Mieux encadrer les vins nature

Périodiquement, sous la plume de distingués collègues, je lis que le terme de « vin nature » usurpe le terme de nature; que ses partisans sont, au mieux, des illuminés; et au pire, des escrocs.

L’année dernière, en Italie, on est allé encore plus loin: chez un caviste, des policiers ont fait enlever des panonceaux « Vino Naturale » pour infraction à la loi sur l’étiquettage – la mention n’étant pas prévue dans le code italien de la consommation, apparemment.

Même si j’ai des doutes sur certains vins naturels – pas tant sur le principe que sur leurs qualités organoleptiques, je ne souhaite pas, comme d’autres, qu’on jette le bébé avec l’eau du bain, qu’on brûle la forêt que l’arbre cache, etc, etc.

Je trouverais dommage, voire déraisonnable, qu’à cause de quelques sagouins pour qui « nature » veut dire « moindre effort », on vilipende les bons professionnels; ceux qui, tout en soufrant peu, ou pas, font tout pour ne pas faire souffrir le consommateur, et même, pour le ravir.

Bref,  je ne voudrais pas qu’on ferme cette voie.

Cela ne m’empêche pas d’être sensible à certains arguments.

Primo, le terme est équivoque; quand des confrères affirment que le jus de raisin laissé à lui-même, donne naturellement du vinaigre, il y a une part de vérité, même réductrice.

Mais toute étiquette n’est-elle pas réductrice?

Si on lève ce lièvre pour le vins dits nature, alors on pourrait le lever pour toutes les AOC où le fameux lien au terroir relève du marketing plus que de la géologie ou de quoi que ce soit d’autre. S’indigner, au moins aussi fort, que Château Figeac, avec ses graves et son encépagement médocain, soit grand cru de Saint Emilion… Je ne pense pas avoir jamais vu de gourou français du vin enfourcher le cheval de cette indignation-là… Et ce n’est qu’un exemple, bien sûr; je n’ai rien contre Figeac (un vin que j’apprécie plutôt, sauf au niveau de son prix); j’en ai simplement assez de la géométrie variable de nos classifications, tantôt dures, tantôt molles.

On pourrait aussi se demander, par exemple, pourquoi la définition du mot « cru » varie tellement entre la Bourgogne et le Bordelais… Pourquoi ce qui désigne ici quelques parcelles, un climat, désigne là une exploitation, une structure juridique. Le buveur lambda connaît-il cette différence? Ou se laisse-t-il berner?

Je m’éloigne du sujet, me direz vous. C’est délibéré. Je vous ferai remarquer qu’aujourd’hui, le consommateur a beaucoup plus de « chances » de tomber sur un vin conventionnel médiocre, insipide, n’ayant d’origine que la mention sur l’étiquette, que sur  un vin nature déviant, ou sur un vin biodynamique trop cuivré. L’usurpation la plus criante n’est donc pas celle qu’on pense. Et pourtant, ces derniers temps, dans les gazettes et sur les blogs, c’est plus souvent sur le nature ou sur le bio-dyn que l’on tape, qu’on ergote, qu’on éditorialise. Allez savoir pourquoi… Serait-ce une question de réseaux? De puissance financière? Je n’ose l’imaginer.

Secundo, le terme de nature n’est pas assez encadré.

Ceux qui me connaissent un peu, moi qu’on traite de néo-libéral, notamment quand je réclame la libéralisation des plantations, souriront peut-être à me voir ainsi en appeler à plus de réglementation.

La contradiction n’est qu’apparente. Autant je milite (sans grand succès, il est vrai) pour que les producteurs puissent produire où ils veulent, comme ils veulent et ce qu’ils veulent (je parle bien sûr des zones hors AOC), autant je suis  favorable à un meilleur encadrement des mentions censées informer le consommateur.

Je voudrais, par exemple, que les AOC aient un vrai contenu (ce qui exclut de ce schéma les AOC régionales, trop vastes); et dans le cas du vin nature, je voudrais que ce qui n’est actuellement qu’un  « concept », un engagement volontaire, soit délimité par la loi.

Qu’on fixe une fois pour toutes un plafond de soufre ajouté, et que seuls ceux qui sont en dessous puissent porter le nom de « nature » (ou autre). Qu’on décide une fois pour toute si un vin dit nature doit forcément être bio – et donc, encadré par le cahier des charges du bio. Qu’on traque les déviances, aussi – ce qui doit pouvoir se faire avec des analyses en labo. Que « quelqu’un » (un organisme certificateur, une autorité quelconque), prenne la responsabilité d’un vrai label apposé sur l’étiquette.

