J’aime bien les efforts de marketing dans le vin. Si certains vignerons gardent la même bouteille haut de gamme depuis leur premier millésime, d’autres s’appliquent à «proposer des nouveautés» dans le nom de cuvée ou/et dans sa présentation. Entre les deux, un petit nombre apporte de subtils rajeunissement dans l’étiquette.
Je n’ai pas trouvé d’étude plus récente mais, en 2019, 80% des achats de vin se faisaient en GD (Vin & société 2019). Ce chiffre n’a pas pu changer radicalement surtout après la révolution confinement (qui a favorisé la vente en grande surface plutôt que celle chez les cavistes). Donc, en condition d’achat autonome, sans conseil avisé, le choix du consommateur est avant tout visuel. Après le prix, premier critère d’achat pour presque 50% (entre 32% et 47% selon Vin & société, janvier 2022) le geste d’achat est guidé par l’allure de la bouteille. Son étiquette et son contenu, la forme de la bouteille et son emplacement dans le rayon.

Le modèle Garance chez OI

Une forme différente accroche le regard
Les chercheurs en neurosciences mènent des études passionnantes sur ces petits riens qui déclenchent la préférence entre une bouteille et une autre. Sachez qu’il suffit d’une touche de couleur, d’une variation de lumière, d’un changement de texture, de mot, pour percevoir un message inconscient plus ou moins positif. Ces études n’ont de sens que si elles sont reliées au marketing. Chaque image et chaque sensation provoquées doivent être en cohérence avec un positionnement donné.
La création d’un habillage de bouteille est un acte de marketing fort. Le consommateur le perçoit. Le vigneron le maîtrise plus ou moins.
Un exemple totalement maîtrisé
Je cite le communiqué de presse : “Mon objectif était de produire un vin premium en appellation Costières de Nîmes, dans une bouteille marquante, qui attire l’œil et retient immanquablement l’attention du consommateur ”, explique Vianney Castan, le créateur de la maison Joseph Castan. Pendant plusieurs années, il a travaillé avec le fabricant de bouteilles OI pour que son projet de bouteille passe de la planche à dessin au moule de l’usine. La bouteille présente un aspect peau-de-crocodile qui assure l’effet Waouh! attendu (-) La marque est idéalement positionnée au croisement de l’authenticité, hommage à 2000 ans d’Histoire, et de la modernité, avec une bouteille résolument différente”.
Avant de discuter de «l’effet Waouh», je vous emmène sur le site de la ville de Nîmes qui explique l’origine de son emblème :

«Après la campagne d’Egypte, certains des soldats d’Auguste s’installèrent à Nîmes. Leur victoire fut symbolisée par un crocodile enchaîné à un palmier, une représentation reprise alors sur des pièces de monnaie frappées à Nîmes et devenue bien plus tard (sous François 1er) les armes puis l’emblème de la ville. Dans les années 1980, l’association palmier/crocodile est réinterprétée par Philippe Starck. Présente un peu partout dans la ville, l’illustration d’origine antique ne manque pas de piquer la curiosité des visiteurs.»
Vous avez tous les éléments de contexte. Reste à examiner la bouteille.

La forme est élégante, probablement un modèle de Bourgogne Antik, appelée aussi Garance chez IO. Ce n’est pas sans rappeler la fameuse bouteille Palmes d’Or de Nicolas Feuillate. Je n’ai pas su identifier spontanément la peau de crocodile mais j’avoue que la dernière fois que j’en ai vu remonte à fort longtemps, dans un zoo (et il ne sentait pas bon…). Par contre, le côté dandy, chic-élégant et bien habillé est plutôt convaincant. D’ailleurs j’ai demandé à recevoir un échantillon pour le voir de plus près et le goûter. C’est peut-être ça l’ »effet Waouh ». Qu’en pensez-vous ?
Dégustation
Cet exercice d’observation du marketing ne pourrait se faire sans goûter les vins.
Maison Joseph Castan. Crocodile Dandy, Costières de Nîmes rosé 2021.
C’est un rose tendre, melon clair au reflet argent. Très expressif, malgré le froid, le fruit rouge est bien présent, plutôt fraise fraiche avec de la cerise au jus, une touche florale d’aubépine et un rien végétal qui rappelle l’estragon. La bouche est bien équilibrée, c’est un rosé charnu qui donne dans la douceur fraiche avec une acidité fruitée. C’est classique et bien fait. ± 9€
Pressurage direct. Assemblage de syrah et grenache.

