Deux jours dans les Colli Euganei

Colli Euganei. Les Monts Euganéens. J’avoue bien humblement que je n’avais jamais entendu parler de ces collines de Vénétie, pas plus que je n’avais bu leur production, avant que de recevoir l’invitation, par Gheusis et Wine Meridian, de les visiter.
Je n’ai pourtant aucune excuse, car il y a trois ans à peine, je visitais une appellation voisine, les Colli Berici, vingt kilomètres plus à l’ouest. Où déjà, j’ouvrais de grands yeux (et une grande bouche) devant des vins inconnus et pourtant diablement intéressants: savez-vous qu’on y trouve du cabernet (franc et sauvignon), du merlot et même un avatar du grenache, qu’on appelle ici le tai rosso?

Mais revenons aux Colli Euganei. Que viennent donc faire des montagnes dans la plaine vénitienne, entre l’Adige et le Bacchiglione, et à quelques kilomètres de Padoue? Mais c’est qu’il s’agit de volcans. Ceux-ci, bien qu’érodés (ils datent de quelque 30 millions d’années), culminent encore à 600 mètres au mont Venda, et une vingtaine dépassent les 300 mètres. Ce relief contrasté de mamelons et de vallées engendre de grandes différences de terroir, on va le voir.

Quant au nom d’Euganei (« les bien nés »), il renvoie aux premiers habitants de la région, des alliés de Rome – un nom qui désigne d’ailleurs toujours les Padouans, un peu comme nous employons le mot de «Lusitanien» pour ne pas répéter «Portugais».
Historiquement, c’est une grande région thermale ; les sources de Montegrotto et Abano en témoignent. Mais à côté de l’eau, il y a aussi du vin : depuis 1969, Colli Euganei désigne aussi une denominazione d’origine controllata (et même, depuis 1971, un parc naturel). Le vignoble s’étend sur environ 2.500 hectares.


Une particularité inattendue, ici : la présence de cépages bordelais qui, bien loin d’être le fruit d’une mode internationale, comme ce fut le cas dans d’autres régions à partir des années 1960, sont arrivés ici… entre le 18ème et le 19ème siècle. Et parmi eux, une curiosité : le carménère. Longtemps pris pour du cabernet franc (les locaux avaient fini par l’appeler « cabernet franc italiano » car ils s’étaient quand même rendus compte qu’il était différent), il a trouvé ici un nouveau foyer, et y réussit très bien sur les terrains pas trop fertiles; les Colli Euganei sont même aujourd’hui le deuxième vignoble de carménère au monde derrière le Chili, et largement devant Bordeaux d’où il a virtuellement disparu.

Cependant, avec plus de 500 ha, c’est le merlot qui est le cépage le plus planté des Colli, devant le glera, le cabernet sauvignon, le muscat giallo et le cabernet franc.

L’aire accueille également une DOCG : Colli Euganei Fior d’Arancio (littéralement fleur d’oranger), qui abrite trois types de vin : spumante, secco et passito, tous trois à base de muscat jaune. Ces vins sont issus du moscato giallo (minimum 95%), un parent du muscat blanc à petits grains assez répandu dans le nord de l’Italie, depuis le Val d’Aoste jusqu’au Trentin, ainsi qu’en Valais. Dans la version «dolce», il est autorisé de descendre jusqu’à 6° d’alcool.
Quant à son nom, sans surprise, l’appellation le doit à la présence assez courante du descripteur aromatique «fleur d’oranger».

Zonage

L’agronome Filippo Scortegagna, qui a étudié les Colli Euganei du point de vue des sols, mais aussi du point de vue climatique, les divise en six zones :

-La zone Nord, au climat de piémont, bien arrosée, avec ses châtaigneraies, sa végétation luxuriante, et une altitude maximum de 250 mètres.

La zone Est: caractérisée par son ensoleillement matinal, une végétation assez abondante et un climat plus hétérogène qui va de semi-montagnard à chaud, et une altitude maximum de 200 mètres.

-La zone Ouest: ensoleillement jusqu’au soir, températures plus chaudes, pluviosité relativement modérée, végétation plus méditerranéenne, avec du maquis, mais aussi des bois. Altitude maximale : 270 mètres.

