Je viens de terminer le petit livre de Laure Gasparotto intitulé simplement « Vigneronne » (208 pages, Grasset). Je connais une peu Laure, en tant que collègue journaliste et elle a eu la gentillesse de me l’envoyer.
J’avais essayé de lire deux autres de ses livres avant, mais sans arriver à les terminer. Cette fois-ci, je suis arrivé au bout. Il y a pas mal de choses à dire à propos de ce bouquin et de l’aventure personnelle qu’il raconte, mais, avant tout, j’ai trouvé très courageux de sa part de se mettre à nu (au sens figuré, bien entendu !) avec ses états d’âmes, sa naïveté (parfois), son enthusiasme et ses échecs, sans parler d’une partie de sa vie privée, afin de raconter sa brève expérience de néo-vigneronne (4 millésimes), partageant sa vie entre Paris (et ses deux jeunes enfants) et sa vigne et son chai dans l’appellation Terrasses du Larzac. Quand je pense à ce grand écart et à la détermination qu’il a fallu pour tenter cela, je suis béat d’admiration.
Je n’aime pas la couverture de ce livre qui ne correspond pas à son esprit. Cela fait bien trop dilettante, ce qui est très loin de l’engagement dans son projet qui transpire à travers les pages. J’aurai mis les deux mains de Laure sur la couverture : une main de vigneronne, bien noircie par le travail et l’autre manicurée avec les ongles vernies, car elle parle à plusieurs reprises de sa volonté de conserver des touches de fémininité malgré le travail manuel de quelqu’un qui fait tout, à la vigne comme au chai.
Comment résumer mes impressions ? C’est un livre honnête, mais un peu trop « chatty » (bavard) par moments; et aussi inutilement fragmenté en mille petit bouts remplis d’anecdotes. Si cela prenait la forme d’un journal, je comprendrais, mais c’est autre chose et c’est un peu agaçant à la lecture. Mais ce ne sont là que des critiques de forme car, sur le fond, j’admire beaucoup son courage d’avoir entrepris cette aventure, de l’avoir menée un certain temps malgré plein d’obstacles; et aussi d’avoir accepté, in fine, de l’abandonner. En tout cas, son récit est désarmant de sincérité et je conseille à quiconque envisagerait cette forme de « retour à la terre » de le lire. Pour éviter de répéter certaines erreurs, mais aussi pour s’inspirer du courage de cette femme.
Laure Gasparotto travaille depuis pas mal d’années comme journaliste du vin. En ce moment, avec d’autres collègues, elle est en charge de la section vin du journal Le Monde, qui est un des rares quotidiens en France à traiter ce sujet avec sérieux et cela, malgré un courant hygiéniste assez présent au sein du même journal (nous l’avons constaté à différentes reprises au sein de ce blog, il me semble !). Chapeau donc à cette équipe de mener le combat pour ce que nous aimons !
A la suite d’une séparation, Laure décide de changer de vie et d’acquérir un vignoble. Pour cela, n’ayant pas de fonds importants, elle lance une sorte de souscription auprès d’amis et de connaissances. Heureusement pour elle, ils sont nombreux et répondent favorablement à son idée. Mais la gestion d’une entreprise avec beaucoup d’actionnaires s’avère être une source de difficultés supplémentaires par la suite. J’ai trouvé la longue liste de ses amis et de leurs activités, dans la première partie du récit, un peu inutile; mais passons – c’est une façon de les remercier et cela est louable de sa part.
Il s’agit d’un autre vignoble que celui qui fut le sien, mais c’est bien dans l’aire des Terrasses du Larzac. La séduction du paysage a dû jouer un rôle dans le choix du lieu.
