Fleurie en route pour les Premiers Crus

Comme Moulin-à-Vent et Brouilly, Fleurie vise le classement de certains de ses lieux-dits en Premier Crus. Sept d’entre eux, précisément , sur les 48 répertoriés (*lire en fin de texte). 

Ce mardi soir 28 mars (c’est donc tout frais), décision a été prise par la majorité des vignerons présents, d’envoyer leur dossier à l’INAO. La démarche pourrait aboutir d’ici cinq à dix ans, si l’on se réfère à celle qui a abouti à Pouilly-Fuissé (où 22 climats ont été classés 1er Crus, sur 194 hectares, soit 24% de l’appellation).

 Grille Midi (c) Fabrice Ferrer

La veille de cette importante décision, une trentaine de producteurs avaient fait le déplacement à l’Ecole hôtelière de Lausanne. Le bon moment pour une prise de température ! Sylvain Paturaux, qui a repris il y a deux ans le Domaine des 2 Fontaines, a rappelé que sur les 800 ha de Fleurie, il y a 250 déclarants de récolte, mais 70 élaborateurs de vins. Naguère, la Suisse fut un important débouché du Beaujolais, souvent livrés en vrac à des embouteilleurs. Fleurie écoula jusqu’à 40% de ses vins en Helvétie… qui s’est détournée du Beaujolais, et du gamay, longtemps considéré comme la base la moins intéressante du pinot-gamay vaudois ou de la dôle valaisanne. Mais, on l’a constaté aussi sur les bords du Léman et dans la vallée du Rhône, le gamay est loin d’avoir dit son dernier mot : il résiste mieux au réchauffement climatique que le pinot noir ! Et permet des vinifications diverses et variées.

Priorité au terroir ou à la vinif’ ?

Ainsi, à Fleurie, on va du vin quasi nature, de la macération semi-carbonique, à la vinification à la bourguignonne. La dégustation n’a pas permis d’échapper aux différences de style que constatait, il y a quelques années, David Cobbold, ici, dans une intéressante chronique**.

Dans le discours, l’utilisation modérée du SO2 reste un cheval de bataille (quand ça n’est pas le quadrupède lui-même qui travaille le sol dans les vignes pentues, autre cliché…). L’«effet millésime» n’est pas insensible, au contraire, sur des gamays, très fruités et juteux en 2021, plus costauds, voire lourds, en 2020. 

Chez le jeune Guillaume Chanudet, qui ne commercialise que 15’000 bouteilles sur ses 7 ha, le discours est franc : «Je vinifie en grappes entières et en levures indigènes. Il y a presque un mois de décalage entre les vendanges de 2021, à fin septembre, et celles de 2022, début septembre. Si la sélection des plants, massale chez moi, est bonne, le gamay s’adapte à ces changements. Le gamay aime souffrir !», raconte celui qui est aussi pépiniériste. Il joue aussi sur les porte-greffes, le 420 et le SO4 : «Dans les mauvaises années, il est important d’avoir de bons raisins.» Et sur 2021, pour atteindre les 12,5% d’alcool, il a eu recours à la chaptalisation, comme toujours… Ses vins, soit d’une parcelle d’un seul tenant de 3,5 ha sur les 42 cadastrés du lieu-dit La Madone*, soit d’une sélection «La patte du p’tit chat» (son surnom à lui…), en 2021 sont à la fois frais et rustique, d’une honnête extraction, bien élevé, sans excès (béton et foudre), et pour une apogée que le producteur estime à 5 ans… Même sans déguster d’anciens millésimes, on parie volontiers sur le double ! La sagesse du prix est remarquable : 11 et 12 euros la bouteille.

Des crus entre 10 et 50 euros

Voilà deux éléments clés que le passage aux 1ers Crus devraient clarifier : d’abord le potentiel d’évolution des vins. Souvent, les producteurs plaident le grand écart : «Vous pouvez le boire jeune, mais vous pouvez le garder longtemps». Même éventail largement ouvert pour les prix : de 10 à 50 euros la bouteille ! Un «positionnement tarifaire» tout de même un peu curieux… Parmi les plus chers, il y a la tentation bourguignonne. Avec Marc Delienne, sur un domaine de 14 ha, dont une parcelle à La Madone* («La vigne des fous», 50 euros), Frédéric Lafarge, sur 5 ha, est un des rares vignerons de Fleurie en biodynamie certifiée demeter, pour qui le prix est inversement proportionnel au rendement.

La Chapelle de la Madone (c) Fabrice Ferrer

Les Lafarge viennent de Volnay… Bien qu’éraflée à 80% («Je ne suis pas pour la grappe entière, à 20%, que je pourrais pousser à 30% peut-être…»), sa «Joie du Palais» est d’une étonnante fraîcheur, malgré le millésime, 2020. La conjonction du mode cultural (vieilles vignes en gobelet à 10’000 pieds/ha et travail du sol), des levures indigènes (qui vont de soi avec le label demeter), de la vinification et de l’élevage sous bois. Quand Guillaume Chanudet dit «adorer le gamay !» et ses arômes primesautiers, Frédéric Lafarge rétorque «je veux éviter le variétal». Vendus par des distributeurs, ses vins sont proposés autour de 40 euros.

