provient sans doute de ses parents, eux-mêmes producteurs.

Elle est bien déterminée et s’en donne les moyens, elle suit donc une formation à l’école d’agronomie de Montpellier où elle obtient un Master ainsi qu’un diplôme national d’œnologue. S’enchaînent alors de nombreux stages dans plusieurs vignobles de renom à Châteauneuf du Pape, à Tain l’Hermitage et dans le Vaud en Suisse, sans oublier ses visites d’études en Nouvelle-Zélande et Afrique du Sud. En 2016, c’est le grand saut, elle reprend la cave de Gérard Roduit à Fully dans le Valais et la rebaptise « Cave de l’Orlaya », du nom de la délicate fleur qu’elle affectionne particulièrement et qu’on peut observer dans la réserve naturelle des Follatères. Elle dispose maintenant d’un joli domaine de huit hectares composés de 80 parcelles ; ce véritable patchwork accueille les principaux cépages valaisans avec une belle proportion de vieilles vignes. Depuis qu’elle a pris les rennes du vignoble, la conversion vers la biodynamie s’installe progressivement ; un premier essai a été mené en 2018 sur un hectare et en 2020 ce sont trois nouveaux hectares qui en bénéficieront.

Pour l’heure, c’est la

Petite Arvine 2018 Valais AOC

qui nous a séduit, alors parlons-en.                                                                                   Elle se pare d’une lumière dorée avec un petit reflet vert bien aguichant, tandis que son panier généreusement garni laisse voir de beaux fruits mûrs. Abricots, pêches, mangues et agrumes enchaînent une farandole virevoltante. Décomplexée, la matière ne cache pas sa rondeur et sa franche opulence car le tonus est soutenu, l’acidité apportant sa vivifiante contribution ainsi qu’une jolie petite note saline en finale. La partition s’exécute avec élégance, le ballet est parfaitement orchestré, le plaisir est au rendez-vous.  www.orlaya.ch

NICOLAS CHESEAUX à Saillon (VS)

Petite Arvine Saillon Grand Cru 2017 Valais AOC

Une jolie robe doré vert qui hume la menthe et la pâte de nèfle avant de respirer les agrumes et le floral d’un genêt. La bouche surprend par son relief tannique, certes léger, mais bien perceptible. Cela ajoute caractère, structure et fraîcheur au vin dont la longueur épicée et fruitée témoigne de son potentiel.

Un Grand Cru ! Cette notion est née dès 2004 en Valais, mais a vraiment pris effet en 2011. Elle répond à un cahier des charges strict où seuls sont autorisés les cépages autochtones et traditionnels du Valais. Les vignes doivent avoir plus de 8 ans, rendements inférieurs à l’AOC, … Et répond en plus à Saillon au réseau agro-environnemental (RAE) qui met en exergue e respect de l’environnement.

Diolinoir Sans soufre ajouté 2016 Valais AOC

Grenat pourpre, il préfère les épices avant le fruit qu’il cède au travers d’une délicate volute fumée. Mais c’est la bouche qui interpelle le plus. Vraiment fraîche sans être acide, elle déploie une opulence tout en gardant son caractère aérien. Les tanins soyeux possèdent cette texture gaufrée qui caresse les papilles avec grâce et volupté. Un vin actuel qui se boit dès aujourd’hui tout en offrant un joli potentiel de garde.

Élevage de 12 mois en barriques neuves.

Nicolas a repris en 2011 l’entreprise familiale fondée en 1981 par son père. Il s’est formé à la viticulture à l’école de Changins. Le vignoble s’étend 7 ha. www.corbassiere.ch

YANN COMBY à Chamoson (VS)

Petite Arvine La Tsoume 2018 Valais AOC

Le blanc vert de la robe nous dit fraîcheur, le nez floral teinté d’agrumes ne dément pas, la bouche confirme par ses notes acidulées. Mais la vivacité se partage avec l’ampleur et le soyeux de la texture, texture qui se tend encore grâce au grain tannique qui hérisse subtilement les papilles. Cet équilibre particulier nous fait penser à une sphère pointue qui ne manque pas de potentiel.

Cette Petite Arvine en dehors des classiques sec-sec est élevée sur lies totales pendant 9 mois et mise en bouteille non filtrée.

Cornalin La Crête 2018 Valais AOC

Il brille comme une améthyste et hume la griotte et le cassis relevés de poivre noir. La fraîcheur buccale nous éveille dès la première gorgée et met bien en évidence les fruits à noyau dont la chair veloutée nous enchante. Et puis, il y a ce trait d’amertume au goût de quinquina qui souligne les baies. Le léger toasté fumé qui vient flouter les nuances pour en faire un camaïeu rouge des plus élégants.

