Une journée chez les Gramona avec Lydia et Claude Bourguignon (volet 1)!

Bon nombre d’entre vous connaissent sans doute cette remarquable maison familiale catalane, mais, pour ceux qui auraient besoin d’en savoir plus, voici un bref rappel.

Un peu de contexte

Solidement ancrée dans son territoire, le nom de Gramona est intimement lié aux belles bulles du Penedès – naguère sous la mention Cava, aujourd’hui sous celle de Corpinnat.

Devenue incontournable à l’international pour la qualité de ses cuvées, elle est aussi très appréciée localement pour son engagement environnemental (la totalité de ses vignes ont été converties en bio puis en biodynamie, entre 2005 et 2014.

Surtout connue pour ses effervescents, elle produit cependant aussi de remarquables vins tranquilles sous la D.O. Penedès.

Jaume Gramona et son cousin Xavier forment la cinquième génération d’une famille dont la relation avec le vin remonte à 1850 ; les Gramona ont été les pionniers dans la commercialisation d’une cuvée d’élevage long, la Celler Batlle (huit ans de maturation en bouteille) et sont allés plus loin en présentant leur gamme Christmas Enoteca, qui a poussé le vieillissement jusqu’à douze ans.

Xavier et Jaume Gramona

Xavier Gramona, vice-président de l’entreprise familiale, résume leur ambition en une phrase : « Nous voulons concourir dans la ‘Ligue des Champions’ des grands vins effervescents du monde ».

Quant à Jaume, il a été le premier Espagnol à franchir les portes de la faculté œnologique de Dijon avec l’idée de mieux connaître le monde des effervescents. Il a eu comme tuteur Michel Valade, alors jeune microbiologiste travaillant dans le laboratoire du Centre, et ce dernier lui a ouvert les portes du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC).  La relation entre les deux hommes est devenue la plus forte des amitiés. Ce passage par la Champagne a fortement marqué et influencé Jaume, déjà porteur d’un d’héritage de 100 ans de connaissances vécues et apprises par sa famille mais rarement scientifiquement contrastées. Il a enrichi ses années d’expérience en tant que producteur, et lui-même scientifique avec les études de son ami Michel au CIVC. On comprend d’où lui vient sa passion pour les bulles !

Aujourd’hui viticulteur, œnologue et professeur à l’Université Rovira i Vigili de Tarragone, Jaume a été à l’origine de la révolution qu’a connue son entreprise, qui est aujourd’hui un exemple de durabilité !

Les déclencheurs du changement: le couple Bourguignon

En 2008, Jaume, le scientifique, se rend en Bourgogne pour participer à un cours donné par le couple Bourguignon, Claude et Lydia! Etonnant, mais pas tant que ça quand on connait l’esprit curieux de ce dernier.  Jaume ne s’y sent pas à l’aise,  dès le premier jour, il se rebelle à tel point qu’il décide de partir. Mais, une tempête de neige le retient bloqué sur place, et change la donne, « le chimiste du groupe », termine le cours et demande à Lydia et Claude Bourguignon de se rendre chez eux. Ce qu’ils font en 2009 et le verdict est dur « Vos sols sont quasi morts ! ». Ce diagnostic lui a causé un choc sévère qui a amené Jaume à suivre les conseils des Bourquignon. Il ne craint pas d’avouer que c’est grâce à eux, qu’il s’est intéressé au sous-sol, qu’il a découvert que là était le terroir, qu’examiner la surface des vignes était insuffisant !   Aujourd’hui encore, bien que moins souvent, Claude et Lydia Bourguinon continuent leurs visites chez les Gramona.

C’est pour constater le résultat de ce travail  et sa continuité que Jaume avait invité quelques professionnels dont je faisais partie à participer à une intervention de Lydia et Claude Bourguignon dans une des parcelles de leur vignoble. Sincèrement, j’ai été très heureuse de me rendre à cette invitation.  Aussi bizarre que cela puisse paraitre, je n’avais jamais eu l’occasion de rencontrer Lydia et Claude Bourguignon alors que beaucoup de vignerons  m’en ont souvent parlé en bien.

Elisabeth Banyols devant la parcelle Gisbert MilanPour mémoire, Claude Bourguignon, ingénieur agronome, est l’un des experts les plus reconnus en microbiologie des sols; sa femme, Lydia Gabucci-Bourguignon, oenologue et maître en biologie, est devenue son inséparable collaboratrice.

Pour commencer la journée, nous sommes partis dans le vignoble, dans un secteur très prisé du Penedès, berceau de leurs plus grandes cuvées où j’ai pu prendre conscience de la réalité de l’engagement de la famille et de leur volonté de toujours mieux faire.

Les vignes de la famille englobent 85 hectares, dont le Mas Escorpí et Can Mota, à Sant Sadurní d’Anoia, terre de vignobles par excellence.