Et surtout, que ce « quelqu’un »  fasse la police et nous débarrasse une bonne fois pour toute de la pomme blette, de la standardisation par l’oxydé, tout ce qui constitue pour moi l’antithèse de la philosophie naturiste. Car quoi, si le non-interventionnisme poussé à l’extrême (à savoir, dans bien des cas, un manque d’hygiène) aboutit à gommer toute expression d’une origine, à faire qu’un pinot d’Alsace ne se distingue plus d’un gamay du Beaujolais, à quoi bon parler de nature?

Bref, je réclame qu’il y ait à la fois une obligation de moyens (niveau de soufre maximum, liste limitative et niveaux des traitements à la vigne et au chai) mais aussi de résultat (un vin sain).

Le vin nature ou naturel (faute de lui trouver un meilleur nom) est pour moi une piste intéressante, et même, l’expression d’une liberté fondamentale – celle de penser et de vinifier comme on le sent.

Mais la liberté de bien faire s’arrêtant là où commence celle d’usurper le nom de nature, je crois indispensable que le législateur s’en mêle.

Hervé

15 réflexions sur “Mieux encadrer les vins nature

  1. Louis Barruol

    Bonjour Hervé. Comme tout le monde, tu as un « niveau de tolérance » variable selon les sujets. On ne peut pas s’empêcher d’avoir quelques convictions et c’est mieux comme ça. Mais « Vin nature » ne veut rien dire du tout. C’est aujourd’hui un argument marketing et rien d’autre. Son non – encadrement permet tous les mensonges et tous les excès. Il y a des labels bio et bio-dynamie en France et c’est très bien comme ça. En la matière, soit on est dans un label officiellement soit on n’y est pas. Il n’y a pas de statut intermédiaire. A charge pour les consommateurs et les journalistes de faire le tri entre le bon et le pas bon dans chaque famille.
    Mais c’est assez insupportable d’entendre à longueur de journée des discours de « domaines en bio », « mais qui ne sont pas certifiés », ou des discours de « vins nature » qui ne veulent rien dire. Il y en a marre de tous ces vignerons qui se placent dans la mouvance bien-pensante et pratiquent la critique communément pratiquée dans leur groupe. Mais enfin, où est le vin là-dedans ? Si les domaines en bio croient en ce qu’ils font et maitrisent vraiment leur sujet, ils n’ont pas besoin de vendre leurs méthodes et leur appartenance. Ils ont juste besoin de faire gouter leur vin et de répondre aux questions des gens si ceux-ci s’intéressent à la technique et à la propreté des vins.
    Entre le marketing tout pourri d’un coté et le marketing tout pourri de l’autre, je ne vois pas bien la différence.

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  2. Hervé Lalau

    Oui Louis, je plaide aussi pour plus de clarté. Le consommateur y a droit. D’un autre côté, que d’intolérance de part et d’autre! Le vin est partage, bon sang. Cela me peine de voir des gens s’écharper pour des concepts, des querelles de chapelle. La vérité est dans le verre, je peux apprécier aussi bien des vins conventionnels que des vins bio ou « dits nature », au delà des étiquettes. Ce n’est pas moi qui cultive ni qui vinifie, mon seul droit d’inventaire, c’est dans le verre.

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  3. Très bien dit Mister Smith! Se dire naturel et fuire la définition du terme et surtout la vérifiabilité de sa mise en pratique (too many cheats, even there) est une façon de se moquer du consommateur. Les naturels doivent comprendre que pour être prix sérieusement (et donc sortir de leur minuscule cercle de suiveurs quasi-réligieux) il faut être PLUS rigoureux que l’ennemi « conventionnel ». Sortir du nucléaire, if you know what I mean. 😉

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  4. Denis Boireau

    Herve, je suis d’accord avec votre analyse (pas de definition du concept de vin Naturel) meme si je ne trouve pas ca trop genant pour le consommateur. Effectivement pour lui la verite est au fond du verre.
    Mais attention sur le point de rejeter les « deviants » au sens de l’oenologie dominantes. Je reviens du salon Dive Bouteille qui regroupe une part significative des « naturistes » et il etait impressionnant de voir le nombre d’amateurs qui se pressaient pour deguster les vin du noyau -tres minoritaire- des tenants des vins oxydes. Il y a une clientele pour la pomme blette, laissons les libres!
    Ceci dit la grande majorite des exposants a la Dive Bouteille n’utilise pas le terme Vin nature.
    De plus leur qualite et la clientele qu’ils ont developpee contredit fermement Monsieur Tommasi: ils sont en majorite beaucoup plus rigoureux que des vignerons conventionnels et interessent depuis longtemps beaucoup plus qu’un petit cercle de suiveurs (mais connait-il Richaud, Lapierre, Hegoburu, Breton, Binner, etc?).

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  5. françoismb

    Ne pourrait on pas envisager , pour éviter les contestations, de rendre simplement obligatoire l’affichage sur les bouteilles de la composition chimique des vins ( comme les eaux de table ) ?

