Cépage identitaire de la Savoie, la Jacquère ne joue pas (encore?) dans la cour des grandes variétés internationales. La faute, d’abord, à une foule de vins peu expressifs, tout juste bons à abreuver la clientèle captive venue goûter les joies de la glisse. Pourtant, à l’image de son voisin le Chasselas (alias Fendant), ou encore de son cousin le Muscadet (alias Melon), la Jacquère, à rendement maîtrisé et à vinification soignée, est un bon révélateur de terroir ; mais aussi, par sa plasticité, un bon révélateur de vignerons.
A notre demande, le Comité interprofessionnel des Vins de Savoie a réuni 66 de ces Jacquère, venues de tous les coins de la région, et Marc et moi les avons dégustées à l’aveugle, en l’agréable compagnie d’Evelyne Léard-Viboux (Le Dauphiné Libéré) et de Thierry Joly (La Vigne, V&S News).
Vos dégustateurs au pied du Granier
Passé un court temps d’adaptation (la Jacquère s’impose rarement au palais, à l’inverse d’un Gewurztraminer, d’un Sauvignon ou d’un Muscat, ou même d’un Chardonnay, il faut souvent aller à la recherche de sa subtilité), nous avons moissonné une belle récolte de coups de cœur que nous allons partager avec vous.
Certains proviennent de domaines déjà bien connus (au moins de ceux qui s’intéressent à la région), d’autres sont issus de nouveaux noms – la Savoie attire en effet depuis quelques années pas mal de néo-vignerons. La relève semble assurée et apporte parfois un nouveau regard intéressant. Il est symptomatique de constater que les «néos» croient dur comme fer dans la Jacquère, au moins autant, parfois plus que les Savoyards de vieille souche.
Les crus dégustés
De A comme Abymes (15 échantillons) et Apremont (29 échantillons) à J comme Jongieux (3), en passant par Chautagne (1 vin) Chignin (10) et Cruet (3), nous avons fait le tour, ou presque, des crus de Jacquère de Savoie. Ajoutons, pour faire bonne mesure, une demi-douzaine de Savoie sans cru (qui n’ont d’ailleurs absolument pas démérité).
Les crus du département de la Savoie
Cet aspect terroir sera développé dans quelques jours par notre ami Marc.
En attendant, une remarque personnelle, d’ordre esthétique: adossés en coteaux aux barrières rocheuses qui veillent sur la Combe de Savoie et le Lac du Bourget, les vignobles du 73 sont un régal pour l’oeil.
Savoie (sans nom de cru)
Blard & Fils Savoie 2019
Premier vin dégusté, premiers émois, tout en délicatesse. Du tilleul, du miel, et de la poire Williams au nez ; en bouche, on part plutôt vers le coing; légère note d’évolution et bel amer en finale
Blard & Fils Savoie Lébraz 2017
Anis, violette, réglisse, fruit confit, amande fraîche, guimauve, continue en bouche, vif salin, mais pas mordant, racé, élégant. Sélection parcellaire.
https://sites.google.com/site/blardetfils/
Cave du Prieuré Savoie 2019
Pomme verte et citronnelle au nez ; bouche alerte, mais une certaine onctuosité en finale. Loyal, marchand… et plaisant.
https://www.caveduprieure.com/
Domaine de Chevillard Savoie 2018
La mirabelle et la gentiane du nez sont suivies par une bouche qui allie du fruit mûr, de l’anis et du miel d’acacia. Mais le tout, loin d’être lourd, reste, subtil, élégant. Ce domaine, que nous avons pu visiter par la suite, excelle aussi en rouge.
https://domainedechevillard.com/
Abymes
Abymes Domaine des Anges 2018
Très original avec ses notes exotiques de mangue et de pamplemousse rose ; la bouche ajoute de la gentiane, de la poire et un poil de fumé. La finale entre le salin et l’amer revient sur la gentiane – pousserait-elle sur le mont Granier?

http://fr.domainedesanges.com/
Domaine de la Violette Abymes 2019
Le nez nous offre de la groseille, de la fraise, et sans jeu de mots, de la violette. La bouche est charmeuse, le fruité et le gras rencontrant la vivacité. Une pointe de sel très appétante en finale.
http://www.domaine-de-la-violette.com/
Domaine de Chevillard Abymes 2018
La pomme et l’abricot, assez discrets au nez, se renforcent en bouche d’un trait de citron. Encore un beau potentiel.
Domaine Cartier Abymes 2019
Qui a dit que la Jacquère n’avait pas de nez ? Celle-ci nous régale de pêche, de rose ancienne, de patchouli ; en bouche, une fois passé le léger gaz, déboule du citron et des notes de pierre à fusil ; jolie équilibre entre le gras et la vivacité.