-La zone centrale: zona influencée par la présence du Mont Venda, qui fait barrière aux masses d’air venant du nord – ce qui crée une division très nette entre le nord et le sud de la zone. C’est ici qu’on trouve les températures les plus basses. Pluviométrie assez élevée, altitude supérieure à 270 mètres.

La tombe de Pétrarque, à Arquà Petrarca

-La zone Sud: celle qui bénéficie de l’ensoleillement le plus long dans la journée et donc du climat le plus chaud ; la végétation est méditerranéenne, avec du chêne rouvre, du chêne vert et du genévrier. Pluviométrie plus faible qu’ailleurs. Altitude maximum : 270 mètres.

-La zone périphérique, qui entoure toutes les autres.

En clair, sur une aire relativement petite (20.000 hectares, dont seulement 2.500 en vignes), on observe de forts écarts: rien qu’en termes de température, en base annuelle, on enregistre deux degrés de moins au nord qu’au sud. Ce qui explique que la plupart des cépages blancs soient plantés au nord.

A ce petit tour climatique, on ajoutera une dimension géologique : les Colli Euganei sont célèbres pour la pierre volcanique noire dont sont faites les dalles de la place Saint-Marc de Venise, mais aussi les bords et le fond des canaux qui relient Padoue à la Sérénissime. On l’appelle la trachyte. Mais la zone présente également une assez grande variété d’autres types de sols, qu’ils soient d’origine volcaniques ou non, et notamment des sols calcaires.

Les vins dégustés

Pour cette première prise de contact, j’ai eu l’occasion de visiter trois caves et de déguster une partie de la production de quelques autres. Une production étonnamment large, du rouge au blanc sec et doux en passant par les bulles, car on a vraiment affaire à des poly-spécialistes !

Mon tour des Colli est donc loin d’être complet, mais j’espère qu’il vous donnera l’envie d’en savoir plus. J’ajouterai que le territoire a d’autres ressources que le vin pour vous séduire : l’huile d’olive, les charcuteries (essayez donc celles de la famille Giovanni Fontana, à Este, et notamment son fabuleux Prosciuto del Veneto); et bien sûr, les thermes (une trentaine, rien qu’à Montegrotto Terme). Sans oublier les paysages, les trattorie (comme l’excellente Antica Trattoria Ballotta, à Torreglia), les  les châteaux et les petits villages qu’on croirait sortis du Quattrocento. Comme Arquà Petrarca, où est enterré le poète qui a goûté et vanté la paix des Monts Euganéens.

Enfin, à la Villa dei Vescovi, à Torreglia, le wine bar de la Strada del Vino Colli Euganei vous attend – une façon de mêler intimement patrimoine bâti et patrimoine gastronomique, solide et liquide.

Cà Lustra

Cette exploitation fondée en 1977 par la Franco Zavonello compte 25 hectares. Si la cave se situe au pied du mont Venda, à Cinto Eugano, les vignes, elles, sont réparties entre plusieurs parcelles, au nord et au sud.

Le credo, ici, est la biodiversité ; pas de grands blocs de vignes, mais de petites parcelles entourées de bosquets et de maquis ; pas beaucoup d’intervention, ni à la vigne, ni au chai, très peu de peu de soufre (de 10 à 30 mg), pas de bois neuf et surtout des tonneaux et foudres de grand format, avec, pour bien stabiliser les vins, un passage final en cuve ciment. La production se répartit à 50/50 entre blancs et rouges. Cette cave se caractérise par des élevages longs, même les blancs ne sont pas mis sur la marché avant plusieurs années : les plus jeunes dégustés étaient des 2019. L’exploitation est aujourd’hui dans les mains des enfants du fondateur, Linda et Marco.

Cà Lustra Olivetani 2018

Amande verte, fruit sec, poire et, pomme, le nez est (d)étonnant. La bouche n’a rien à lui envier en matière de densité ; on aime aussi la fraîcheur du végétal, avec en finale, une jolie nuance de camomille. Un beau travail sur l’oxydation ménagée.
Cette cuvée issue de vignes proches du Monte Venda assemble 5 variétés : garganega, tai bianco, pinot bianco, sauvignon et moscato.