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    1. Oui je connais les vins de Richaud etc. depuis plus de 10 ans. Si je me rappelle bien Richaud fait 40ha dont 8 en bioD. Il travaille bien.

      Je ne suis pas contre la pomme blette, j’ai succombé aussi (il y a 10 ans encore) à l’argument qu’il faut re-eduquer ses papilles, que nous sommes déformés par le gout standard. Je ne le crois plus. Il ne faut pas confondre l’oxydation généreuse qui donne complexité aux vins de Jerez et aux vins jaunes avec le manque de maitrise.

      En ce qui concerne l’étiquetage, il ne faut pas confondre liste d’ingrédients avec analyse chimique-physique. Pour l’eau, cela sert à certifier la présence ou non de ions dangereux (plomb, arsenic), et la quantité de ions bénefiques, ainsi que de ceux qui pourraient inquieter les gens, donc le sodium (qui varie de 5mg/l pour Evian à 1800 mg/l pour la Vichy Saint Yorre ), mais ces éléments ne sont pas des ingrédients, ils n’ont pas été ajoutés.

      Le public n’est pas en mesure de comprendre l’étiquetage.
      Ingrédients? Que veut dire 25mg/l de SO2 pour 99% des gens? Ou 250mg/l? Que veut dire « arome naturel » – le client s’imagine que l’arome naturel de fraise vient d’une fraise, ce qui n’est jamais le cas.
      L’osmose inverse, qui remplace la chapta (mons cher, facile à cacher, impossible à detecter), se fait de manière furtive – il y a des osmoseurs mobiles sur camion qui font un bon business en automne. Je ne vois pas beacoup d’osmoseurs dans les chais… et même s’il y en avait, cela ne changerait pas la liste d’ingrédients, et pourtant ce sont des vins pas naturels.

      Analyse chimique? où commencer, la liste serait plus longue que 30 étiquettes.

      Tant que les naturels refuseront de codifier ce qu’ils font, ils resteront sur les marges d’une industrie qui continuera majoritairement à faire du mauvais vin industriel en AOC. L’incapacité de s’organiser au dela des copinages et du militantisme est un cadeau aux industriels qui manifestement n’ont aucune raison de s’inquieter.

      Il faudrait définir une certification européenne de vin naturel, et comme pour toute autre certification ou label il faut absolument se doter des moyens de vérifier que le vigneron respecte la définition donnée. Mais on est loin de cela. Dommage.

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  6. bruno l

    « C’est délibéré. Je vous ferai remarquer qu’aujourd’hui, le consommateur a beaucoup plus de « chances » de tomber sur un vin conventionnel médiocre, insipide, n’ayant d’origine que la mention sur l’étiquette, que sur un vin nature déviant, ou sur un vin biodynamique trop cuivré. L’usurpation la plus criante n’est donc pas celle qu’on pense. Et pourtant, ces derniers temps, dans les gazettes et sur les blogs, c’est plus souvent sur le nature ou sur le bio-dyn que l’on tape, qu’on ergote, qu’on éditorialise. Allez savoir pourquoi… Serait-ce une question de réseaux? De puissance financière? Je n’ose l’imaginer.

    Comme ces choses-là sont dites galamment.

    Mais qui pourrait s’en étonner à la lecture de ce qu suit :

    Tandis qu’en France les ventes (du 1er août 2011 au 31 juillet 2012) de vin de Bordeaux en grandes et moyennes surfaces (GMS) subissent un recul global pour les vins rouges (- 2 %) et blancs (- 4 %). Seul le rosé continue sa marche en avant (+ 5 %). « Nous sommes préoccupés par l’érosion continue du marché français, qui reste de loin le principal débouché des vins de Bordeaux, puisqu’il a absorbé à lui seul sur la dernière campagne près de 60 % des volumes commercialisés de vin de Bordeaux », commente Georges Haushalter, président du Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB).

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  7. Par définition, la « nature » de l’alcool est de s’oxyder et de se transformer en acide. Donc, si on ne préserve pas un minimum, l’espérance de vie d’un vin est forcément très réduite.

    Bruno

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  8. Je me trouve bien en accord avec ce qui dit Louis Barruol dans son commentaire. « Vin nature » ne veut rien dire du tout, mais cela induit le consommateur dans l’erreur. Bien sur il peut y avoir des amateurs pour la pomme blette (ou pour les bretts). C’est leur problème, pas le nôtre. Se méfier de la mode, toujours !

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  9. Bon, je ne vais pas réécrire mon article, mais gardons nous de mettre tout le monde dans le même sac. Peur Bleue (La Gardine), c’est bon. Terre de Chardons, c’est bon? Le Mas de Gourgonnier, itou… Le sans soufre n’est pas une panacée, mais ce n’est pas synonyme de faux goûts, de bretts, de pomme blette non plus. C’est comme le raisin, il faut trier.

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