Mots, goûts et pragmatisme… Comment « dire » le vin ?

Suite à de récents articles sur notre blog dont celui, vendredi dernier, émanant du célèbre duo Nadine/Marco, sans oublier celui lundi de David sur les Bordeaux, je me suis embarqué dans une série de pensées (un peu vaines à dire vrai, pas très claires, je l’avoue) sur l’approche qui m’anime lorsque j’évoque le vin. Ce n’est pas pour attribuer des médailles, encore moins des bons points mais, après plusieurs années et des milliers de pages de lectures, je m’autorise une modeste analyse : j’aime la concision et la conviction de David et je reste plutôt bouche-bée face au descriptif pointilleux et poétique de Marco. Deux approches qui me paraissent heureusement différentes, approches qui viennent s’ajouter aux styles indéniablement journalistiques, parfois drôles et sarcastiques d’Hervé et de Jim ainsi qu’au professionnalisme sommelier et très descriptif de Marie-Louise. Quant à moi, il est temps de souligner que j’arrive un peu comme le cheveu dans la soupe : en effet, je m’auto-analyse grognon, brutal, désordonné, peu équitable parfois et souvent un peu trop enjoué ou trop catégorique. Plus diversifié que ça comme blog, avouons-le, ça ne doit pas courir les rues ! Tant mieux, car nous sommes ce que nous sommes, avec nos hauts comme nos bas et ce qui reste de positif, c’est que l’on sera toujours d’accord au moins sur un point : le vin c’est du ressenti. Comme la peinture, la musique, la littérature, le cinéma (j’en passe), le vin est une forme d’art à l’état pur, de l’art tantôt brut, tantôt sophistiqué, divin, maquillé, copié, tantôt purement et simplement raté. 

Le bon classique ©MichelSmith

Aussi, je dois dire que ce qui a joué dans cette réflexion m’est venu suite à l’ouverture d’un tour de vis de ma Manzanilla de Barbadillo bien frappée aux notes de café/noisette, de brindilles sèches en feu et de moiteur salée d’un bord de plage, tôt le matin, tandis que les bateaux au loin rentrent au port. Et avec ça une irrésistible envie de filets d’anchois à l’huile d’olive posés sur une biscotte largement beurrée. Arrive l’inévitable et lancinant moment du questionnement, du comment parler de tout cela, du comment être au plus juste, au plus près, sans pathos, comment aller plus loin, comment mieux parler du vin ? Il y a comme un air de déjà-vu, comme une vieille ritournelle des Moody Blues, dans cette série de questions puisque, mes camarades et moi, mettons des mots et arrangeons des phrases sur le vin depuis plus de 10 ans en fonction de nos états d’âmes, de nos goûts, de nos couleurs qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Pour ma part, j’ai retrouvé cet article qui date un peu, article long et alambiqué comme d’habitude, et sujet à caution, mais qui à mon avis colle toujours (en partie) au thème qui me turlupine et que je souhaite développer de nouveau. Bien sûr, depuis, j’ai bien le sentiment d’avoir vieilli ce qui explique peut-être pourquoi j’ai envie aujourd’hui de revenir sur ma façon de voir les vins.

D’un côté il semblerait nous ayons tous une propension à la dégustation savante, voire sérieuse, bien encadrée et, accessoirement sensorielle (les 3 «S») telle que pratiquée par mes éminents confrères déjà cités; de l’autre nous abordons épisodiquement des dégustations longues mais concises et bien renseignées, y compris le plus important peut-être : le prix. Peut venir ensuite l’envie d’une dégustation plus légère, un brin badine, plus décontractée pour ne pas dire brouillonne, mais efficace tout de même, c’est-à-dire convaincante. Convaincante, certes, mais  dans quel sens l’entendre ? Simple, facile à lire, sans mots savants bref, utile et capable de déclencher chez le lecteur lambda un intérêt certain. Lesquels de ces travaux d’analyses, de descriptions et de transcriptions, aussi réfléchis soient-ils, sensés, soignés, respectables et honnêtes arrivent-ils au but final que j’estime noble, celui de délivrer une bonne dose d’envie ? Là, je dois avouer que je sèche un peu face à cette question aussi inattendue que conflictuelle. C’est pourtant à mes yeux le nerf de la guerre, l’essence même de notre métier, du moins dans le temps bouleversant que nous traversons depuis l’an 2010, puisque le simple fait de poser cette question anodine nous dirige systématiquement sur le sujet courant, sujet abordé avec vous et qui consiste en fait à débattre sur les façons que nous avons de parler du vin. Ouf !