Maison Joseph Castan. Crocodile Dandy, Costières de Nîmes rouge 2019
Une robe prune et brillante, une évocation fruitée qui lui va bien. Au nez, le fruit est bien mûr, prune aussi et compotée de pomme et fraise, une touche de fleurs de sureau, des notes d’épices douces et du bois frais comme la pinède lors d’un matin frais. C’est facile en bouche, le vin est soyeux, fondant avec une fraiche amertume de réglisse et de poivre qui restent en final. C’est riche mais assez léger, oui on peut dire que «Dandy», ça marche ! ± 9€
Grenache, syrah, carignan, mourvèdre, élevage partiel en fût.

Bonjour Nadine
Belle initiative de la Maison Castan. Au delà de la proximité de forme avec la bouteille Palme d’Or de Nicolas Feuillatte (une référence Vin), je pense aussi au flacon du Rhum Eminente [Moët Hennessy], dont la texture reprend très exactement le style ‘peau de crocodile’ que vous avez très bien décrit. Espérons que les 2 approches sauront cohabiter…
Cordialement
Georges Blanck
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Oui, merci Georges pour cette référence à un autre univers de crocodile : https://www.eminente.com
Le dessin des écailles (scutelles) de Crocodile Dandy est plus graphique, peut être une volonté d’être plus distant avec la réalité. Je ne pense pas qu’il soit question de concurrence sur le sujet mais c’est plutôt que ce thème étant peu abordé dans ce packaging, on se souvient plus facilement des références.
En soi, c’est un bon résultat de marketing.
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Oui, mais, de quel animal s’agit-il : crocodile, alligator, caïman, gavial ? et de quelle partie du corps les concepteurs de la bouteille se sont-ils inspirés ? Vous percevez la gravité de la question…sans parler du fait qu’il pourrait s’agit d’une peau de lézard ou d’iguane. La confusion, reste possible.
Personnellement, en présence d’une bouteille de ce genre, je suis méfiant et non pas attiré. mon cerveau me dit : attention ! on cherche a te faire acheter un vin grâce à l’originalité de la bouteille, mais cela va-t-il se retrouver dans le vin ? pas certain du tout ! et je passe mon chemin. Nadine a testé le vin et nous en offre une description sympathique ; c’est bon signe et le coup marketing de la maison Castan est sans doute réussi.
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Excellente question Georges Truc!!!! Et oui le vin est sympathique (c’est le minimum qu’on lui demande) mais il n’a rien à voir avec ce que le packaging est censé évoquer. Le faut-il? Je crois que son rôle est avant tout de se faire remarquer. Comme tous ces hommes qui s’habillent avec des couleurs criardes ou/et des vêtements originaux sans présager du caractère de l’individu. A la recherche de l’originalité juste pour capter le regard.
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Le plus important, c’est que le vin dans la bouteille soit à la hauteur des attentes, c’est à dire qu’il soit bon. On a dernièrement dégusté un rosé bordelais dont la bouteille offrait la reproduction de Femmes et Raisins réalisée par René Lalique en 1928 bas-relief en-dessous de l’étiquette, très classe, du raffinement, sauf le vin pas à la hauteur du tout, par conséquent grosse déception. C’est le souci du packaging, il est souvent là pour faire vendre des produits des plus moyens, voire nuls. Un peu comme le sucre dans les aliments. Pour en revenir à la bouteille crocodilienne, il faut aimer, c’est aussi le risque de l’extrême, ça plaît beaucoup ou pas vraiment, mais ça ne laisse pas indifférent. Grand débat autour du goût des uns et des autres. Mais laissons libre court à l’expression, elle colore notre monde d’artifices parfois des plus agréables.
Marco
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Et Crocodile Dundee, dans tout ça ?
Il me semble que c’est le premier effet Whaouh recherché ?
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Oui bien sûr!!!!
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