Adrien Vacher Abymes 2018
Angélique, citron et cédrat au nez, un étonnant mélange de souplesse et de nervosité en bouche, voici un joli coup à boire (avec modération, sans aucun doute, mais non sans délectation).
Philippe & Sylvain Ravier Abymes 2018
Vous les aimez vifs, tranchants et salins, vos Abymes ? Celui-ci est pour vous ! Le 2019 était très bien aussi, dans une version un peu plus fruitée et confortable.
NB. Nous avons retrouvé avec plaisir les vins de ce producteur hier, lors de l’événement du Club Vignobles & Signatures organisé aux Armes de Bruxelles.
Apremont
Jean-François Maréchal Apremont 2019
Très joli nez de pomme, de pêche et de mangue ; la bouche reprend la pêche à laquelle se mêlent le poivre et le zeste d’orange. C’est à la fois frais et gourmand, une belle acidité tranchant dans le fruit juteux. « On dirait le Sud, la finale dure longtemps… ». Le Sud de la Combe de Savoie, en tout cas.
Domaine des 13 Lunes Apremont 2019
Ici encore, étonnant attelage du vif et du doux : l’acidité du citron, l’amertume de son zeste, mais aussi le confort d’une texture qui fait penser au toffee. Belle salinité en finale. On ne s’ennuie pas avec ce vin qui, toutes les 10 secondes, vous prend à contrepied. Et si vous passez au domaine, comme nous, n’oubliez pas les rouges.
Philippe Viallet Apremont Château d’Apremont Cuvée Spéciale 2019
Les belles épices du nez (curcuma) et de la bouche (poivre), mêlées au citron confit, donnent à ce vin un petit air d’Orient. Sa pointe de pierre frottée, elle, est bien savoyarde. Jolie tension. Une rareté: c’est une des quelques parcelles d’Apremont à ne pas se trouver sur les éboulis du glissement de terrain de 1248, mais sur des schistes du Crétacé.
Domaine Les Rocailles 2019
L’Apremont comme on l’adore, floral (violette, anis), fruité (pomme, citron), vif et réglissé. Un vin plaisir.
Mireille & Michel Cartier Grande Réserve 2019
Citron confit, ananas, le nez est exubérant ; la bouche reste dans l’exotique, avec de la papaye et de mandarine, mais soutenues par une belle acidité. Impressionnant.
Michel & Mireille Cartier, Le Puits, Chapareillan, Tél: +33 4 76 45 21 26
Philippe & Sylvain Ravier Apremont Clos Saint André 2018
Une impression de plénitude, d’équilibre ; citron, réglisse, mélisse, un vin tout en délicatesse.
Guillaume Pin Apremont 2019
Peut-on être droit sans être austère, tranchant sans être mordant? Oui, semble nous répondre Guillaume Pin avec cet Apremont finement ciselé, qui nous offre des notes de reinette, de mandarine et de citron, un poil de gaz carbonique en rétro et aussi un peu de gras pour habiller sa silhouette élancée.
Domaine Guillaume Pin, Le Gaz, Apremont tél: +33 4 79 44 43 84
Jean-Claude Masson Apremont « Mé Kouilles » 2017
Après quelques années, les bonnes Jacquères gagnent en expression, comme celle-ci, qui se dévoile sans pudeur et nous offre un… nez éclatant de mirabelle ; on la retrouve en entrée de bouche, mais rapidement, c’est le côté minéral qui prend le relai, le vin devient plus austère, plus droit, plus cistercien ; pourtant, avec sa pointe de sel et son fruité frais, la finale retrouve des accents joyeux. Il y a plusieurs vins, successifs, dans ce vin, et pourtant, il n’a rien de dissocié.
Jean-Claude Masson Apremont Cuvée La Déchirée 2018
Effectivement, ça déchire! Quel tranchant! On aime aussi ses notes d’herbes sauvages et d’amandes fraîches au nez, et sa touche beurrée en bouche. La finale est particulièrement sapide. Pour mémoire, j’avais déjà adoré le millésime 2015.

Chignin
Denis & Didier Berthollier Chignin Vieilles Vignes 2019
La rose et la pêche au nez promettent une bouche confortable; promesse tenue, mais épicée de poivre blanc, et vivifiée par l’acidité d’agrumes.
André & Michel Quenard Chignin Vieilles Vignes 2019
Un nez d’abord discret qui se développe dans le verre (anis, violette, pomme); la bouche est gourmande, avec des notes de rose et de litchi.
Jean-François Quénard Chignin La Déroutante 2019
Un côté beurré, des notes de camomille, pas mal de gras, on penserait presque à un Chardonnay. Mais quelques notes citriques, un poil de gaz et une belle salinité en finale nous ramènent au pays de la Jacquère.