Ce qui me frappe le plus, c’est le degré d’improvisation qui semble avoir régné dans son approche initiale. D’abord, elle choisit un lieu très éloigné de sa résidence principale, Paris, où sont ses enfants. Par conséquent, elle doit effectuer des allers-retours permanents, en passant une semaine à chaque endroit par alternance, voire un peu plus dans le sud au moment des vendanges et de la vinification. Et, devant les difficultés de transports locaux entre la gare TGV de Montpellier et son lieu à la campagne, elle finit par se résoudre à faire le trajet en voiture (7 heures dans chaque direction). Elle n’a pas de logement permanent dans le sud et doit changer souvent entre chambre d’hôtes et location temporaire, tout en montant son chai dans un local vaste mais vétuste et y faire ses vins. Les parcelles ne sont pas bien grandes et la production est, comme partout, aléatoire, d’autant plus qu’elle décide de passer en agriculture biologique et n’a pas assez d’argent ou le matériel pour enlever les herbes par moment !
Le modèle économique ne semble pas avoir été très bien étudié au départ, d’autant plus qu’elle ne prend pas grand plaisir à la partie commerciale de l’affaire, une fois le vin disponible. Sans parler des impayés de la part de cavistes et restaurants, une des plaies de ce business. Aimer le vin ne suffit pas pour monter une affaire de ce type qui soit viable sur le plan économique et c’est la leçon qu’elle en retirera à la fin.
La réalité de cette vie de vigneronne est une épreuve à laquelle Laure ne semble pas très préparée. Elle en dit ceci : « Vivre à la campagne, c’est forcément ce confronter au poids de la vie matérielle. Et quand, en plus, on devient vigneronne, c’est le monde du solide, de l’imposant, qui s’affirme. Jusqu’alors, je ne vivais grosso modo qu’avec un crayon et un carnet pour travailler. Désormais, ce sont plusieurs tonnes d’appareils et de machines qui prennent place devant moi«
Elle parle aussi très librement de sa solitude et de ses moments de découragement, mais aussi de ses moments de joie dans cette nouvelle acticité. Elle est mue par une sorte de passion déraisonnable et, en lisant, je rentre peu à peu dans le jeu en espérant qu’elle allait s’en sortir, sans trop y croire car les obstacles étaient trop importantes. Son meilleur conseiller fut sans doute Jean-Pierre Coffe, un ami qu’elle décrit comme aussi fidèle qu’attentionné. Mais cela n’a pas suffit et, malgré la sage décision de réduire radicalement le nombre d’actionnaires et de tenter d’agrandir la production, elle décide au bout de 4 millésimes (2014 à 2017) de lâcher l’affaire, car elle sentait que cela la menait dans une impasse.
J’aime sa manière de gérer cela et de le vivre comme autre chose qu’une défaite. Je crois que cela s’appelle de la résilience. Voilà ce qu’elle en dit : « Quand j’ai vendu le domaine, beaucoup ont pensé que je me trouvais en échec, alors qu’il s’agissait pour moi d’une victoire : j’avais su traverser mon rêve et en revenir, sans me perdre. »
Laure a vendu ses vignes et son matériel sans difficulté, tant il existe un marché pour les néo-vignerons dans cette région. Espérons du succès au nouveau domaine qui s’appelle Le Chemin.
David Cobbold
Merci David. Intéressant! J’ai fait 12 vendanges dans le Sud (le Gard, rive droite du Rhône) dans un domaine de copains, où j’avais deux parts. On a tourné la page… me réjouis de lire le bouquin! Les parties de pétanque restent un excellent souvenir! Et je me demande souvent s’il faut tirer ou pointer…
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Merci David pour votre critique pertinente et sensible de VIGNERONNE. François Saïas a publié un retour dans Génération Vignerons où il mettait en avant un sentiment fort exprimé par Laure, celui de l’Imposture : « Je ressens à quel point je ne véhicule pas avec moi l’histoire suffisante, celle d’une ascendance locale séculaire, d’une sécurité de la permanence, qui rassurerait quiconque. » Ne suis-je pas un imposteur ? Cette question de la légitimité et de l’enracinement est bien réelle pour les néo-vignerons.
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Oui Jean-Philippe, c’est certainement un aspect important et que je n’ai pas relevé dans mon article : celui d’une « non-appartenance ». Je pense qu’il peut être partagé par bon nombre de nouveaux arrivants dans des lieux ou la tradition terrienne est ancrée dans des mutiples générations successives. En revanche, ce n’est pas du tout un problème dans les pays dits du Nouveau Monde. Je conseillerai à Laure de tenter sa prochaine aventure oenologique en Nouvelle Zélande, par exemple !