©MichelSmith

Je pense que réussir à faire désirer un vin, ne serait-ce qu’auprès d’un seul de nos lecteurs, devrait suffire à nous rendre heureux. Chaque approche, chaque méthode, chaque écriture est originale, certes, et c’est déjà un point d’importance sur lequel nous devrions tous, journalistes et par essence « informateurs », réfléchir de temps en temps. Avec pour mission principale, aller à l’essentiel. L’essentiel, c’est quoi ? C’est en fait dire que c’est bon ou pas bon ! Soit, mais encore ?

Puisque nous sommes tous ici un peu narcissiques (preuve en est !), que chacun de nous a cette liberté qui lui donne de l’espace pour rédiger en son nom propre et qu’en plus on cultive volontiers une forme d’entre-soi, je vais mettre mon grain de sel parlant de moi en disant de façon aussi nette que claire, même s’il m’arrive de me laisser prendre au jeu du passé, que j’en ai un peu soupé de ces longs descriptifs des vins pris un par un. Les commentaires qui les concernent, toujours à mon humble avis, n’engagent plus guère le sacro-saint consommateur à acheter à un tel point que ce dernier, me semble-t-il, se détache du vin préférant, hormis le cocktail qui défonce la gueule, l’eau en flacons chics, la bière, le soda et le jus de fruit du rayon bio. Qu’est ce qui barbe les gens quand on leur cause pinard ? Les descriptifs par trop lancinants sur les arômes (la cerise, le citron, la rose, la vanille bourbon, la glycine, le tilleul, la pivoine, le lilas…) que les lecteurs ne retrouvent pas forcément (manque de formation et d’éducation ?) dans les vins et qui apparaissent comme de simples mots jetés en l’air à la manière d’une contre-étiquette excessivement laudative. J’imagine qu’ils buttent aussi sur les sensations lorsque la longueur, l’épaisseur, la rondeur, la fraîcheur sont mises en avant. Ils tiquent encore sur la quantité de vins que, tels des ogres, nous engloutissons et qui, par la force des choses, complique l’envie qu’aurait le consommateur de faire un choix dans un commentaire beaucoup trop riche, détaillé et exhaustif, mais aussi parfois ardu. Quand je relis certains de mes commentaires, je plonge ma tête dans mes bras en me demandant comment le consommateur lambda pourrait-il être capable de faire un choix sur une vingtaine de vins décrits avec enthousiasme sur bien trop de lignes. Il est vrai que parfois, je ne puis m’empêcher d’en rajouter. C’est le fruit d’un enthousiasme par trop marqué.

Moi qui jadis était contre, je rêve de revenir à la simplicité d’une notation chiffrée (sur 10 ou sur 20 ou encore 100 pour les anglo-saxons) et je me dis qu’après tout, quelques mots, pas trop, devraient suffire du style «si j’étais à votre place, j’achèterais avec certitude ce vin, oui en grosse quantité, ou non, à moins que peut-être pour une occasion spéciale…, quant à cet autre flacon, je n’achèterai jamais». Ce qui explique, toujours à mon avis, que certains blogs professionnels et commerciaux, comme celui de l’ami Tim Atkin, fonctionnent sachant aussi que tout ou presque est commercial chez nos amis d’Outre-Manche que je salue au passage pour leur pragmatisme et leurs dons pour la spéculation ! Mais c’est une autre histoire puisque oui,  c’est certain, il y a entre nos pays respectifs des manières bien différentes d’approcher le vin. Question de culture… Pragmatisme, le mot est lâché. Et si nous manquions, nous les «spécialistes», d’un chouïa de pragmatisme ?

