Vie et mort d’un magazine de vin

En 1992, une poignée de passionnés, journalistes, sommeliers, oenophiles de tout poil, se regroupaient autant d’un fou de vin, Philippe Stuyck, pour créer un nouveau «support» et surtout, un nouveau ton pour aborder le vin: In Vino Veritas.

En 1992, quel média dit sérieux n’aurait osé remettre en cause les grands crus classés, les appellations de prestige, les icônes du vin?

En 1992, les vins boisés et bodybuildés faisaient la loi dans bon nombre de dégustations, dans les magazines dits importants.

En 1992, on trouvait encore pas mal de mauvais vins, de vins à défauts, de vins techniquement mal vinifiés. Mais c’est comme s’ils n’existaient pas dans la presse spécialisée.

En 1992, les vins de l’agriculture biologique faisaient sourire, sans parler de la biodynamie, qui passait alors pour une secte.

En 1992, pourtant, IVV commentait des vins de tous pays, de toutes obédiences. Et se permettait de déboulonner quelques statues, de remettre en cause quelques mythes.

IVV interviewait Nicolas Joly, chantre de la biodynamie, ou Jean-Michel Deiss, chantre de l’expression du terroir. 

IVV parlait technique, allait plus loin que le simple commentaire de dégustation.

IVV ne se prenait pas au sérieux, mais faisait les choses sérieusement.

Le plus difficile, avec cette exigence rédactionnelle, c’était bien sûr de la rentabiliser, quand il aurait été plus facile d’encenser les plus offrants.

Alors, en 2014, la décision a été prise de renoncer aux éditions papier pour ne plus paraître qu’en version numérique.

Ce qui a certainement permis d’abaisser les coûts, mais pas de générer de nouvelles recettes, et donc, de financer de nouvelles enquêtes en toute indépendance.

Fin 2022, soit 30 ans après la création du magazine, Philippe Stuyck décidait donc de mettre fin à l’aventure.

A cette aventure, Marc Vanhellemont et moi avons été étroitement associés, quasiment depuis les débuts.

Nous en garderons beaucoup de souvenirs – 30 ans, c’est un sacré bail! Quelques regrets, aussi. Derrière un titre, un nom, il y avait en effet pour nous un engagement – d’aucuns parleront d’illusion: informer sans déformer, tour à tour enthousiastes ou indignés, avec comme juge ultime les lecteurs, tant qu’il y en a.

IVV est mort, vive IVV! Mais au-delà du « cas » In Vino Veritas, je me pose la question de la viabilité des magazines de vin, et même des rubriques vin des journaux, confrontés à la montée de l’hygiénisme et à la concurrence des influenceurs.

Et vous, qu’en pensez-vous?

Hervé Lalau

 

 

11 réflexions sur “Vie et mort d’un magazine de vin

  1. A reblogué ceci sur thesotmelieret a ajouté:
    ……… [ …. Je me pose la question de la viabilité des magazines de vin, et même des rubriques vin des journaux, confrontés à la montée de l’hygiénisme et à la concurrence des influenceurs…..] ………… ???

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  2. Que de souvenirs. J’ai rejoins l’équipe dès le numéro 3. Merci Philippe pour toutes les opportunités que tu nous as offertes. Que de belles rencontres non seulement sur place mais aussi dans les vignobles. Mes ballades à Bordeaux, la Loire, la Bourgogne, la Champagne, l’Allemagne et l’Autriche m’ont permis de découvrir de magnifiques personnes et des vins exceptionnels. Nos investigations qui dérangeaient souvent mais qui étaient aussi des pieds dans la fourmilière nous ont apporté une reconnaissance. Avec Yvan Tonneus, nous avons parcouru la Champagne de fond en comble et Saint-Emilion où nos chaussures ont laissé de la gomme sur le bitume.
    Merci Marc, Yohan et toi bien sûr Hervé pour tous les moments de convivialité lors des dégustations intra ou extra muros. Le franc parler était de mise et cela a permis de garder la franche amitié qui nous unis. J’ai beaucoup apprécié notre liberté totale d’expression ainsi que le fait d’avoir chacun sa spécialité. Ceci nous a enrichi sans créer de jalousie. Bien au contraire on apprenait de chacun.
    J’ai une pensée pour les autres dinosaures qui nous ont côtoyés. J’omets volontairement leur nom par respect, même si je pense très fort à eux.
    Mon déménagement en Andalousie a changé la donne et m’a empêché de poursuivre l’aventure physiquement pour ce qui se passait à Bruxelles mais mon soutien était total.
    Merci Marc et Hervé pour continuer à me faire rêver avec vos belles découvertes et vos infos qui suivent les traces de notre IVV.
    A bientôt pour de nouvelles lectures.
    Bien amicalement, Gérard.

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  3. Nadine Franjus

    L’IVV mais aussi « Le Guide Hubert », « Vins et Cigares », « Flavours From France », c’est ma nécrologie personnelle des médias papiers qui ont disparu sans payer les articles, faute de fonds mais pas de lectorat. J’ai appris très tôt l’usage de la colonne « Pertes et profits » dans ma comptabilité. Enfin, surtout les pertes.
    Pire encore, c’est devenu coutumier de demander un article sans rémunération, avec des arguments déloyaux de liberté de la Presse.
    Les médias du vin disparaissent et avec eux le métier de journaliste du vin. Parce qu’un journaliste qui n’est pas payé et un journaliste non respecté et potentiellement illégitime.
    La relation avec les médias ont évolué avec le Net, on confond volontiers journaliste et influenceur. Le communicant ne serait plus là pour informer mais pour influencer. Il n’y a même plus besoin de savoir écrire pour s’exprimer. On perd la liberté de la presse et avec, la liberté de se faire son propre avis.
    Il n’y a pas que l’hygiénisme qui met le métier de chroniqueur du vin en péril. Il y a aussi le profit qui dirige chaque support médiatique, bien avant son contenu.

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    1. Jean NATOLI

      Merci à Nadine d’être politiquement incorrecte. Nous, techniciens et producteurs, avons besoin de vrais journalistes, compétents et rigoureux. Pas de militants, connaisseurs autoproclamés et destructeurs de vraies valeurs, défenseurs des défauts qui standardisent certains vins à la mode actuellement. Le fait que Nadine soit aussi une œnologue explique peut-être cela. On ne fait pas de bons vins (ou de bons journaux) avec des bons sentiments, mais avec de la compétence, du travail, de la créativité…
      Décidément, j’aime de plus en plus les 5 du vin.

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  4. Une pensée pour Philippe.
    Et si Internet a tué la presse papier – enfin, pas tout à fait – il reste encore de beaux jours pour une presse du vin entreprenante, audacieuse et surtout talentueuse. Justement, peut-être encore sur la toile. L’optimisme, lui, ne tue pas.

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    1. Les magazines sont peut être plus rentables dans les pays à population plus importante et où tout le monde parle la même langue car cela permet de répartir les coûts fixes sur une plus grande base.

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    2. pthomas1954

      La presse papier rencontre des problèmes dans tous les domaines. Et dans tous les pays! Et les éditeurs, quand ils ne ferment pas des titres, serrent la vis aux rédactions. Rappel: les5duvin, en plus d’être gratuit, est bénévole…

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