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En plus, ce sera plus facile pour s’occuper de ses enfants s’ils restent à Paris…
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Ben oui, bien sur.
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Sujet passionnant.
J’ai moi-même été à l’origine avec des copains(copines) de deux minuscules domaines comprenant des associés à la fois parisiens et locaux (important à mes yeux), d’abord en appellation Banyuls dans les années 90 puis plus tard toujours dans le Roussillon en Vin de Pays Catalan. La première, en association avec la petite coopérative L’Étoile sous le nom de Terra Vinya s’est achevée au bout de dix ans car nous étions trop nombreux en plus d’être en désaccord sur la fin, mais ce furent 10 années inoubliables avec trois superbes vins millésimés devenus rarissimes. La seconde, baptisée Puch (en partant de puig en catalan), à partir de 2009, avec seulement 6 « associés » (8 depuis peu) dont un jeune homme du vin local, tient encore grâce à la présence sur place d’un excellent vigneron voisin de nos vignes qui, dans le cadre de notre accord financier, accueille et surveille nos vins en plus de grattouiller nos terres.
Cette passion nous coûte et continue de rogner un peu de nos économies, mais elle est possible et excitante si l’on sait s’organiser en groupe soudé. On ne gagne pas d’argent, mais on s’amuse à la taille et aux vendanges entre autres. En plus, on achète nous-même notre propre vin, à un tarif préférentiel bien sûr. Pour finir, j’ai la prétention de me sentir à ma place : celle d’un journaliste curieux occasionnellement vigneron, mais sans prétention, car notre vin est à notre image : un vin de copains que nous vendons à son prix de petits rendements, que nous aimons et buvons à cœur joie !
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Bel exemple Michel mais tu énonces là le problème de fond : ce n’est pas rentable et donc ne fonctionne que dans un esprit de plaisir ou de loisirs. Je crois que Laure espérait autre chose de son projet, sans en être sûr. Quand on rajoute la distance dans l’équation, cela devient mission impossible. Ayant essayé de faire un vin au Chili (en y participant en tout cas), j’en sais quelque chose ! Heureusement que le Chilien était solide et n’avait vraiment pas besoin de moi, mais c’était plaisant à tenter et le vin est encore bon (je crois). Peut-être que nous partagerons un flacon avec un des tiens un de ces jours ?
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Cher David cher équipe 5 du vin, superbe exemple à expliquer dans les écoles pour viticulture, sommeliers et hôtellerie et restauration . A propos cher David, j ai commencé bien avec plaisir dans le livre de Harold McGee, Nose Dive. A traduire en français le plus vite possible. Sincère salutations Mike
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Le livre semble soulever une question de fond : le décalage qu’il peut y avoir entre un fantasme de nature et de vie au grand air, et la très dure réalité de l’activité agricole ou viticole.
On le voit tous les jours avec les procès d’intention faits aux rats des champs par les rats des villes, dont les délires de pureté quasi-religieux, souvent doublés d’arrogance, peuvent être déconcertants. (Est-ce que ça rejoint le « courant hygiéniste » ?)
On ne dira jamais assez non plus qu’un domaine viticole est une entreprise, qu’elle nécessite des investissements très lourds, des immobilisations sur plusieurs années, et qu’on ne peut se lancer là-dedans comme on monterait un business en auto-entrepreneur avec juste son ordinateur.
Il doit être aussi instructif que cruel de passer du rêve à la réalité comme l’a fait Laura Gasparotto, qui a, semble-t-il, un peu pêché par idéalisme. Mais rien de tel que de « mettre les mains dedans » pour savoir de quoi on parle.
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Ce soir Laure Gasparotto était l’invitée de la Grande Librairie. Belle promotion pour son livre.
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Oui, j’ai vu… Et je trouve qu’elle a bien expliqué sa démarche tout en mettant aussi l’accent sur une appellation qui m’est proche.
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