Pourquoi le vin aurait-il des couilles au cul ?

Avouons-le, la question est beaucoup moins sérieuse que celle que posait l’excellent papier d’Hervé, hier, sur ces mêmes lignes. S’il est vrai que je ne fréquente plus depuis belle lurette l’univers huppé de la Haute-Couture du vin que l’on croise par exemple dans les salons feutrés des palaces, je reste volontiers amateur de bonnes paillardises. C’est peut-être l’approche du Beaujolais Nouveau qui déclenche cette grivoiserie en moi, mais tant pis. Je vous livre mon point de vue tel quel, sans ambages.

I'll Puch you… NB : Puch est le nom d'une moto autrichienne mais aussi d'un Carignan bien couillu du Roussillon.
I’ll Puch you… NB : Puch est le nom d’une moto autrichienne mais aussi d’un Carignan bien couillu du Roussillon.

Depuis quelques années dans les bars semi branchouilles de ma cité provinciale et catalane, il m’arrive d’entendre en parlant d’un vieux grenache agrémenté de mourvèdre ces réflexions d’amateurs légèrement poivrots : « Putain, Michel (navré, mais au pays de l’USAP presque toutes les phrases commencent par ce mot qui n’a de réelle saveur que lorsqu’il est prononcé avé l’assent), tu ne trouves pas que ce vin manque de couilles au cul » ? Ou encore la réflexion inverse : « Putain, celui-là il est super couillu *, non ? ». Notez au passage que ce questionnement qui ne manque pas de classe sort parfois de la bouche même d’une fille âgée entre 20 et 60 ans.

Cela signifie quoi pour elles que d’avoir des couilles au cul, dîtes ? Être modernes ? Branchées ? Rêveuses ? Et pour un mec ? Se conduire en tueur à la manière d’un matador à la prétention héroïque qui se sera préalablement signé en entrant dans l’arène comme pour lever toute l’ambiguïté sur sa toute puissance masculine face à un animal supposé indomptable mais désespérément seul ? Affirmer sa franche virilité (celle du vin qui pénètre en bouche…) à la manière d’un indébandable Rocco Siffredi ? Se montrer inébranlable cette fois-ci face à un palais critique et réputé inviolable ? Vin viril, vin couillu, vin féminin, vin masculin, vin sexy, j’en passe. Ça me rappelle l’époque où le pépé disait à qui voulait l’entendre « Ce vin-là, il a de la cuisse », tandis qu’un autre poète d’un autre âge se disait « rond comme une queue de pelle » à cause de son petit vin qui avait « du corsage » ou, plus prosaïquement, qui était aussi « plantureux que le derrière de la mère Michèle » !

Le plein de vins couillus aux Régalades 2013 de Montpeyroux. Photo©MichelSmith
Le plein de vins couillus aux Régalades de Montpeyroux. Photo©MichelSmith

J’avoue que je me perds en conjectures sur les outrances du petit monde du vin dont je suis heureux pourtant de faire partie. Questions qui vont certainement faire réagir tous les émasculés de la planète pinardière, mais questions sans importances car qu’est-ce que ça peut bien faire si la bite à Toto est plus grosse que celle à Titi, si Batailley est plus couillu que Lagrange ? C’est comme si on voulait que Pichon Baron soit plus poilu que Pichon Comtesse. Cherchez l’eunuque. Je sais, tout cela n’est que charabia.

Tiens, c’est quoi au juste une planète pinardière ? Eh ben c’est un coin du monde où chaque mec (ou nana) s’attribue le vin à sa manière en tenant compte des modes et des tics de langage. Perso, je recherche la simplicité, quand d’autres recherchent autre chose, je ne sais pas moi, mais quelque chose de plus compliqué. Un petit goût de je ne sais quoi, une allure de macho, une nervosité minérale, une hypothétique finesse féminine ou, pour être plus vulgaire, du poil au cul. Je le répète souvent : si tout le monde aimait les blondes, brunes et rousses seraient très malheureuses. Tous les goûts sont dans la nature et toutes les façons de s’exprimer aussi. Nul n’est obligé de me croire. Goûter le vin c’est avant tout pousser une belle porte qui s’ouvre sur la diversité. Se limiter à un « C’est bon, parce que ça vient des meilleurs terroirs de Pauillac, pas les palus, bien sûr, mais la croupe graveleuse avec vue sur l’estuaire juste à la limite de Saint-Estèphe, là entre Mouton et Pontet Canet » cela n’a aucun sens. Mais tenter de pénétrer le mystère du vin est en réalité ce qu’il y a de plus important, de plus palpitant, de plus difficile aussi. C’est comme voir, sentir, palper…

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

Alors, faut-il faire appel à une vulgaire paire de couilles pour en parler ? Pourquoi pas. Est-ce à cela que le vin ressemble ? Sans vouloir jouer les pères La Pudeur, voilà le genre de question qui m’énerve au plus haut point et c’est pour cela que je me la suis posé aujourd’hui, comme ça, maladroitement, abruptement, sans prendre de gants ni de pincettes. Car j’en ai vraiment marre de tous ces soi-disant amateurs qui n’ont que la vue du sexe à nous proposer quand ils racontent un vin. Si encore ils le faisaient avec la truculence d’un Rabelais…

Unknown

Comme de dire d’un vin qu’il est féminin. Un peu d’imagination poétique, que diable ! Il peut y avoir une interprétation sexuelle dans l’apparence d’un vin, mais avec plus de charme et d’élégance que la vulgarité d’un corps de garde. Bien sûr, tout cela part semble-t-il d’un bon sentiment typiquement machiste : tel vin sucré ou délicat devrait être réservé aux filles, tel autre plus tannique et épais, plus couillu donc, serait l’apanage des garçons. On a déjà abordé ce sujet ici, je sais. En jargon journalistique, cela n’a rien d’un exploit, ce n’est que du « resucé »… avec toutes mes excuses !

Michel Smith

* À propos de ce mot, couillu, lisez donc la belle chronique de Jean-Yves Nau, médecin, journaliste et fils de vigneron (de Bourgueil). Elle date de 2010, mais n’a rien perdue de sa saveur.

6 réflexions sur “Pourquoi le vin aurait-il des couilles au cul ?

  1. Evidemment que toutes ces termes éculées sont des absurdités autant que des approximations. Et le vin « masculin » ou « féminin » sont des mythes absolus. Mais la question de comment traduire en mots ses sensations gustatives reste tout de même est n’est pas aisé à résoudre, tant le goût est individuel et l’acception de certains mots très liée à une culture et une expérience personnelle.

    J’aime

  2. mauss

    Perplexité : sommes nous à un tel changement climatique au point que notre Beau Ténébreux a quelques chaleurs rappelant un printemps passé ou, effet de l’âge ingrat qui s’annonce, on jette quelques derniers feux, histoire de redire que nous, de notre jeunesse, c’était autre chose ? 🙂

    Va savoir, Charles !

    Mais effet positif de la chose : relire pour la nième fois le très jouissif Clochemerle de Gabriel Chevallier !

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.