En T-shirt noir: Roc Gramona

C’est Roc Gramona, le fils de Jaume, qui nous a pilotés. Roc a déjà  attrapé le virus de la passion que son père voue aux sols. Il nous parle de l’importance des micro-organismes et des champignons dans les sols, nous montre son compost élaboré  en partie à partir des excréments des animaux de la Granja… nous explique que  le passage de leur vignoble en pratiques biodynamiques a fait baisser le pH et augmenté l’acidité de leurs vins. «Grâce aux Bourguignon nous avons réussi à faire descendre nos racines beaucoup plus bas pour que la plante puisse se nourrir au lieu de la nourrir avec du compost», résume-t-il.

Paraje Calificado  Font de Jui

Le petit-déjeuner à la granja

Il faisait très chaud, c’était le 15 juillet dernier, aussi une coupure à la catalane a été la bienvenue. Linda Diaz, très efficace collaboratrice des Gramona, nous a installés juste devant la granja (la ferme) qu’ils ont mis en place pour atteindre l’autosuffisance nécessaire à l’agriculture biodynamique : elle  produit tous les engrais naturels, le compost, les préparations biodynamiques et les plantes médicinales.

On peut y voir, des ânes, des chevaux, des poules, des paons, des moutons élevés pour ne manger que de l’herbe, et des vaches de race albera dont la fonction est de défricher les forêts (à raison de 10 hectares par animal par an) et un taureau pour la reproduction !Bien sûr des bouteilles de Cavas bien fraiches nous attendaient ! Petit rappel, depuis peu leurs effervescents n’appartiennent plus à l’appellation, il ne faut donc plus parler de cava mais de Corpinnat !

Nous avons eu la chance de gouter un III Lustros Gran reserva 2007 et un III Lustros Brut Nature 2011.

Alors que le Gramona III Lustros 2007 est probablement l’un des cavas les plus reconnus de l’appellation et dans tous les cas, l’un des Brut Nature avec le plus de vieillissement, l’attente était grande!

Vous pourriez penser qu’avec cette chaleur, le moment était mal choisi pour ouvrir une telle bouteille, eh bien non, je puis vous assurer que nous l’avons tous appréciée! La tablée était animée, mais chacun d’entre nous a reconnu  avec des mots différents la qualité de «Cava » (pas encore Corpinnat à cette date) : intensité et complexité du nez, grande élégance étaient les plus employés. Depuis les notes fleuries, jusqu’aux notes toastées en passant par les notes de fruits jaunes, de beurre, de fruits secs, de marron glacé, le nez nous a transporté dans un univers d’arômes assez exceptionnel. La bulle n’a pas été évoquée, mais la structure de la bouche et surtout sa texture délicate en ont « épaté » plus d’un ! Le vieillissement, puisque vieillissement exceptionnel de 8 ans sur lies, il y a,  fait la différence,  la complexité est bien là, on savoure les notes de grande maturité qui couvrent bien le palais, puisqu’il n’y avait que des sommeliers autour de la table, je vous laisse imaginer les commentaires, pâtisserie, herbes de Méditerranée, marron glacé, fleurs séchées… A aucun moment l’oxydation n’a été évoquée. Leur conclusion: élégance, persistance, une grande fraîcheur et une finale aux sensations minérales. Cette cuvée est une réussite, évidemment marquée par l’identité de la maison. Elle est issue de l’exceptionnel Paraje Calificado Font de Jui, où les cépages Xarello et Macabeo sont à l’honneur. Une fois l’assemblage réalisé à l’image des vignes, c’est-à-dire 75% Xarello et 25% Macabeo, ce Brut Nature repose pendant 96 mois, avec un bouchon de liège qui permet son long vieillissement en pupitres, avec remuage et dégorgement manuel. On peut encore le trouver à un prix très raisonnable : 30,50 €

Le III Lustros Brut Nature 2011 a suivi, Jaume nous rappelle que la provenance des raisins est évidemment primordiale, c’est la même que pour la cuvée précédente tout comme la méthode d’élevage, seule la période de vieillissement change, elle est de 7 ans au lieu de 8 dans le précédent. Dans le « dosage », moins de 3 grammes de sucre par litre sont utilisés. Nous lui avons trouvé un nez envoûtant de fruits jaunes croquants et d’agrumes entremêlés de chaleureuses notes de fruits secs, d’anis et de café que l’on retrouve en bouche associés à de fins amers et une impressionnante fraîcheur en finale. La dégustation est gourmande grâce à l’onctuosité de l’effervescence, et à la rondeur de ce millésime. Quelques notes de pain grillé viennent terminer la dégustation pour apporter au vin de la complexité et de la longueur en bouche. L’un des meilleurs rapports qualité-prix parmi ceux qui ont un long vieillissement. Bizarrement, il est proposé sur les sites au même prix que le 2007 : 30,50 €

Nous avons profité de cette pause pour parler avec les Bourguignon, dont le discours pertinent ou catastrophiste (selon l’opinion de chacun) sur les sols qui sont morts par notre faute, ne laisse personne indifférent.

