Le vin est-il soluble dans l’IA ?

S’il y a – quel que soit le domaine de l’activité humaine – conjonction de milliers de données, de moyens de les analyser, de méthodes pour en tirer des prédictions, en former des anticipations, en déduire des actions à mener, pourquoi s’en priver ?

Et pour ce qui est de faire un vin, après tout, c’est une succession de problèmes, de choix, de décisions. Pourquoi ne pas se faire aider par des applications logicielles qui apportent de plus en plus de connaissance et d’intelligence à toutes les étapes ?

Avalanche d’IA

La lame de fond des technologies de l’IA – intelligence artificielle – a déjà touché le plus profond du vin. Des recherches sont menées dans tous les domaines de la vigne au verre, ramenant sur le devant de la scène les poncifs habituels des débats du monde du vin : tradition et modernité ; rôle irremplaçable de l’IV (Intelligence vigneronne) ; « ça n’arrivera jamais » contre « c’est déjà là ». Même si son coût le réserve en grande partie aux industriels du vin, l’avalanche de l’IA semble inévitable à la vigne et aux chais. Un pays viticole comme la Moldavie a même décidé de coordonner les synergies dans ce domaine ; il l’a démontré à Prowein en mars dernier.

Viticulture et vinification à 360°

L’Intelligence Artificielle est un mot-parapluie. Il couvre un ensemble de méthodes qui permettent notamment un brassage statistique et probabiliste (les fameux algorithmes) de données très nombreuses et donc leur mise en forme et leur utilisation. On pourrait parler d’intelligences artificielles au pluriel, avec des applications variées – et des coûts de même.

Ainsi, sensément, un recueil dans les vignes de milliers de constatations par caméras à 360° doivent aboutir à des analyses précises de l’état et de l’évolution des cultures, qu’il s’agisse de la surface foliaire, du volume des baies, du stress hydrique1, de maladies éventuelles. Il en est de même pour l’analyse de myriades de chiffres issus des stations météo, des sondes piézométriques pour les ressources en eau, de données recueillies sur la flore microbienne du sous-sol, ou dans les baies elles-mêmes (tanins, antioxydants).

On l’imagine, en cousinage avec l’agriculture de précision, il est possible sur ces bases d’adapter les gestes culturaux, de piloter l’achat de fournitures, de déterminer les rendements… Les possibilités d’analyse et d’action sont également multiples pour les opérations de vinification ; une application s’intéresse par exemple à la surveillance de l’hygiène du chai2.

Signé Terroir

Puisque le Machine Learning offre une analyse évolutive de données trop nombreuses pour être auparavant aisément étudiées, celles fournies par les analyses chimiques des vins3 peuvent aujourd’hui permettre d’identifier – à 100 % ! – les vins, de mettre en évidence la signature chimique de leur terroir, de dépister les contrefaçons. C’est ce que tendent à prouver les études menées sur des vins de Bordeaux par Alexandre Pouget (Université de Genève) et Stéphanie Marchand (ISVV à l’Université de Bordeaux)4.

L’IA créateur

Avec l’IA générative, il est possible de créer de nouveaux contenus, comme du texte : des notes de dégustation, des argumentaires, des publicités. Ou des images dont a le droit d’exécrer l’hyperréalisme glauque et criard5.

L’IA générative et conversationnelle donne aussi la possibilité de créer, par exemple sur les réseaux sociaux, des personnages virtuels comme Manon de Maison Ravoire, ou Divine, la sommelière de Moët Hennessy, découverte le mois dernier à Vivatech.

Il est même possible de lui faire élaborer un cahier des charges de cuvée et la cuvée elle-même comme l’ont expérimenté Aubert & Mathieu, vignerons du Languedoc, avec leur cuvée The End6.

Divine, AI sommelière de LVMH

Le vin qui vous va

Trouver et offrir un vin qui plaît à coup sûr à un consommateur déterminé, voilà un défi quotidien pour nombre de professionnels qui font commerce de vin.
L’analyse des paramètres de milliers de consommateurs autorise de plus en plus à proposer à un client donné des vins qui lui correspondent sur la base du « Vous avez aimé ceci, vous aimerez cela ». C’est la promesse de l’application Preferabli7, qui emploie plusieurs MW8, et dont la base regrouperait un million de cuvées avec pour chacune 800 caractéristiques. Il existe d’autres applications de recommandation de puissances diverses que je vous laisse découvrir comme https://tastry.com ; https://grapegpt.wine ; https://www.sommify.ai ; https://www.vivino.com/ ou, dans les accords mets et vins, https://www.matcha.wine/en.