Jongieux
Eric & François Carrel Jongieux 2019
Quelle explosion d’arômes! – pêche, abricot, poire, mandarine, c’est tout un panier de fruits. La bouche, elle, est élégante, poivrée, sapide, la finale pointue comme un silex.
En résumé
Beaucoup plus de diversité qu’attendu de cette Jacquère qu’on présente souvent comme neutre et sans relief (un comble, pour un cépage montagnard!).
Nous avons pu non seulement discerner l’influence des expositions, mais également celle des vigneronnes et des vignerons.
Il y a toujours des Jacquères faciles, «easy to drink», comme on dit Outre-Manche, et c’est très bien, il en faut. Mais il y a aussi, et c’est encore mieux, des Jacquères complexes et ambitieuses.
Sortez des sentiers battus !
Pour terminer, je ne résiste pas au plaisir de citer le commentaire de ma consoeur Valérie Faust, du Figaro, à propos de l’excellent Abymes de Philippe et Sylvain Ravier:
« Philippe & Sylvain Ravier 2019
Les Abymes, Savoie, blanc
Franc, net, pur, sans fards, après une attaque légèrement perlotante, il devient charnu puis se tend en finale qui appelle du gras (raclette).
Prix : 5,20 €.
Note Le Figaro : 15/20″
C’est plutôt flatteur, non? Oui, sauf la convocation de la raclette, qui pour moi, n’a pas grand-chose à faire là, vue que la raclette est valaisanne, et pas savoyarde, contrairement à la fondue. Et surtout, c’est bien dommage de limiter la Jacquère au seul ghetto des spécialités fromagères montagnardes. Le Chianti ne se boit-il que sur la pizza? Le Fronton sur le Cassoulet? Le Beaujolais sur la Rosette de Lyon? Le Bordeaux sur la lamproie? Le Sancerre sur le crottin de Chavignol ?
Les Apremont, les Abymes, les Chignin et autres crus de la Jacquère se prêtent à énormément d’accords gourmands, des fruits de mer aux poissons de lac en passant par la viande blanche ou le fromage (pas forcément fondu !). C’est justement cette polyvalence qui, pour moi, fait une bonne partie de leur charme. Alors, quittez les sentiers battus, osez le hors-piste!
Et puisqu’on parle de balades, une dernière photo avant de se quitter, pour vous inciter à visiter ce superbe vignoble.
Hervé Lalau
Les vins légers reviennent à la mode, même à l’apéritif et encore plus sur les crudités et autres salades estivales. Merci pour cet éveil à la curiosité. Au nombre d’échantillons présentés, on suppose que l’ensemble était bon, chacun dans son style. De très belles photos de paysages aussi!!!
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Si l’on veut parler de Jacquère, il faut aussi citer les Giachino de Chapareillan (Abymes), les acrobates de la Jacquère sous toutes ses formes, de la plus légère à la plus élaborée.
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Il n’y avait pas d’échantillons de vins de cette maison parmi les 66 que nous avons dégustés. Nous l’aurions fait avec plaisir, mais on ne peut exiger que tout le monde participe à ce genre d’opération.
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Ce soir, sur France 3, Des Racines & des Ailes nous parleront des terroirs d’excellence de Savoie.
Mais aucun vignoble n’est au programme.
La France, pays d’Evin?
https://www.francetvpro.fr/france-3/communiques-de-presse/terroirs-dexcellence-en-savoie-41881744
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Et oui, Mme Gaessler n’est plus fan de vignobles et elle confond terroirs et territoire…dommage.
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Superbe tour d’horizon, enveloppé par des montagnes accortes, dans ces vignes et ces vins qui vous ont réservé de belles émotions. Et quel challenge pour ces vignerons, qui ont hissé sur le devant de la scène des vins ravissants que nombre d’amateurs ont encore à découvrir.
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Je vous admire les gars. Chapeau bas pour ce travail, sincèrement. Perso je n’ai que rarement été séduit par des vins de cépage, mais j’avoue ne pas avoir réalisé un tel travail. J’ai même souvent pensé que le fait que les Savoyards aient réussi à empêcher les autres régions de ce pays de planter de la jacquère (chose aberrante en soi) était un acte de bienfaisance pour l’humanité ! Là, je pense m’avoir fait encore des amis….
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« Jolie botte » comme on dirait au fleuret, David.
Mais notre principal mérite a été d’en déguster beaucoup, de rester l’esprit ouvert et de trier.
A l’arrivée ce fut une très bonne surprise, très peu de mauvais vins, et un gros tiers de vins vraiment intéressants (Marc révélera ses favoris bientôt)
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