Au Domaine des Marrans (19 ha, en conversion bio), le jeune Camille Mélinand a une autre «recette» : ses deux cuvées (16,5 et 22 euros) sont toutes vinifiées de la même façon, en grappes entières, fermentation courte sur 12 jours, un seul sulfitage après malolactique, mais tout de même avec «un travail sur les moûts un peu différent» en 2021. Le Fleurie «Les Marrans» et le «Clos du Pavillon» expriment beaucoup de fraîcheur. 

Se rapprocher ou se démarquer du voisin, Moulin-à-Vent?

Le Château de La Chaize, le géant du cru, a un nouveau propriétaire, Christophe Gruy, qui reconstitue, en conversion bio, 20 ha de vigne sur les 140 ha chaque année, soit une exploitation actuelle de 65 ha. A Lausanne, un des collaborateurs du château, le fils de Laurent Martray, Corentin, présentait un Chapelle des Bois* 2020 (36 euros) au beau nez de framboise, tirant sur la griotte, très bourguignon, aux côtés du «simple» Château de La Chaize 2020 (au tirage de 28’000 bouteilles à 15 euros, qui fut un best seller en Suisse), bien fait, charnu, assez riche et savoureux.

 

 Lieu Dit La Chapelle des Bois (c) Fabrice Ferrer

Proposant aussi un Chapelle des Bois*, Olivier Chastel, du domaine Romanesca, 12 ha certifiés bio, un nom réputé du cru voisin de Moulin-à-Vent, explique que, précisément, il cherche dans le Fleurie plus de fruit que dans les moulin-à-vent, avec des macérations plus courtes en grappes entières. La différence de millésime est sensible, entre le puissant 2020 et le fruité et tendu 2021, où le domaine a subi, de surcroît, la grêle… J’ai bien aimé aussi les 2020, l’un sur Les Moriers*, l’autre, le Clos de l’Amandier (les deux à 21 euros), de Grégoire Hoppenot, qui cultive 9 hectares à Fleurie, en plus de 14 ha à Pommier, où il va planter du… nebbiolo ! Les deux vins ont un style élégant et juteux, marqué par le terroir de granit rose, dont bénéficie tout le cru de Fleurie, dans des nuances qui tiennent davantage à l’orientation, à l’exposition, à l’altitude et au degré de pente des collines…

Les Moriers (c) Fabrice Ferrer

Dans les grands classiques, le Clos de la Roilette*, sur 9 ha, voisin de Moulin-à-Vent, exprime bien le «style Fleurie» traditionnel, en macération semi-carbonique, frais et fruité, où l’acidité rapicolante et la «minéralité» (cette sensation de pierre mouillée sous la langue…) sont bien balancées, dans la cuvée générique (10,70 euros) comme dans la «cuvée tardive» (15 euros), les deux typées du millésime 2021. Et pourquoi «tardive» ? «Parce qu’on peut la garder avant de la boire», dit Alain Coudert. 

Et terminons par Les Moriers*, représentés par les cuvées « La Brirette », tout en puissance retenue, du Château des Moriers qui les élève (très bien) en fûts de 400 litres. Une exploitation que reprend Anne-Victoire Monrozier, à la suite de son père, et en pilotage à distance depuis son «exil» bordelais. Mais la jeune œnologue qui fut une des premières blogueuses du vin françaises (Miss Vicky), a décidé de revenir sur ses terres de granit. Bientôt, avec toute sa famille. On en reparlera !

                                                                                                                      Pierre Thomas

*Les crus proposés en 1er Cru à l’INAO sont :

Les Moriers, Poncié, Les Garants, La Madone, La Roilette, Grille Midi et La Chapelle des Bois.

Le cahier des charges prévoit 52 hl/ha (rendement butoir à 57 hl/ha), soit 4 hl (5 hl) de moins que pour les crus, une date de mise sur le marché retardée au 1er septembre (au lieu du 1er février), et, progressivement, puis obligatoirement dès le 1er janvier 2025, le désherbage chimique sera interdit dans les vignes de 1er cru.

** https://les5duvin.wordpress.com/2021/05/31/beaujolais-mon-amour/

2 réflexions sur “Fleurie en route pour les Premiers Crus

  1. Nadine Franjus

    N’y a-t-il pas une contradiction entre des vins qui se veulent « nature » et la vinification en macération carbonique? C’est plus une question de principe qu’une remarque technique puisqu’il n’y a pas d’intervention chimique dans cette orientation. Par contre, peut-on autoriser la chaptalisation dans un Premier Cru?

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  2. pthomas1954

    Chère Nadine, la réponse au premier point est dans la remarque de fin de question. Les degrés exigés pour le classement en 1er cru sont suffisamment bas pour ne pas imposer de chaptalisation en année climatiquement normale. Ensuite, que dira l’INAO?

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