Cà Lustra Sottovenda Manzoni 2018

Ananas mûr, quelques notes d’oxydation, ce premier contact avec le Manzoni est des plus plaisants.
Vous avez dit Manzoni? A côté du muscat giallo, ce cépage blanc s’est fait une belle place en Colli Euganei.
Croisement entre riesling et pinot blanc, il doit son nom à son créateur, un ampélographe italien dont c’est sans doute l’obtention la plus réussie. Ce cépage précoce (on le récolte généralement dans la première semaine de septembre), produit beaucoup de sucre et donc d’alcool.

Cà Lustra Sassonero Merlot 2018

Le nez complexe (notes à la fois fruitées, minérales et lardées) annonce une bouche qui ne l’est pas moins – un soupçon d’orange sanguine, de quinquina, de sous-bois, de romarin ; les 3 ans de passage en bois ont arrondi les tannins sans les gommer, c’est superbe; et on se dit déjà que le merlot a toute sa place ici…

Cà Lustra Cabernet Sauvignon 2016 Girapoggio

Ici, les tannins se postent à l’avant plan. Le nez comme la bouche regorgent d’épices, qui se développent au fur et à mesure de la dégustation, bientôt rejoint par du fruit noir. Un vin qui gagnera sans doute à être ouvert à l’avance, voire à passer en carafe.

Cà Lustra Colli Euganei Fior d’Arancio Passito DOCG 2018

Très aromatique – beaucoup de notes florales (y compris, sans doute la fleur d’oranger, mais je n’ai pas si souvent l’occasion d’en sentir), mais aussi de l’ananas ; en bouche, c’est une note plus douce de mangue qui domine, la structure est soyeuse, mais nerveuse, ce qui équilibre bien les 200g de sucre. Un passito «gouleyant». Moscato giallo.

https://calustra.it/

Vigna Roda

Gianni et son épouse sont aux rênes d’un domaine situé dans une des plus jolies vallées des Colli, le Vò Euganeo, et leurs vignes orientées au nord-ouest, bénéficient d’un très bon ensoleillement estival. Le domaine privilégie les faibles rendements.

Vigna Roda Merlot Il Damerino 2019

Nez très expressif de fruit noir, bouche équilibrée, aux notes de romarin et de poivre, avec, en toute fin, une pointe minérale et le retour du fruit noir. Cuvée 100% merlot élevée en cuve inox.

Vigna Roda

La Montecchia Conte Emo Capodilista

Ce domaine proche de Padoue et du Bacchiglione appartient à la famille noble Emo Capodilista, qui a joué un rôle majeur dans l’histoire de Venise. Le Comte Giordano, qui le dirige aujourd’hui, en représente la 22ème génération ! La production, de l’ordre de 250.000 bouteilles, comprend toute la gamme des productions locales, y compris les fines bulles.

Emo Capodilista Piùchebello Moscato Giallo Secco 2019 IGT Veneto

Aussi floral que fruité. Là encore, le muscat giallo me déconcerte un peu : je pense plus à un riesling, voire à un viognier, qu’à un muscat ; mais c’est vif, plein joliment citronné, avec aussi, en bouche, le soyeux de la pêche ; finale très sapide.

Cà Emo 2019

Avec son nez très floral (pivoine) mais son fruit rouge bien mûr en bouche, notamment un joli poivron, voici un vin relativement léger, aux tannins lisses, assez long.

Merlot, cabernet sauvignon, cabernet franc, raboso (le raboso a été passerillé)
12 mois en foudres de Slavonie.

Villa Capodilista 2016

Encore jeune, épicé, fruit rouge et fleurs blanches, les tannins marqués mais juteux (réglisse) soutiennent bien la bouche, opulente, et qui ne manque pas de longueur.
18 mois en barriques 2/3 usagées.

Merlot, cabernet, carménère et Raboso (ce dernier, pour le corps et pour l’acidité, nous dit Monsieur le Comte).
A noter qu’il s’agit là du nouveau millésime sur le marché de ce vin fleuron du domaine, qui vend encore le 2013.

