Retour sur Laurent Vaillé, Vigneron de l’Éternel

Les vignerons – ou vigneronnes, bien sûr -, vont et viennent. Avec ou sans succès, au fil des vendanges, essuyant tous les revers d’une passion, allant jusqu’au bout de ce que la force de l’âge peut apporter, ils sont obligés de quitter ce monde, un jour où l’autre, comme nous tous. Avec la peur au ventre, cette ennemie qui nous guette, nous tenaille et nous accompagne jusqu’au bout de nos maints (et vains…) efforts qui ne sont pourtant pas que physiques, mais spirituels aussi. Avec ce difficile questionnement multiple et éternel : que va-t-on laisser au bout du chemin ? L’oeuvre accomplie, celle d’une vie, sera-t-elle comprise par les autres ? Que va-t-il advenir de mon vignoble après toute cette vie de labeur ?

©MichelSmith

Jusqu’au jour où, pour les besoins d’un livre passé inaperçu (hormis pour quelques lecteurs-suiveurs que je ne remercierai jamais assez) se glisse un vigneron pas comme les autres, un de plus. Un personnage assez spécial celui-là. Spécial en ce sens qu’il ne voulait voir personne. Enfin, presque personne. Ce vigneron avec lequel je me suis offert beaucoup plus qu’une heure de complicité à chacune de mes visites est aujourd’hui disparu. Envolé le Laurent Vaillé qui depuis le début des années 90 se mettait à faire un vin en se fichant bien de l’appui des médias. Personnage étrange, sombre, timide, torturé, précautionneux en diable au point que, dix ans après une première rencontre, j’ai dû faire appel au piston d’un ami commun, Philippe Catusse, patron aujourd’hui du Chameau Ivre à Béziers, probablement le seul acheteur commercial du vin de Laurent, du moins à l’époque, afin d’obtenir son zéro-six. 

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Du côté d’Aniane, non loin de ces belles Gorges de l’Hérault, dans ce prometteur pays des Terrasses du Larzac, bien au nord de Montpellier, ses vignes voisinent celles d’un autre vigneron ultra sensible, mais bien plus bavard, aujourd’hui disparu, Aimé Guibert, du Mas de Daumas Gassac. En un rien de temps, le jeune Laurent Vaillé est vite devenu un mythe, une légende, au grand étonnement des observateurs de la chose du vin. Il est mort le vigneron, l’autre jour, à cinquante et quelques années sans que l’on sache ni pourquoi ni comment ce qui, après tout, correspond parfaitement au personnage. En fait, comme beaucoup de ses congénères, hélas, il s’est donné la mort emportant avec lui ses secrets. On dit que le silence est d’or… «Vigneron je suis, vigneron je reste, discrétion oblige», telle pourrait être son épitaphe !

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Franchement, je n’ai rien appris de plus que je n’en savais sur le vin après avoir longuement rencontré Laurent. Rien d’extraordinaire, rien de bien différent de ce que j’ai pu voir ailleurs chez d’autres vignerons des plus émérites en France, comme ailleurs. Juste un personnage de plus, une autre sensibilité, une fragilité, un beau sujet de portrait. Or, ses vins rouges et blancs (ces derniers étant plus rares), sont aujourd’hui en proie à une telle frénésie médiatique et spéculative que l’on se demande si certains ne tablaient pas sur sa mort prochaine.

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Ce qui m’a plu chez lui, c’est une forme de retrait, comme un artiste face au paysage. «En cave, disait-il, le plus gros travail consiste à ne surtout pas chercher à trop intervenir.» D’autres auparavant avaient dit la même chose. Ses vins, qui ne me bouleversaient pas outre-mesure, me rappelaient cependant quelques-uns des meilleurs de Châteauneuf-du-Pape, et c’est déjà pas mal. Puissants mais non sans finesse, tanniques non sans une certaine élégance. Avouons-le, autour d’Aniane, bien d’autres domaines avaient – et ont encore – ma préférence, mais c’est un autre sujet. Il faut dire que, comme notre ami David, j’ai toujours eu du mal avec les vins chers, très chers, d’où qu’ils viennent d’ailleurs. La Grange des Pères, désormais de loin le domaine le plus coté auprès des collectionneurs des crus du Languedoc, reste aussi aux yeux de nombreux amateurs un vin d’exception et c’est comme cela qu’il faut le prendre en essayant de faire fi des ses à priori.