©MichelSmith

Voyons voir… À titre d’exemple, je vous propose de vous pencher sur trois vins que je déguste pour vous (comme pour moi !), des vins achetés en ligne dans la vraie peau d’un consomme/acteur avec mes propres deniers pour leur bon rapport qualité-prix, vu que je ne suis pas riche. Des vins d’été, bien sûr, arrivés en juin chez moi fort rapidement et dans d’excellentes conditions. Trois vins, trois ambiances pour passer la saison et plus dans le style fino : une manzanilla déjà connue, La Gitana, presque «ordinaire» (5,50 € sans le transport) mais appréciée pour sa régularité et son rôle efficace sur les crustacés; une autre, on ne peut plus classique, de marque Solear de la maison Barbadillo (un peu plus de 6 €); la dernière, avec une étiquette de Montilla-Moriles je dois dire inconnue à mon cerveau reptilien, mais semble-t-il assez bien cotée, du moins auprès de mon oracle Michel Bettanne, un expert, tout de même, vin choisi, avouons-le, à cause de son prix, un peu moins de 3 € (oui, vous avez bien lu !), le tout livré chez moi en ajoutant une trentaine d’euros pour le transport en tenant compte du poids et de la distance sachant que je suis désormais héraultais, donc pas très loin du magasin Grau qui me livre depuis son site en Catalogne. Pour ce dernier vin, je me disais « allons-y, je ne risque pas grand chose : si c’est pas bon, j’en ferais un vinaigre« . 

La surprise ©MichelSmith

Maintenant, à ce stade, soyons un peu plus précis : comment en parlerais-je sachant que les trois vins sont honnêtement bons ? C’est la question (le dilemme ?) que je me suis souvent posée pour moi-même, mais aussi lors de mes rares participations en vue d’attributions de médailles et autres concours pour lesquels le petit monde du vin s’extasie et qui fait le bonheur de la grande distribution. Eh bien, je dirai avec conviction de vous saisir sans attendre au minimum de douze bouteilles de Montilla-Moriles car, non seulement son prix est une invite, mais c’est une formidable découverte (pour moi qui suis toujours en retard), et c’est aussi un vin non exempt de finesse qui, mutage en moins, allège quelque peu l’expérience fino encourageant au passage les mariages coquillages, petits crustacés, poissons. Voilà, c’est tout et c’est déjà pas mal, non ? À moins de se prendre pour un respecté critique du Monde des Livres ou de Jazz Magazine et d’aller plus loin dans l’introspection… Ce dernier vin, compte tenu de son prix, je le mettrai en cave deux à trois ans, juste pour voir.

Soyons encore plus clair vis-à-vis de notre lectorat en affirmant que la plupart des vins que nous décrivons nous ne les payons que rarement. Je crois que cela change du tout au tout notre perception car, en agissant ainsi, nous ne sommes plus consommateurs acteurs et notre vison du vin en est quelque peu biaisée. On va me rétorquer que nous ne pourrions jamais nous payer les vins que nous nous offrons en dégustation. Certes, mais alors – en dehors de notre riche expérience du vignoble que nous devons aux voyages de presse toutes dépenses prises en charge – sommes nous de réels prescripteurs ? On va m’objecter encore que nous faisons profession de journalisme et que nous ne faisons en quelque sorte que rapporter ce que nous voyons et goûtons. Bêtes et disciplinés, en somme ! Alors qu’en réalité ce n’est que de la communication, de la pub pour une région, une appellation, un échange de bons procédés, certes émaillé de nos libres commentaires, mais des commentaires qui peuvent être sujets aux influences soit des vignerons eux-mêmes, de leur enthousiasme à « bien faire », soit de leurs attachés de presse qui ne font de leur côté que leur métier de presque lobbying. Pas si couillon, le consommateur nous lira, peut-être, au risque de remarquer bien vite que nous sommes des privilégiés qui peuvent engendrer le doute et que nous écrivons « sous influence« . Libres, mais pas tout à fait. Le métier de journaliste n’est vraiment pas aussi facile qu’on le croit !