Progetto Recupero 2017

Le «recupero», c’est la renaissance du carménère, qui s’est retrouvé ici un peu par hasard, comme au Chili – ici, où il serait arrivé avec Napoléon (le grand ou le petit), on l’a longtemps pris pour du cabernet franc. Le Comte Emo lui a consacré une étude ampélographique très documentée.
En parler, c’est bien mais en boire, c’est encore mieux, surtout quand il nous offre un fruit si fruit frais (myrtille, cassis, cerise acidulée) au nez comme en bouche, et autant de puissance. La finale de poivron (mais mûr) le raccroche bien à la famille des carménets. Mais ici, il acquiert aussi une dimension différente, une pointe de sel et un soupçon de pierre à fusil qu’on ne trouve pas si souvent au Chili.

Donna Daria 2016 Fior d’Arancio Colli Euganei DOCG Passito

Agrumes, abricot sec, melon, du sucre, de la gourmandise, un grand confort buccal, mais aussi une belle acidité, et le retour de l’abricot en finale. J’ai noté sur place « on va vers le Tokaj ». Ce moscato giallo me surprendra toujours.

Elevage en cuve inox. 200 g  de sucre résiduel.

23 euros

La Montecchia

Quota 101

La «cote 101» se trouve sur les hauteurs de Torreglia, au nord-est des Colli et a donné son nom au domaine, propriété de la famille Gardina. Roberto et son épouse Natalia, venus de secteurs différents, se sont pris d’une passion pour le vin, qu’ils partagent à présent avec leurs deux filles, Silvia et Roberta.
La cave aujourd’hui à la pointe des basses énergies a été reconstruite en 2009 et a vinifié son premier millésime en 2011.

Quota 101 Serprino

Le serprino est le nom de la variante locale du cépage glera, mieux connu sous son ancien nom de prosecco.
Celui-ci a pour lui une grande fraîcheur, quelques petites notes de boulangerie et un soupçon d’amertume qui lui va très bien.

Roberto Gardina, le propriétaire de Quota101, est également président de la Strada del Vino Colli Euganei.

Quota 101 Tai Bianco

Une cuvée tout en franchise et en fluidité – et cela ne veut pas dire aqueuse, ni maigre ; une bouche bien sèche, quelques jolies notes de romarin, une amertume sapide en finale. Bravo!

Quota 101 Manzoni Bianco 2020

Tout commence doucement avec quelques herbes aromatiques et un peu de pierre à fusil ; mais la bouche saline embraye à toute vapeur. Ce fleuron des blancs de la Quota 101 est, selon Roberto, une des plus belles expressions minérales de leur terroir. Deux ans, et encore du potentiel.

Quota 101 Cabernet Sauvignon 2019

Un des plus jolis cabernets dégustés dans cette région où le merlot semble souvent le rouge le plus au point.
Joli nez de cerise et de cassis, mais aussi quelques notes fumées, que l’on retrouve en bouche ; celle-ci est plutôt dense, tannique et bien lardée – on voit bien ce vin sur une pièce de gibier.

www.quota101.com

Egalement appréciés : Corte Borin Manzoni Bianco 2020, Mottolo Merlot 2019 et Maroneria 2017 La Roccola.

Villa dei Vescovi

En résumé

L’Italie du vin ne se résume pas aux seules zones de notoriété internationale comme Chianti, Valpolicella ou Langhe, qui sont un peu au vin ce que la Juventus ou le Milan AC sont au Calcio. La Botte recèle toute une pépinière d’équipes locales qui, sur le terrain de la dégustation, une fois ôtées les paillettes et les fausses réputations, font mieux que se défendre. Les Colli Euganei, avec leur terroir volcanique, et leurs vignerons authentiques, en font partie.

Hervé Lalau

3 réflexions sur “Deux jours dans les Colli Euganei

  1. Nadine Franjus

    Belle découverte. L’Italie est aussi riche en terroir que la France, n’en déplaise aux meilleurs vignerons du Monde.
    Il semblerait qu’il y ait aussi des vins nature à Colli Euganei si j’en crois ta première photo avec un verre en premier plan. Ou bien c’est une méthode ancestrale de muscat jaune. Je serai ravie de goûter cette expression aromatique de la fleur d’oranger…
    Merci pour cette présentation

    J’aime

  2. Merci Hervé ! totale découverte pour ce qui me concerne ; quelle richesse ! je ne connaissais -et encore fort peu- que les vins de la région proche de Soave, où existent également des terroirs de roches volcaniques

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.