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Au début, ses parents, Marie-Thérèse et Alain, transplantés du proche pays de Lodève jusque dans cette grange bénédictine de la plaine viticole d’Aniane (nous sommes entre deux grandes abbayes) n’ont probablement pas encouragé leur fils à devenir vigneron, eux qui livraient le fruit de leur récolte à la coopérative du pays. Mais Laurent, diplôme de kinésithérapeute en poche, songe vite à embrasser la vigne en suivant un BTS viti-œno à Montpellier avec pour but de reprendre la vigne familiale avec son frère Bernard . À 24 ans, il part pour un stage de deux ans au Domaine de Trévallon chez celui qui, depuis, deviendra son ami et mentor : Éloi Dürrbach. Puis il fréquente Gérard Chave en vallée du Rhône et file chez Coche-Dury en Bourgogne. «Éloi a été ma chance !» me lançait-il joyeusement une bouteille à la main, un tire-bouchon dans l’autre. Son premier millésime, exempt de Cabernet Sauvignon (qu’il plantera en 1994 en compagnie de la Syrah, de la Counoise, du Petit Verdot et du Mourvèdre – le chouchou – lequel occupe 40% des 13 hectares de vignes sur des terres classées AOP mais toujours revendiquées en Vin de Pays de l’Hérault) fut un surprenant 1992 tiré à 4.000 exemplaires qui, après un peu plus de dix ans de cave, se goûtait tout en tendresse, volupté en bouche, avec de fines notes d’épices et de truffe au nez. Depuis, 2 ha de Petit Manseng, Roussanne, Marsanne et Chardonnay sont venus s’ajouter au domaine. Adjugé à plus de 5.000 € le flacon (par iDealwine.com) en 2019, on pouvait se l’offrir à 18 € en 1994 à condition qu’il consente à vous en céder un carton.

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Tout était simple chez lui, mais tout était fait pour le confort du vin. Une cave creusée par son frère et associé, Bernard, «expert en travaux publics», achevée en 1999. Quelques cuves inox et quantité de barriques, l’oeuvre d’un jeune du pays, Meilleur Ouvrier de France installé à Pauilhan pour 30.000 bouteilles en moyenne de production. Ce qui suit est un court extrait de ce que j’écrivais après avoir goûté ses barriques une à une, sans oublier quelques flacons, dans les profondeurs de sa cave souterraine, froide et humide, où il m’entraînait un hiver de 2005 tel un bourguignon rusé. 

«Il semble vivre reclus au sein de sa famille qui lui sert des garde prétorienne, ne sort que pour une corrida, une escapade gastronomique ou une visite de courtoisie et de passion chez un confrère. Autant s’y faire, le patron de la Grange des Pères n’aime pas les lumières de la gloire. Plus discret que lui, tu meurs ! En partie caché par une casquette, son visage bagarreur paraît sculpté par le vent glacé qui soufflerait de l’Aigoual. Il a la gueule de l’emploi, celle d’un paysan. Aussi exigeant que son médiatique voisin du ruisseau de Gassac, intransigeant, énigmatique, Laurent Vaillé ne s’en laisse pas conter par les jean-foutre, les suffisants, les traîne-savates et autres incapables qui gravitent autour du vin. Quand finalement on le côtoie, il ne dira pas grand-chose. Mais si on le presse, une fois la glace brisée, il n’aura pas la langue dans sa poche. Ne cédant aucun pouce de son terrain, surtout à ceux qui savent tout, il ne se livrera qu’une fois la confiance bien établie, et encore… Pas les genre à faire des sourires, des courbettes, à se lancer dans de grands discours pour vendre un carton. Pas le genre à envoyer des échantillons à la presse vineuse.»

J’arrête là, car je suis déjà trop long et très certainement barbant.

Jeudi prochain, c’est Marie-Louise qui prendra le relais !

Michel Smith

PS J’en termine en vous recommandant la lecture d’un hommage touchant : celui d’un autre vigneron célèbre, Hervé Bizeul, qui livre une sorte de lettre d’un ami vigneron à un autre vigneron ami qu’il ne connaissait pourtant pas.

©MichelSmith

6 réflexions sur “Retour sur Laurent Vaillé, Vigneron de l’Éternel

  1. MARC TOUCHAT

    Tres joli portrait de Laurent VAILLE , pour avoir eut la chance de le rencontrer plusieurs fois, il m’a toujours impressionné …
    J’en garderai un merveilleux souvenir .

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    1. Bonjour, je suis comme beaucoup d’autres affecté par la mort de Laurent Vaillé et je viens de lire avec attention votre billet. Mais c’est la photo en bas du texte qui m’interpelle.

      Venez donc goûter nos vins et parler de luth avec moi si vous passez dans les parages.

      Philippe Martin, vigneron et luthiste.

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      1. Merci de l’invitation. Photo prise à l’Abbaye de Valmagne un soir de concert de musique ancienne dirigé par Jordy Savall. Elle symbolise, comme les autres photos de cet article, le repos de l’âme.

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  2. bOUTOLLEAU PATRICK

    Très bel hommage Michel tellement dans le personnage de Laurent , presque sur réel , sur réaliste , tu le connaissais bien , tes mots me rappellent mes rares rencontres avec lui , j’ai beaucoup écouté , compris aussi , sur le travail de la vigne le respect des grappes et l’échange qu’il avait avec la vinification , et ce silence solennel dans l’élevage barrique , que de bon souvenir . Laurent Vaille , Michel Pech Aube des Temps a l’époque deux Hommes deux parcours identique , merci a eux pour leur partage . Merci Michel pour ton bel hommage discret et sincère .
    Patrick et Danielle Boutolleau Domaine AURORE .

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