IA et ingénuité

Alors ?
Alors, ce monde va-t-il, une fois de plus, trop vite ? On connaît le mot d’ordre d’Enzo Ferrari : « Freinez plus tard ». Certes, mais ce qui serait déplorable serait d’enlever encore de la fibre artisanale, soit, au sens noble, de la fibre humaine, au vin. Et de mettre fin à ce qui ne se retrouve guère, une fois perdu, l’ingénuité. Ingénuité, ce mot méconnu qui n’a rien à voir avec la naïveté, ce mot qui vient directement du latin ingenuitas : « la condition de l’homme né libre ». Ingénuité qui éloigne heureusement de l’art et de l’artisanat tout ce qui est procédé, mécanique.

Il y a là un changement majeur pour l’humanité, répète le philosophe technocritique Éric Sadin, qui, se penchant sur l’IA9, déplore que l’on réduise le monde à l’exigence de l’expertise et de la perfection, que le monde bascule dans « l’encadrement continu et permanent de l’action humaine. »

Le contraire de l’ingénuité.

Vendangeurs IA non-ingénus

André Deyrieux

P.-S. : Cet article a été écrit sans recours à l’IA. En revanche, les visuels sont empruntés au site https://easy-peasy.ai/ai-image-generator.

  1. https://tule.ag/vision/ ↩︎
  2. https://www.biomire.solutions/fr/ ↩︎
  3. Déjà existantes et maîtrisées comme la chromatographie en phase gazeuse et la spectrométrie de masse à ionisation électronique. ↩︎
  4. https://www.nature.com/articles/s42004-023-01051-9 ↩︎
  5. Voir exemples sur cette page. ↩︎
  6. https://aubertetmathieu.com/products/the-end ↩︎
  7. https://preferabli.com ↩︎
  8. Sommeliers possédant le titre de Master of Wine. ↩︎
  9. L’Intelligence artificielle ou L’enjeu du siècle : anatomie d’un antihumanisme radical, L’Échappée, coll. « Pour en finir avec », 2018 ↩︎

4 réflexions sur “Le vin est-il soluble dans l’IA ?

  1. Nadine Franjus

    Voila un article indispensable…Mais qui met mal à l’aise.

    En fait, il pose la question devenue récurrente, surtout dans la recherche : « pourquoi devrait-on se passer de l’IA »?

    C’est un peu la grande soeur des statistiques, avec une base de données plus gigantesque mais l’outil est comparable.

    Souvenez-vous des réflexions sur l’usage et la limite des statistiques en lien avec leur interprétation.Nous avons besoin de philosophe et des sciences humaines pour appréhender l’usage de l’IA. Merci André, tu en fais partie.

    Pour ce qui concerne le vin, il y a longtemps que je défends la nécessité de donner un nom différent à ceux qui sont produits par une voie industrielle et le vin « artisanal » qui s’élabore avec la seule IV (Intelligence Vigneronne). Le sujet a souvent été débattu lors des journées de l’Université de la Vigne au Vin et de nombreux écrits l’attestent. J’imagine que ces écrits sont peut-être déjà entrés dans une IA. Fichtre! Faut-il en être fier ou inquiet?

    Et tous ces articles des 5duVin, si on les mettait dans la machine, elle pourrait surement nous écrire la suite pour quelques années, non?

    D’ailleurs qui est André Deyrieux? Qui nous dit que ce n’est pas la caution intellectuelle de ce site de buveurs-dégustateurs-journaliste-du-vin? Chroniqueur du jeudi créé par l’IA?

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  2. andredeyrieux

    Je m’appuie sur de très nombreuses données pour tenter de me tromper à bon escient. Pourtant, par erreur, j’ai coché la case « Je ne suis pas un robot. » Le système m’a validé. En vain et en vin.

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  3. La puissance de l’IA est celle d’un calculateur, ni plus, ni moins, auquel on livre des données qui ont fait l’objet, attention, d’un choix préalable ; si on fournit du « vrac », l’IA donnera des résultats ayant l’allure de quelque chose de robuste mais qui, en réalité, sera frappé du défaut de ce qui est totalement aléatoire…simplement, cet aléatoire sera la meilleure solution disponible pour la machine et non pas dans l’absolu. Il est assez vraisemblable que les promoteurs de l’IA font miroiter l’existence d’un système quasi miraculeux pour mieux l’imposer et contrôler ainsi nos décisions.

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