«Il est urgent qu’on apprenne à cultiver un sol sans l’éroder, sans labour destructeur, et sans utiliser de produits chimiques, pratiques qui contribuent au déséquilibre de tout l’écosystème. Car le sol, loin d’être inerte, contient 80% de la biomasse de la Terre.»

Ce qui nous a immanquablement amené à parler du passé et du présent de Gramona, du changement climatique et du potentiel de certaines variétés autres que les catalanes pour faire de grands vins effervescents. Pour le combattre, il faut aller sous terre, c’est là que se trouvent les racines, il faut la structurer,  il n’y a pas de stress thermique ou hydrique car l’humidité est mieux maintenue. Jaume est persuadé que la Galice peut élaborer avec l’Albariño et ou le Godello de grands effervescents d’ici à quelques années.

Dans la parcelle Gisbert Milan

Lydia et Claude Bourguignon devant et dans la fosse

Puis, nous sommes partis avec eux dans la parcelle Gisbert Millan, plantée de  Xarello dans les années 60, et prise en mains depuis 2014 par les deux cousins Leo et Roc. Cette parcelle, ils y croient beaucoup, après l’avoir récupérée en mauvais état, mal taillée, ils l’ont soignée avec amour. Mais ils voulaient être sûrs qu’ils faisaient les choses bien, d’où  l’intervention des Bourguignon. Il s’agissait d’étudier des échantillons de sols cultivés, afin de poser un diagnostic. Nous avons assisté au travail de Lydia etClaude et vu comment, alors qu’ils ne sont plus très jeunes, probablement à peine plus jeunes que moi, ils entraient et sortaient de cette fosse , comment ils l’ont explorée, forée, carottée, pour pouvoir emporter les échantillons de terre et analyser le sol. J’étais en admiration totale !

Jaume a confirmé que les Bourguignon leur ont été précieux dans l’évolution de leurs méthodes de travail à la vigne. « Grâce à eux nous avons réussi à faire descendre nos racines beaucoup plus bas pour que la plante puisse se nourrir au lieu de la nourrir avec du compost. Maintenant depuis les années que nous pratiquons la biodynamie, nous cherchons à développer la minéralité plus que le fruit. »

Les résultats de cette analyse sont très importants pour Roc qui est convaincu que si les interactions entre le sol et la plante sont bonnes, il obtiendra la pureté qu’il recherche dans ses vins. Ils contribueront au développement et à l’amélioration et à la valorisation de ses raisins et donc au final des vins. Pour l’instant, à première vue, le constat est positif, les racines descendent en profondeur, or le terroir n’est pas à la surface, mais en profondeur ;  c’est la qualité des argiles qui fait la différence et change le diagnostic. Roc fonde de grands espoirs sur cette parcelle, il a déjà en élevage un effervescent, avec Leo, ils pensent le mettre sur le marché en 2024.

A suivre, dans 15 jours L’Enclòs de Peralba, le «domaine» des deux cousins chez Gramona. Mais bien sûr la semaine prochaine, vous retrouvez Michel et ses états d’âme!

hasta Pronto,

MarieLouise Banyols

6 réflexions sur “Une journée chez les Gramona avec Lydia et Claude Bourguignon (volet 1)!

  1. J’ai parcouru le vignoble de Cahors avec Lydia et Claude, j’aime leur vision globale des interactions au sein d’un biotope, leur façon de raisonner différemment la conduite des vignes selon la parcelle, l’entretien des sols, la préservation de la vie dans dans ceux-ci et ainsi de suite. Ils sont vraiment pointus et avec eux tu comprends mieux comment tout se passe.
    Marco

    Aimé par 2 personnes

    1. De la Gascogne au Poitou il n’y a pas si loin que ça.
      Le chemin qu’ont pris le chardonnay et le chenin pour aller récemment se fourrer entre Carcassonne et Limoux, par exemple, est bien plus long, sans parler du merlot.
      Je crois que les vignerons (ou négociants) ont cherché à l’époque (on parle du début XIXème, mais j’imagine que son implantation significative remonte aux années 50/60) un cépage qui pourrait donner de la couleur aux vins locaux, tout comme Bordeaux et le négoce des Chartrons à une autre période faisait venir du Sud-Ouest des jus colorés, et l’idée d’implanter le gamay, la négrette et d’autres est venue toute seule et s’est imposée. Cela dit, il n’y a guerre plus de 1.500 ha de négrette (appelé aussi ragoûtant) répartis sur toute la France, Fronton inclus.

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  2. Impatient de lire la suite sur ce domaine passionnant. J’ai eu l’occasion de commander ces « presque champagnes » et de les apprécier pleinement à la fois pour leurs vertus apéritives, mais aussi pour leurs qualités gourmandes.
    Quant aux Bourguignon, ça me rappelle un petit voyage des 5 à Bourgueil… 😉

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