Mon adoré ©MichelSmith

Je ne sais si mes camarades approuveront tout ou partie de ce que je viens de pondre sous l’emprise de la Manzanilla (en dehors de Lustau avec sa Pipirusa, Barbadillo est en fin de compte la meilleure…), toujours est-il qu’il faudrait peut-être que nous réfléchissions sur une nouvelle façons d’aborder ou de parler du vin. J’ai bien dit « peut-être« . Toutes ces réflexions bues pour dire que, bête, pas trop méchant et discipliné, je continuerai «comme avant». Avec mon lot d’échantillons achetés avec ma carte de crédit ou d’autres qui me seront adressés par des vignerons volontaires que je connais et que, par conséquent, il me sera difficile de blesser leur enthousiasme et leur égo. C’est pourquoi je m’efforcerai, à l’instar peut-être de mes camarades quand l’occasion leur est donnée, d’être plus réaliste dans mes commentaires, d’attendre plusieurs jours avant de célébrer un vin, de voir son comportement, son évolution, et surtout de vous fournir l’essentiel, je veux parler du prix public de chaque vin décrit. Et de me demander enfin si oui ou non j’achèterais un tel vin pour le mettre en cave. Du moins, je vais essayer. Avant de me contredire, probablement sous peu.

Pour finir, une info de taille : la plus grande région viticole au monde, le Languedoc (et ses nombreux crus), va être présidée désormais pour 3 ans par un vigneron de La Clape que j’admire, Christophe Bousquet.

Christophe Bousquet©CIVL

Next week, ne manquez surtout pas le rendez-vous avec la plus réjouissante et la plus ensoleillée de nos sommelières, Marie-Louise Banyols !

Michel Smith

11 réflexions sur “Mots, goûts et pragmatisme… Comment « dire » le vin ?

  1. nadinefranjus

    Quelle psychoconfidence!!! C’est bien de poser le cadre de son travail et de le présenter au public, merci.
    Il n’y a pas que l’invitation à l’achat dans les articles de journaliste du vin, il y a aussi la description. Celle que l’on cherche à faire avec rigueur pour présenter le goût d’un vin à distance. C’est le Pourquoi on vous conseille ce vin. ça me rappelle les états d’âme d’un critique de cinéma, avec qui je travaillais à la télévision, qui disait qu’il suffisait de donner une note à un film et que le public connaissait assez ses goûts pour se faire un avis personnel avec. Le 85 de Michel correspondrait à un 70 de David, un 90 de Tim, une abstention de Marco, un 100 de Marie-Louise et un 90 ou 60 de Hervé….. (ces chiffres sont totalement donnés au hasard). Décrire un vin pour définir ce qui en fait une expérience unique…. Joli défi, non?
    A part ça, le réseau ne doit pas être fameux dans l’Hérault au vu des bugs/répétition dans le texte.

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    1. Michel Smith

      Dans l’Aude non plus, vu que Jim est devenu Tim…
      À part cela, chacun à sa vision du vin et critique n’est pas un métier aisé même pour celui (celle) qui a choisi de le faire. Mais c’est ce qui fait son charme.
      Un jour on devrait trouver une attachée de presse (ou un vigneron) qui enverrait à chacun d’entre nous la même bouteille sans étiquette ni capsule juste pour le plaisir de voir nos commentaires différents accompagnés d’une note sur 20. Tu pourrais même faire l’analyse de tout ça, je suis certain qu’il y aurait quelque chose à en tirer. Amusons-nous !

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    1. Michel Smith

      Voilà, cher Marc, de quoi mettre de l’eau à nos moulins !
      Voilà aussi de quoi rendre ma dégustation de tes vins difficile.
      Enfin, on verra ça !

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  2. David Cobbold

    Un vrai sujet dont on ne sortira jamais avec des convictions, mais toujours avec des doutes et des questionnements, comme tu le dis si justement Michel. Personellement je suis aussi très en faveur de mentionner le prix. Nous ne sommes pas des milliardaires et nos lecteurs non plus je pense. Il est normal d’attendre davantage d’un vin à 50 euros que d’un autre à 5. En tout cas je vais en acheter de ce Montilla Moriles, donc ton papier est déjà une belle réussite !

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  3. David Cobbold

    Suite… en tout cas tes recommendantions ont eu de l’effet car il n’y plus de stock du Montilla Moriles en question chez Grau ! Du coup j’ai commandé plusieures autres Xérès ou Montilla chez eux. J’en donnerai des nouvelles à une date ultérieure qand ils seront dans ma cave !

    Aimé par 2 personnes

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