Élevage 9 mois en barriques non neuves.

Yann, c’est la troisième génération sur le domaine fondé en 1962 par Louis Comby son grand-père. D’abord attiré par la mécanique, il a préféré bifurquer vers la viticulture et a poursuivi une formation ES à l’école de Changins. Respectueux de l’environnement, il adhère au cahier des charges de Bio Suisse qui a pour vocation de recréer un habitat diversifié au cœur du vignoble pour la faune et la flore. Passe en bio. www.comby-vins.ch

SANDRINE CALOZ à Miège

La Cave Caloz est une exploitation familiale de 6 ha sur les coteaux bien pentus de Sierre, créé en 1960 par Fernand Caloz (le grand-père). Très vite, il comprit que pour élaborer des vins de qualité, il devait avoir le contrôle sur tous les paramètres. Ainsi, il démarra la mise en bouteille au domaine en 1970, ce qu’on appelle ici « l’encavage ».

Plus tard, en 1987 les parents de Sandrine (l’ainée des quatre filles) reprennent l’exploitation à leur compte et poursuivent le travail de qualité entrepris par Fernand. En 2013, Sandrine fraîchement diplômée ingénieur-œnologue rejoint alors ses parents dans le développement de la cave et s’investit à fond dans la reconversion du vignoble en bio. En peu de temps, la jeune Sandrine imprègne sa marque. Pour preuve, en 2019, elle a été nommée Vigneronne Bio Suisse de l’année. Même le célèbre Wine Advocate parle d’elle en termes des plus élogieux : « Parmi tous les nouveaux et jeunes producteurs que j’ai rencontrés cette dernière année, Sandrine (Caloz) est la découverte la plus excitante. Ses vins sont subtils, peaufinés et pleins d’énergie et de personnalité ». Le vignoble accueille aujourd’hui une quinzaine de cépages, son climat est réputé chaud et sec, mais malgré tout Sandrine parvient à mettre au monde des vins élégants, à la fois généreux et sans lourdeur.

Intéressons-nous à sa

Marsanne Vieilles Vignes des Clives 2018 AOC Valais

Première impression au nez c’est l’exubérance du fruit, dans un premier temps on croirait presque qu’il s’agit de viognier tellement le vin est complexe et enjôleur. En bouche, le ravissement se poursuit, son volume est majestueux, son gras nous tapisse le palais en profondeur, il nous habite totalement. Les saveurs glissent sur cette texture soyeuse ; une espiègle note anisée s’amuse à faire cache-cache pour chaque gorgée qu’elle accueille. Ainsi, elle apporte sa contribution à la fraicheur de l’ensemble de manière enjouée.

La vendange de cette vieille vigne de Marsanne (plus de 60 ans et taillée en gobelet) a bénéficié d’une fermentation en levures indigènes et d’un élevage sur grosses lies de manière à préserver son intégrité aromatique et favoriser la complexité. Bravo, on en redemande ! www.cavecaloz.ch

ROMAIN CIPOLLA à Raron (VS)

Pinot Noir Bieltin 2018

Grenat violacé, ce PN est facile d’accès, mais loin d’être quelconque. Déjà le nez nous ravit par ses senteurs de framboise et de fraise qui donne l’impression de pousser dans un sous-bois aux notes fraîches d’humus. La bouche enchaîne avec une très agréable tendreté des tanins dont la trame serrée libère un jus acidulé. Celui des baies senties auquel s’ajoute celui de la griotte. L’ensemble lié par une résille grillée toastée qui renforce sa personnalité.

Bieltin est le nom de la parcelle où pousse le Pinot Noir, situé à St German à 700 m d’altitude. Le sol y est calcaire et les ceps s’y serrent. Macération pré-fermentaire à froid de 14 jours suivit de 3 remontages par jour lors de la fermentation alcoolique en cuve inox. Élevage de 12 mois en barriques non neuves. Fermentation malolactique en barrique.

Romain, d’origine fribourgeoise, s’est pris d’amour pour le vin quand, au temps du collège, il dégustait entre copains. Cette jeune passion l’a mené à la HES en œnologie à Changins, avant de se lancer en 2014 dans la création de son propre vignoble dans le Haut-Valais. Il y exploite aujourd’hui un peu plus de 3 ha dont la majeure partie en location. Parcelles réparties sur St. German, Raron et Visperterminen où les pentes dépassent facilement les 30%. www.weingut-cipolla.ch

« Désormais, il ne faut plus prendre l’Helvétie pour des gens ternes »

www.jsnw.ch

Tschüss

Marco et Daniel

 

 


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